Côte-d’Ivoire forêts protégées: des agents de l’État incendient maisons et récoltes

Foret

Observateurs France24, écrit en collaboration avec Alexandre Capron, journaliste

Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, des habitants de forêts classées affirment être victimes de violences de la part des autorités chargées de préserver les lieux. Intimidation, humiliations, expulsions, incendies des maisons et des récoltes sans sommation, ils dénoncent de graves abus, comme le rapporte notre Observateur, qui s’est rendu dans la ville de Zagné.

La forêt ivoirienne se raréfie au fil du temps. En 1900, la moitié du territoire national était recouverte de forêts ; en 2015, cette proportion était tombée à 12%. Ceci s’explique par la présence de bois précieux et par la qualité des sols, propices à la culture du cacao et riches en minerais.

A partir des années 1960, l’État ivoirien a décidé de classer la plupart des territoires forestiers afin de les protéger. le pays compte aujourd’hui 231 forêts protégées. Des titres de propriété, autorisant en certains endroits les cultures, ont été distribués sous contrôle des autorités. Mais il arrive que certains de ces exploitants étendent leur culture au-delà du territoire alloué. Et surtout, des pratiques illégales se sont développées : des personnes s’installent et exploitent les forêts et leurs sols hors de toute autorisation, d’autres s’adonnent au trafic, notamment de cacao.

Un de nos Observateurs, Marius (pseudonyme), a pu se rendre à Zagné, près de la forêt de Cavally, un des endroits où sont intervenus des agents de la Sodefor au mois de mai. Pour des raisons de sécurité, il témoigne sous anonymat.

Dans cette petite localité, j’ai rencontré environ une cinquantaine de personnes qui se sont retrouvées sans rien après le passage d’agents de la Sodefor. Ces visites ont généralement lieu au moment de la récolte du cacao – la première de l’année se déroule de mai à août. Et pour ce mois de mai, des interventions de la Sodefor ont été très brutales : j’ai vu plusieurs champs et des maisons totalement brûlés. J’ai même retrouvé des cadavres d’animaux sur les lieux incendiés.

Notre Observateur s’est rendu près de Zagné où il a rencontré des occupants de la forêts qui ont vu leurs plantations brûler. Photo de notre Observateur Marius.

J’ai rencontré un vieil homme, qui habite ici depuis cinq ans, mais n’a pas de titre de propriété. Il avait un grenier à riz, une récolte d’igname en préparation… mais il a tout perdu. Lorsque je suis arrivé sur les lieux, près de trois semaines après l’incendie, certains arbres étaient encore en train de fumer. Rien n’a repoussé dans la région, malgré les pluies abondantes. C’est selon moi un signe que l’incendie a été particulièrement violent. Certains ont tout perdu et n’ont même plus leurs documents d’identité.

Les gens ici sont particulièrement en colère car, à l’image de ce vieillard, ils versent régulièrement des pots-de-vin aux agents pour éviter de voir leurs plantations brûlées. Par exemple, ce monsieur m’a affirmé avoir versé 50 000 francs CFA (76 euros) aux agents de la Sodefor. Quelques jours après, la zone a été incendiée. » [Notre Observateur n’a pas la preuve du versement de ce montant mais il correspond aux chiffres avancés par les ONG dans leur rapport, NDLR.]

L’homme qu’a rencontré notre Observateur au mois de mai tente de vérifier ce qu’il peut encore sauver dans sa plantation incendiée quelques jours auparavant après le passage d’agents de la Sodefor. Photo de notre Observateur Marius.

Le code forestier ivoirien de 2014 est clair concernant les sanctions pour une personne qui « crée des logements, défriche la forêt ou cultive sur des terres classées sans autorisation préalable » : il prévoit une peine de trois ans de prison et une amende pouvant aller jusqu’à 5 millions de francs CFA (7535 euros).

Cependant, selon le rapport de HRW, les agents de la Sodefor utiliseraient la menace d’une action en justice pour obtenir des backchichs, en liquide ou en nature (notamment des prélèvements des récoltes de cacao) en échange de leur bienveillance. Selon notre Observateur, ces faveurs seraient totalement arbitraires.

Video amateur tournée par notre Observateur permettant de vérifier l’ampleur des dégâts dans la forêt de Cavally, près de Zagné.

