(Human Rights Watch) Côte d’Ivoire: Gbagbo à la CPI sert l’intérêt de la justice – Il faut enquêter sans délai sur les crimes du camp Ouattara

Côte d’Ivoire: Côte d’Ivoire : Le transfèrement de Gbagbo à la CPI sert l’intérêt de la justice – Il faut aussi enquêter sans délai sur les crimes perpétrés par le camp Ouattara

« Il s’agit d’un grand jour pour les victimes des effroyables violences postélectorales dont la Côte d’Ivoire a été le théâtre. Le fait que Laurent Gbagbo et plusieurs de ses proches alliés doivent maintenant répondre de leurs actes devant la cour envoie un message fort aux dirigeants politiques et militaires ivoiriens, leur faisant comprendre que personne ne devrait être au-dessus de la loi. »
Elise Keppler, juriste senior au programme de Justice internationale de Human Rights Watch

(Nairobi, le 29 novembre 2011) – Le transfèrement de l’ex-Président Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye pour son rôle présumé dans des crimes internationaux perpétrés lors des violences postélectorales qui ont dévasté la Côte d’Ivoire est un pas important sur la voie de la justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Human Rights Watch a appelé le procureur de la CPI à procéder sans délai à des enquêtes sur les crimes graves commis par les forces alliées au président actuel, Alassane Ouattara.

Le refus de Gbagbo de se retirer de la présidence lorsque la Commission électorale indépendante et les observateurs internationaux ont proclamé Ouattara vainqueur du scrutin présidentiel du 28 novembre 2010 a déclenché six mois de violence. Au moins 3 000 personnes ont été tuées et plus de 150 femmes violées pendant cette période de conflit, souvent au cours d’actes ciblés perpétrés par les deux camps en fonction de critères politiques, ethniques et religieux.

« Il s’agit d’un grand jour pour les victimes des effroyables violences postélectorales dont la Côte d’Ivoire a été le théâtre », a souligné Elise Keppler, juriste senior au programme de Justice internationale de Human Rights Watch. « Le fait que Laurent Gbagbo et plusieurs de ses proches alliés doivent maintenant répondre de leurs actes devant la cour envoie un message fort aux dirigeants politiques et militaires ivoiriens, leur faisant comprendre que personne ne devrait être au-dessus de la loi. »

Selon les informations parues dans divers médias, les autorités judiciaires ivoiriennes auraient notifié Gbagbo du mandat d’arrêt de la CPI à la date du 29 novembre 2011. Gbagbo est le premier ex-chef d’État placé en détention par la Cour pénale internationale. Des mandats d’arrêt ont également été délivrés par la CPI à l’encontre du Président soudanais Omar el-Béchir et de l’ex-dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi. Béchir n’a pas été remis à la CPI, Kadhafi non plus.

« La CPI joue son rôle et montre que même les individus évoluant aux plus hauts niveaux de pouvoir ne peuvent échapper à la justice lorsqu’ils sont impliqués dans des crimes graves », a souligné Elise Keppler.

Les efforts déployés tant par la CPI que par le gouvernement ivoirien pour traduire en justice les auteurs des crimes postélectoraux sont importants pour la restauration de l’État de droit en Côte d’Ivoire, a fait remarquer Human Rights Watch. Néanmoins, il faut sans tarder ouvrir des enquêtes aux fins de poursuites à l’encontre des personnes ayant combattu au sein des forces alliées au Président Ouattara et impliquées dans des crimes graves.

Depuis l’arrestation de Gbagbo par les forces pro-Ouattara le 11 avril dernier, les procureurs civils et militaires ivoiriens ont inculpé de crimes postélectoraux plus de 120 personnes liées au camp Gbagbo. Aucun membre des forces pro-Ouattara n’a été inculpé de crimes postélectoraux. Cela fait naître le sentiment que la justice rendue est celle du vainqueur, ce qui risque d’alimenter davantage les tensions entre communautés, a expliqué Human Rights Watch.

« Bien que le camp Gbagbo ait attisé la violence en refusant de renoncer au pouvoir et en incitant à la commission d’exactions, les forces des deux camps ont à plusieurs reprises été impliquées dans des crimes graves », a fait remarquer Elise Keppler. « Les nombreuses victimes des brutalités perpétrées par les forces fidèles au Président Ouattara méritent également que justice leur soit rendue. »

Human Rights Watch a effectué six missions de terrain en Côte d’Ivoire durant la crise, recueillant des informations sur l’évolution des violences postélectorales depuis leur déclenchement en novembre 2010 jusqu’à la fin des combats en mai 2011. Un rapport publié par Human Rights Watch le 5 octobre a décrit les graves crimes internationaux commis par les deux camps et a mis en cause 13 dirigeants militaires et civils. Gbagbo a été désigné nommément pour le rôlequ’il a joué en tant que commandant en chef des forces armées qui ont perpétré des crimes de guerre et de probables crimes contre l’humanité. En dépit de preuves évidentes de crimes graves commis par ses soldats et par les milices qui l’appuyaient, Gbagbo n’a ni dénoncé les crimes, ni pris de mesures visant à les prévenir ou à ouvrir une enquête à leur propos.

