Quand il a été convoquée par la justice française, il n’a pas quitté Paris en catimini mais s’est présenté devant le juge. Pourquoi n’a-t-il pas pris nuitamment la poudre d’escampette comme l’autre qui adore faire le matamore ou jouer les braves? Parce que c’est un garçon et non un lâche, parce qu’il est convaincu de n’avoir rien fait de répréhensible, parce qu’il a la conscience tranquille, parce que ses mains et sa bouche ne sont pas dégoulinantes du sang des Ivoiriens, parce qu’il ne se reconnaît pas dans les accusations farfelues portées contre lui (« meurtre, menaces de mort, complicité de violences, atteinte à la liberté individuelle »), parce qu’il n’a jamais cassé de banques à Bouaké, à Korhogo ou à Man, parce qu’il ne fait pas partie du club des égorgeurs, éventreurs et buveurs de sang, parce qu’il n’a jeté personne dans un puits, parce qu’il n’était ni commanditaire ni auteur des massacres de Nahibly, de Guitrozon, de Petit Duékoué, d’Anonkoua Kouté ou d’Adebem, parce que la seule arme qu’il ait toujours utilisée, pour combattre l’injustice, la discrimination et l’oppression, c’est sa caméra.
Bakaba est effectivement acteur de cinéma et cinéaste. En tant que cinéaste, il a réalisé des films de fiction et des documentaires tels que Les Guérisseurs (1988), prix de la meilleure musique au Festival du Cinéma Francophone, la Voix de l’espoir au Fespaco de Ouagadougou en 1989, “Le Nord est tombé sur la tête” (1985-1998) pour la chaîne TV5, “La Parole” (1992), “L’Anniversaire de Daymios” (1992), “Cinq siècles de solitude”, “La victoire aux mains nues” (2002), “Roues libres” qui remporta le prix du meilleur scénario en 1998 au festival d’Amiens. Comme acteur, il joua dans “Pétanqui”, “Le médecin de Gafiré”, “Mami Watta”, “Bako ou l’autre rive”, etc. On le voit: Bakaba a appris à faire quelque chose avec sa tête et ses mains; il n’a pas cherché à brûler les étapes comme certains Ivoiriens superficiels et cupides. Devenir riche et célèbre, vite et en usant de moyens peu recommandables, ne fut jamais sa préoccupation. Il s’est plutôt attelé à gagner son pain à la sueur de son front. S’il a dirigé le palais de la Culture de 200l à 2010, il le doit uniquement à ses compétences, à la différence de certains qui ne seraient rien dans notre pays sans les armes. Bref, Bakaba n’est ni tueur ni voleur ni violeur ni dictateur. Les vrais tueurs, violeurs et voleurs sont à Abidjan.
Alors, pourquoi le régime sanguinaire et totalitaire d’Abidjan soutenu par la France a-t-il porté plainte contre lui? On s’acharne sur lui parce qu’il est resté fidèle à Laurent Gbagbo qui n’a jamais voulu être un sous-préfet de la France, parce qu’il n’a pas répété avec la meute de crétins et de pantins que Gbagbo voulait exterminer les musulmans et les Nordistes. Mais on lui en veut surtout parce qu’il a filmé et conservé tout ce qui s’est passé à la résidence du chef de l’Êtat entre fin mars et le 11 avril 2011, parce qu’il a été témoin oculaire des crimes de la France contre un pays qui avait la capacité de régler tout seul ses problèmes. On lui reproche d’avoir vu des choses qu’un pays soi-disant attaché aux droits de l’homme et à la démocratie n’aurait jamais dû faire. On craint que son film sur le bombardement de la résidence présidentielle par l’armée française, s’il est projeté, ne ternisse un peu plus l’image de la France. Mais cette crainte est aussi stupide que le fait que Bakaba soit accusé de complicité de violence par ceux-là même qui ont introduit la violence dans notre pays en 1999. L’ancien directeur du palais de la culture révèle, en effet, qu’il n’est “pas allé sur le front avec l’intention de se battre, arme au poing” mais que “c’est le front qui est venu vers lui”. Il ajoute: “Ma maison se trouve dans le pourtour présidentiel, à quelques minutes à pied de la Résidence présidentielle. Progressivement, les bruits de guerre se sont rapprochés. Un jour, je me réveille, et je vois devant mon domicile quelques centaines de jeunes combattants loyalistes. Ils m’expliquent qu’Abidjan est divisée, et que seuls les combattants sont dans la rue… Bref, ils m’expliquent que je ne peux pas sortir seul même pour acheter du pain.” Le cinéaste poursuit: “Et ils me proposent de m’escorter, de me protéger d’une certaine manière. J’écoute ces jeunes soldats, qui sont mes compagnons par la force des choses. Et il me semble que je retrouve dans leur bouche les mêmes mots que ceux des jeunes qui, les mains nues, ont affronté les chars français en novembre 2004. Sauf que là, ils sont armés. Ils disent qu’ils sont prêts à mourir… Ils répètent : «Nous voulons libérer la Côte d’Ivoire, nous voulons libérer l’Afrique. L’indépendance que vous, nos oncles, avez eue, elle n’est pas réelle. Nous avons la mémoire de 2004. Cette fois, cela ne se passera pas comme ça, ils ne nous trouveront pas les mains nues ». La phrase « il faut libérer l’Afrique » crée une résonance en moi. Nous l’avions prononcée il y a longtemps, quand j’étais jeune, quand nous commencions à remettre en cause les indépendances dans nos pays. Je suis donc allé voir, sentir, et pourquoi pas témoigner de ce qui apparaissait déjà comme un remake de novembre 2004.”
Ce que la France et Ouattara ne pardonnent pas à Sidiki Bakaba, c’est de vouloir la liberté pour son pays et son continent, de faire partie des Africains opposés à cette indépendance factice que nous avons obtenue en 1960, d’être de ceux qui veulent libérer enfin l’Afrique francophone, c’est-à-dire la débarrasser du franc CFA, des bases militaires françaises, des accords de coopération qui jusqu’ici n’ont profité qu’à la France. Parce que sa cause est noble, parce que son combat est juste, parce qu’il nous rappelle Modibo Keita, Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Sékou Touré, Thomas Sankara, Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Samora Machel, Amilcal Cabral, Mongo Beti, Frantz Fanon, Ahmed Ben Bella, parce qu’il n’a rien à voir avec les prétendus agrégés et professeurs qui constamment disent et se dédisent ou arrêtent de parler pour le peuple dès qu’ils ont eu gain de cause (villas, voitures et argent), cet homme mérite le respect et le soutien de tous les souverainistes africains.
Jean-Claude Djereke
Les commentaires sont fermés.