Selon notre Observateur, ces faveurs seraient totalement arbitraires.

« Certains habitants affirment avoir été attachés à des arbres et abandonnés pendant plusieurs heures en guise d’avertissement »

À Zagné, ce sont principalement des personnes qui ne sont pas originaires de la région qui sont visées par les agents de la Sodefor. Les premières victimes sont avant tout des Burkinabés et des Maliens, mais aussi des Ivoiriens originaires du nord de la Côte d’Ivoire. Selon les témoignages, les interventions se font non seulement contre ceux qui n’ont pas pu payer pour avoir du répit, mais aussi à la tête du client.

Ceux qui s’y opposent peuvent parfois passer un très mauvais moment. Des habitants m’ont montré l’un des leurs qui avait été selon eux passé à tabac par des agents de la Sodefor. Il avait des plaies dans le dos. D’autres affirment avoir été attachés à des arbres et abandonnés pendant plusieurs heures en guise d’avertissement.

Photos de présumées victimes de violences d’agents de la Sodefor à Cavally. Lors dos présentes des plaies consécutives à des coups de bâtons. Photo prise au mois de mai par notre Observateur Marius.
Ce qui me bouleverse, c’est que même s’ils ont été battus, ou leurs champs incendiés, la plupart de ces gens restent là et continuent leurs activités. Pour la plupart, ils ont investi tout leur argent dans leur projet d’exploitation et, indirectement, leur activité profite à l’économie du pays, parfois via des filières clandestines [la Côte d’Ivoire génère environ 40 % de la production mondiale de cacao, NDLR].

Ces expulsions se font systématiquement sans préavis et aucune solution ne leur est proposée. De l’autre côté, ce sont les agents qui sont censés protéger la forêt qui la brûlent !

Notre Observateur s’est aussi rendu dans la forêt de Cavally, cinq mois après un incendie provoqué par des agents de la Sodefor selon les habitants. Dans la zone, la végétation n’a que très peu repoussé.

Nous savons qu’il y a eu des abus des agents ; après enquête, ils seront sanctionnés.
Marie-Chantal Djedje-Lecoq, conseillère communication auprès du ministre des Eaux et Forêts de Côte d’Ivoire

Dans son rapport, Human Rights Watch demande au gouvernement ivoirien de suspendre les expulsions pour adopter une nouvelle législation qui protègerait les agriculteurs. Contactée par France 24 pour réagir à ce rapport, Marie-Chantal Djedje-Lecoq, chargée de communication pour le ministère des Eaux et Forêts, assure :

Il y a eu des abus de certains agents, et nous avons diligenté une enquête pour savoir exactement ce qu’il s’est passé et prendre les sanctions nécessaires. Concernant la corruption, nous avons un vrai problème et nous en sommes également conscients. Le ministère met tout en œuvre pour identifier les responsables de ces arrangements et y mettre fin.

Cependant, ce serait trop facile d’octroyer des droits sur la simple base d’habitants installés dans la forêt. La question est de notre côté : « A-t-on affaire à des réfugiés? » N’importe qui ne peut pas venir s’installer dans la forêt parce qu’il l’a décidé et cultiver où bon lui semble, puis obtenir le statut de « réfugié » !

Nous menons des consultations avec les autorités locales pour établir les profils des personnes qui se trouvent dans la forêt. Nous proposons aux agriculteurs de continuer à exploiter leurs champs sur un contrat précis établi avec notre ministère, mais en leur demandant en échange de ne plus habiter dans la forêt. Au terme de ce contrat cependant, ces personnes devront quitter la forêt. C’est absolument nécessaire pour que le reboisement se fasse et que l’équilibre de l’écosystème ne soit pas perturbé.

Nous avons déjà fait des tests sur la base de contrats à Négré aves les populations locales, et cela fonctionne très bien. Cela permet à des agriculteurs de continuer à avoir un revenuavant de trouver une solution alternative.

Les forêts de l’ouest de la Côte d’Ivoire, et notamment celles du Mont Péko, sont des repaires de trafiquants de cacao. Certains n’hésitent pas à y faire travailler des enfants venus du Burkina Faso. En mars 2016, 7000 personnes avaient été évacués, et il restait, selon les autorités, environ 20 000 personnes dans la région.

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