Nouvel Éditorial de Venance Konan sur Bédié en Côte-d’Ivoire: « L’obsession du vieil homme »

Selon notre confrère Jeune Afrique, Henri Konan Bédié a, lors de sa rencontre avec Laurent Gbagbo à Bruxelles, demandé à ce dernier de l’aider à reconquérir le pouvoir qu’il avait perdu en 1999.

Jusqu’à ce qu’il se brouille avec M. Alassane Ouattara, M. Bédié considérait M. Laurent Gbagbo comme un criminel dont la place était en prison. Et brusquement, parce qu’il ne peut plus compter sur M. Ouattara pour le faire revenir au pouvoir, voici que Laurent Gbagbo est devenu soudainement paré de toutes les vertus. Tout comme son comparse Blé Goudé. Oui Bédié n’a pas hésité à se rendre à Bruxelles, à moins que ce ne soit à Casanova, pour supplier Gbagbo de l’aider à revenir au pouvoir.

Il a également envoyé une délégation auprès de Blé Goudé pour mener, je suppose, la même démarche. Le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) suppliant le patron du Front populaire ivoirien (Fpi) de l’aider à accéder au pouvoir! On se croirait dans un roman qui pourrait avoir pour titre «L’obsession du vieil homme. » Bédié avait eu le pouvoir en 1993, à vrai dire, sans avoir fait trop d’efforts.

Tout ce qu’il avait eu à faire avait été d’attendre tranquillement que le Président Houphouët-Boigny meure de sa belle mort. Et six ans plus tard, Bédié a perdu ce pouvoir aussi facilement qu’il l’avait acquis. Il en est ainsi dans la vie : l’on perd facilement ce que l’on a acquis facilement.

Dix mois plus tard, lorsque les militaires qui l’avaient renversé organisent la présidentielle, Bédié se porte candidat indépendant, son parti ayant choisi une autre personne pour porter ses couleurs. Sa candidature est écartée et Laurent Gbagbo accède au pouvoir. Cinq ans plus tard, Bédié s’allie à Ouattara, et cinq autres années après, c’est-à-dire en 2010, l’élection présidentielle est enfin organisée, après dix ans de règne de Gbagbo. Bédié est encore candidat et il perd au premier tour.

Au second tour, il soutient Ouattara et ce dernier est élu. Le Président associe Bédié à son pouvoir et lui accorde tous les honneurs. En 2014, Bédié annonce à Ouattara que son parti ne présentera aucun candidat contre lui en 2015, en échange d’un soutien à un candidat du Pdci en 2020, et une fusion de leurs deux partis. Arrêtons-nous sur ce point.

L’on comprend aisément maintenant qu’en parlant de candidat de son parti, M. Bédié pensait en réalité à lui-même. Et s’il a empêché toute candidature venant de son parti, c’était pour que personne ne lui fasse de l’ombre en attendant 2020. En 2015, il était difficile à quiconque, y compris Bédié, de battre Alassane Ouattara.

Mais l’on peut imaginer qu’un candidat du Pdci qui aurait fait une bonne campagne et un score honorable aurait pu faire figure de candidat naturel de ce parti en 2020, voire bousculer le leadership de Bédié au sein du vieux parti. Puisqu’il était prévu que Ouattara ne fasse que deux mandats, il était plus facile pour Bédié d’attendre qu’il les finisse et lui fasse la passe. Et il serait revenu au pouvoir aussi facilement que la première fois.

Notons que c’est après cela que la Constitution a été modifiée et que le poste de vice-président a été créé et confié à Daniel Kablan Duncan, un vice-Président du Pdci. Et souvenez-vous, l’on avait alors commencé à parler de la possibilité d’un tandem Duncan-Gon Coulibaly à la présidentielle de 2020. Mais Duncan fut hué lors d’une réunion du bureau politique du Pdci en présence de Bédié, sans que ce dernier ne dise un mot à l’encontre de ceux qui avaient ainsi humilié son vice-Président. Il avait ainsi tué politiquement Duncan.

C’est lorsque Bédié a fait savoir à Ouattara son désir de revenir au pouvoir que ce dernier a déclaré, d’abord le 16 juillet 2018, « Je peux vous assurer que je ferai en sorte que le Rhdp continue de gagner ces élections pour nous permettre, en 2020, de transférer le pouvoir à une nouvelle génération. C’est important que les générations se renouvellent. Nous devons, le président Bédié et moi, travailler la main dans la main pour transférer le pouvoir à une nouvelle génération.» Puis, dans son discours à la nation du 6 août 2018 : «Comme je l’ai déjà souligné, nous devons travailler pour transférer le pouvoir à une nouvelle génération, de manière démocratique en 2020.

Notre pays est riche d’hommes et de femmes, jeunes et compétents, qui ont reçu une formation de qualité, qui ont appris à nos côtés comme nous avons appris aux côtés de nos aînés. N’ayons pas peur de passer le témoin. Faisons confiance à nos jeunes, tout comme nos aînés nous ont accordé leur confiance.»

Bédié n’a pas supporté ces paroles du Chef de l’Etat et a définitivement rompu avec lui. Mais l’on dit qu’en Côte d’Ivoire, aucun parti ne peut gagner seul. Il faut toujours s’allier à quelqu’un. Alors, Bédié, qui n’a qu’une seule obsession, revenir à tout prix au pouvoir, n’a pas hésité à se rendre chez Gbagbo, celui qui considère le Pdci comme un serpent à écraser, pour lui demander de l’aider à reconquérir le pouvoir.

La question est de savoir si Gbagbo trouvera des raisons d’aider Bédié à reprendre ce fauteuil dont luimême estime en avoir été évincé injustement, avec la complicité de Bédié.

Le Pdci devrait, de son côté, se demander s’il est bénéfique pour lui de se battre pour faire revenir au pouvoir un homme de 86 ans qui l’avait perdu il y a 20 ans. Une chose est de vouloir le pouvoir, une autre est de choisir celui qui saura faire fructifier ce pouvoir pour le bonheur des militants et des citoyens.

Le Pdci devrait aussi se demander s’il a encore suffisamment de troupes pour que quelqu’un trouve un intérêt à s’allier à lui. Parce que, plus la candidature de Bédié se précise, plus les militants doutent, rechignent à le suivre et lorgnent ailleurs.

VENANCE KONAN

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