Pourquoi il y a de la corruption en Côte-d’Ivoire (économiste Banque mondiale)

Corruption1

Publié par Lider | Jacques Morisset | Brookings | 05 juillet 2016

Célestin voulait célébrer l’anniversaire de sa femme. Faisant usage d’internet, il a acheté quelques produits cosmétiques en provenance de Chine pour une valeur de 36$. Son interlocuteur chinois lui a expliqué que le paquet serait livré par Dhl dans environ 10 jours, pour un coût supplémentaire d’environ 100$.

Dix jours plus tard, il a été contacté par le bureau Dhl à Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire, l’informant que son paquet était arrivé, mais devrait passer par l’inspection des douanes. La mauvaise nouvelle est tombée le lendemain (voir ci-dessous la copie du reçu officiel). Les droits et taxes douanières s’élevaient à 360$, soit 10 fois la valeur d’origine de son paquet.

L’explication était la suivante: premièrement, la valeur de son paquet a été réévaluée de façon arbitraire par l’inspecteur de 36$ à 360$, sans aucune explication. Deuxièmement, la taxe sur la valeur ajoutée (tva), le droit de douane et la taxe statistique s’élevaient à 248,97$, ou sept fois la valeur d’origine. Troisièmement, le transitaire lui facturait des frais divers pour 75,94$, ou plus de deux fois la valeur d’origine.

Quel onéreux cadeau pour sa femme ! Célestin a voulu se plaindre, mais il a appris que le processus juridique de l’administration des douanes pourrait durer entre quelques jours et quelques semaines, avec de minimes chances de succès. En outre, Dhl allait lui facturer un supplément de 17$ pour chaque jour supplémentaire de stockage. Découragé, Célestin a décidé de payer ses droits de douane.

L’histoire de Célestin est celle de nombreux importateurs en Côte d’Ivoire et, malheureusement, dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest. Ce n’est pas une histoire que l’on trouve généralement dans un manuel économique ou dans les rapports produits par la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, dans lesquels les droits de douane sont tout simplement l’addition de tarifs extérieurs communs allant de 0 à 20 pour cent (le tarif extérieur commun de la Cedeo est de 0 à 35 pour cent, NDT) et la tva (le taux est 18 pour cent en Côte d’Ivoire). Ceci est, cependant, la réalité en Côte d’Ivoire, où un commerçant doit payer 10 fois le coût initial de sa marchandise, hors frais de transport.

Ces frais ont deux conséquences énormément négatives pour le pays. La plus évidente est que les importations deviennent beaucoup plus cher, y compris de nombreux produits de première nécessité, ce qui augmente par conséquent le coût de la vie. Ces politiques agissent également comme une barrière à l’entrée, protégeant des industries locales, mais décourageants les gains d’efficacité pour les clients. Cela vaut pour les produits cosmétiques, mais aussi à l’équipement (comme le solaire, NDT), les matériaux et les véhicules.

La deuxième conséquence est que, avec de tels coûts d’entrée disproportionnés, la corruption se développe, parce qu’un commerçant sera prêt à payer un fonctionnaire des douanes pour contourner le système, tant que le pot-de-vin sera inférieur au total des droits de douane. Pour l’inspecteur, la tentation est également grande parce que son salaire est relativement bas par rapport à la corruption potentielle. Pour ces raisons, ce type de processus de «négociation» se produit tous les jours.

La corruption peut être considérée comme la réponse logique à un échec du gouvernement, comme l’a souligné Samuel Huntington dans son livre phare publié en 1968. Elle peut également être considérée comme positive, car elle réduit le coût des importations avec des avantages pour les commerçants et, en fin de compte, pour les clients. Pourtant, la corruption est injuste, car elle n’est pas transparente et dépend largement du pouvoir de négociation de chaque individu. Célestin peut finir par payer 350$, mais un initié seulement 100$. Elle est également consommatrice de temps, ce qui explique les longs délais dans les procédures d’importation dans la plupart des pays africains. Selon le dernier rapport Doing Business, il faut en moyenne plus de 9 jours (soit 215 heures) pour terminer toutes les procédures d’importation en Côte d’Ivoire. Le pays est classé 142ème sur 189 en 2016.

En fin de compte, la réponse politique est simple: réduire les droits d’importation, simplifier toutes les procédures, et promouvoir la responsabilisation grâce à un accès facile à l’information et aux données (comme le propose LIDER depuis cinq ans, NDT). A Singapour, Célestin aurait payé une taxe de vente générale de 7 pour cent et un droit de douane moyen de seulement 1 pour cent. A l’île Maurice, le taux de tva est de 15 pour cent et le plus élevé des droits de douane est de 15 pour cent. Dans un effort pour réduire les conflits autour de la valeur des biens, les Seychelles ont introduit une redevance forfaitaire pour toutes les importations de biens personnels d’une valeur de moins de 300$.

En outre, des contrôles et des audits efficaces, ainsi que la publication des noms des tricheurs (à la fois des secteurs public et privé) ou celle de plaintes sur les médias sociaux peuvent renforcer la crainte de sanctions. Et devinez quoi? Dans tous ces pays, le niveau de corruption est faible (voir leur classement dans les indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale) et leurs recettes douanières ont augmenté au fil du temps, Célestin et d’autres ayant plus d’incitations à acheter des cadeaux d’autres pays.

Jacques Morisset est lead economist and chef de programme de la Banque mondiale pour la Côte d’Ivoire

Traduction : LIDER

Commentaires Facebook

Les commentaires sont fermés.