En mai, le Président Ouattara a demandé à la CPI d’ouvrir une enquête sur les violences postélectorales, indiquant que les tribunaux ivoiriens seraient dans l’incapacité de mener à bien des poursuites à l’encontre des personnes aux plus hauts niveaux de l’État pour les crimes les plus graves qui ont été perpétrés. Les juges de la CPI ont autorisé le procureur à ouvrir une enquête le 3 octobre, évoquant des éléments de preuve relatifs à des crimes de guerre et à de probables crimes contre l’humanité commis par les forces armées des deux camps et par leurs milices alliées. Le transfèrement de Gbagbo le 29 novembre après son arrestation est le premier dans l’enquête ouverte par la CPI en Côte d’Ivoire. Des informations dignes de foi semblent indiquer que plusieurs alliés de Gbagbo impliqués dans des crimes graves pourraient également être visés par des mandats d’arrêt imminents émis par la CPI.

Le procureur de la CPI devrait également enquêter sur les affaires concernant les crimes commis lors du conflit armé de 2002-2003 et dans sa foulée, a déclaré Human Rights Watch. Les violences de 2010 ont été le point culminant d’une décennie de violations des droits humains et d’impunité en Côte d’Ivoire. L’absence de poursuites pour les exactions les plus graves perpétrées antérieurement risque de miner les efforts importants déployés pour garantir l’État de droit, a relevé Human Rights Watch.

À plusieurs reprises, le Président Ouattara a promis que toute personne impliquée dans des crimes commis pendant la période postélectorale serait traduite en justice. Pourtant, au vu des poursuites engagées au niveau national, ces promesses contrastent vivement avec la réalité.

« C’est précisément en raison de l’absence d’efforts fournis au niveau national pour poursuivre les auteurs des crimes perpétrés par les forces alliées au Président Ouattara que le procureur de la CPI devrait procéder sans délai à l’ouverture d’enquêtes sur leurs crimes graves et qu’il devrait encourager le gouvernement ivoirien à engager des poursuites nationales à l’encontre de tous les responsables de crimes graves, quel que soit le camp auquel ils appartiennent », a conclu Elise Keppler. « La justice pour les crimes commis par les deux camps s’avère cruciale pour rompre les cycles de violence qui ont frappé la Côte d’Ivoire au cours de la dernière décennie. »

Contexte
À partir de décembre 2010, après que Gbagbo eut refusé de reconnaître les résultats de l’élection, des unités des forces de sécurité d’élite étroitement associées à Gbagbo ont enlevé des responsables politiques locaux membres de la coalition de Ouattara, les traînant hors de restaurants ou hors de chez eux et les forçant à entrer dans des véhicules en faction. Leurs proches ont ensuite retrouvé les corps des victimes à la morgue, criblés de balles.

Des milices pro-Gbagbo gardant des postes de contrôle informels à Abidjan ont assassiné des dizaines de partisans réels ou présumés de Ouattara, les battant à mort à l’aide de briques, les exécutant à bout portant avec des fusils, ou les brûlant vifs. Des femmes actives dans la mobilisation des électeurs – ou qui portaient simplement des t-shirts pro-Ouattara – ont été prises pour cible et ont souvent été victimes de viols collectifs commis par des membres des forces armées ou des milices contrôlées par Gbagbo.

Alors que la pression internationale s’intensifiait pour que Gbagbo quitte le pouvoir, la violence s’est faite plus effroyable encore, a expliqué Human Rights Watch. La Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI), contrôlée par le gouvernement Gbagbo, a incité à recourir à la violence contre les groupes pro-Ouattara et a exhorté les partisans de Gbagbo à ériger des barrages routiers et à « dénoncer toute personne étrangère ». Ces faits ont été, à bien des égards, l’aboutissement de dix années de manipulation par Gbagbo de l’ethnicité et de la citoyenneté, période au cours de laquelle les Ivoiriens du nord ont été traités comme des citoyens de seconde zone et les immigrés ouest-africains comme des indésirables.

Entre février et avril, des centaines de personnes des deux groupes ont été tuées à Abidjan et dans l’extrême ouest du pays, parfois sur la seule base de leur nom ou de leur tenue vestimentaire. Les mosquées et les dirigeants religieux musulmans ont également été pris pour cible.

Les exactions perpétrées par les forces pro-Ouattara n’ont pris une telle ampleur que lorsqu’elles ont entamé leur offensive militaire pour s’emparer du pouvoir dans l’ensemble du pays en mars 2011. Dans l’extrême ouest, village après village, surtout entre Toulepleu et Guiglo, les membres des Forces républicaines alliées à Ouattara ont tué des civils appartenant aux groupes ethniques pro-Gbagbo, y compris des vieillards incapables de fuir ; ils ont violé des femmes ; et réduit des villages en cendres. À Duékoué, les Forces républicaines et leurs milices alliées ont massacré plusieurs centaines de personnes, traînant hors de chez eux, avant de les exécuter, des hommes non armés soupçonnés d’appartenir à des milices pro-Gbagbo.

Par la suite, lors de la campagne militaire visant à s’emparer d’Abidjan et à consolider leur contrôle sur la ville, les Forces républicaines ont à nouveau exécuté des dizaines d’hommes appartenant à des groupes ethniques alignés sur Gbagbo – parfois dans des centres de détention – et elles en ont torturé d’autres.

Au terme du conflit, les forces armées des deux camps avaient commis des crimes de guerre et selon toute probabilité des crimes contre l’humanité, a signalé Human Rights Watch. Une commission d’enquête internationale a présenté un rapport au Conseil des droits de l’homme à la mi-juin, établissant également que des crimes de guerre et de probables crimes contre l’humanité avaient été perpétrés à la fois par les forces pro-Gbagbo et pro-Ouattara. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, les Opérations des Nations Unies en Côte d’Ivoire, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme et Amnesty International ont tous publié des conclusions similaires.

Human Rights Watch

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