Transport urbain à Abidjan: Un calvaire pour les personnes à mobilité réduite

Par Salif D. Cheickna

Abidjan – La mégalopole ivoirienne compte selon les chiffres environ 5 millions d’habitants. La problématique du transport et surtout des déplacements s’y posent avec acuité. Un calvaire pour les personnes à mobilité réduite à Abidjan. « Dans les bus les personnes en situation de handicap éprouvent des difficultés dans ces moyens de transport toujours plein », dénonce Tiehi Laurent, le président de l’Ong Espoir Handicap.

Relier une commune à une autre s’avère souvent un parcours de combattant où pour être à l’heure au travail où répondre à des rendez-vous à temps, il faut s’organiser quelques heures en avance pour quitter son domicile. Et espérer ne pas arriver en retard. C’est dans cette galère que baignent les personnes à mobilité réduite qui emprunte le transport urbain. La société de transport Abidjanais (Sotra) qui constitue le moyen de déplacement le plus sûr est énormément utilisé par les usagers. Parmi lesquels, des personnes à mobilité réduite qui pour accéder aux autobus de ladite société sont entre la croix et la bannière. Outre l’accès, les places qui leur sont destinées sont très souvent occupées par des personnes qui n’y ont pas droit. Ces personnes à mobilité réduite sont pour ainsi dire soumis aux supplices de se tenir debout jusqu’à leur destination. Pour ceux d’entre elles qui disposent de moyens, ils ne peuvent que contre vents et marées emprunter le taxi compteur où d’autres types de moyens de transports, à savoir les « wôrô wôrô » (taxis banalisés) ou les minicars communément appelé « Gbaka ». A ce niveau également, pour éviter de subir la bousculade, les personnes en situation de handicap devront contrairement aux autres sortir de bonheur de leur domicile, bravant l’insécurité à Abidjan pour rejoindre leur lieux d’activité. Cette situation qui les desserrent dans un pays où le taux de chômage à leur niveau est le plus élevé constitue des dépenses supplémentaires pour ceux d’entre eux qui travaillent dans un pays où le Smig est fixé à 60000 FCFA.

En route pour son lieu de travail dans la commune du Plateau Aïcha Karembé qui habite à la périphérie d’Abidjan ne sait pas à quel saint se vouer. « Pour emprunter les autobus de la Sotra, je dois me réveiller à 4 heures du matin et être à la gare une heure plus tard », indique la jeune fille avec beaucoup d’amertume. C’est à cette condition qu’elle peut espérer avoir une place assise pour effectuer le trajet de son domicile à son service. Au-delà de 5 heures du matin, si Aïcha veut absolument se rendre au travail, elle devrait emprunter le taxi-compteur. Et cela coûte entre 4000 FCFA et 5000 FCFA. Si à l’aller la jeune fille semble avoir des solutions, cela n’est pas le cas pour le retour surtout lorsqu’elle finit son service aux environs de 17 heures. « La solution que j’ai trouvée, c’est de faire l’auto-stop. Très souvent par compassion des automobilistes me prennent pour réduire mon trajet. Cependant, cela n’est toujours pas le cas. Je suis donc résolue à emprunter le taxi compteur », nous a-t-il confié. A la fin du mois, la jeune fille affirme que le transport absorbe tout son salaire. Heureusement poursuit-elle qu’elle vit encore en famille. « Si je devais payer un loyer à la fin du mois, j’avoue que je ne m’en sortirais pas du tout », soutient-elle.

Mélissa Kouamé est secrétaire dans une Ong pour la promotion des personnes à mobilité réduite. Personne en situation de handicap, Mélissa est confrontée à un problème de déplacement. La solution trouvée, c’est de dormir sur place à son lieu de travail où la structure a aménagé un dortoir pour permettre à la jeune fille handicapée moteur de ne pas subir la galère du transport en commun à Abidjan. Cependant, le jour où elle doit regagner son domicile dans la commune de Yopougon, elle devra affronter la dure réalité d’Abidjan en matière de transport. Les parents de Mélissa sont heureux de voir leur fille exercer une activité et ont admis qu’elle dorme sur son lieu de travail. Quand elle doit regagner le domicile familial, c’est entre 4500 FCFA et 5000 FCFA qu’elle devra débourser. Pour les parents de Mélissa qui la soutiennent, l’essentiel c’est que leur fille s’épanouisse. Ce n’est pas le cas pour toutes les personnes en situation de handicap qui vivent à Abidjan.

En Côte d’Ivoire, la mobilité des personnes en situation de handicap n’est véritablement pas règlementée. Il n’est pas rare de voir des personnes occupant leur place dans les autobus de la Sotra se soucier de leur sort. Ainsi, que ces personnes à mobilité réduite aient une place ou pas, ils n’en ont cure.

Et pourtant, la constitution ivoirienne dispose en son article 6 que « L’Etat assure la protection des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées. Et en son article 32 que « L’Etat s’engage à garantir les besoins spécifiques des personnes vulnérables. Il prend les mesures nécessaires pour prévenir la vulnérabilité des enfants, des femmes, des mères, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Il s’engage à garantir l’accès des personnes vulnérables aux services de santé, à l’éducation, à l’emploi et à la culture, aux sports et aux loisirs. » Cependant en Côte d’Ivoire, il n’existe pas de lois, de normes et pratiques discriminatoires à l’encontre des personnes âgées en situation de handicap.

D’ailleurs, la problématique du transport des personnes handicapées a été l’objet d’un débat en juin 2019, à Abidjan sous le haut parrainage d’Amadou Koné, Ministre des Transports. A cette occasion, l’Ong Espoir Handicap dirigée par Tehi Laurent a tiré sur la sonnette d’alarme tout en interpellant le pouvoir public sur la situation des personnes à mobilité réduite dans le transport. « Dans les transports en commun et sur nos routes, les personnes en situation de handicap sont marginalisées et en danger », a-t-il dénoncé. Et d’affirmer qu’en Côte d’Ivoire, il n’y a pas de mesures concrètes pour protéger ces personnes ». Pour preuve, dira-t-il, « les feux tricolores ne sont pas sonores ». Comment, s’interroge-t-il, les non-voyants peuvent-ils traverser la route en toute sécurité. Conséquence immédiate, ils sont exposés à des risques d’accidents graves. Aussi M. Tehi dénonce-t-il, l’absence des rampes devant les établissements publics ou privés.

Il faut noter que selon la direction de la promotion des personnes handicapées, la Côte d’Ivoire compte 453453 personnes en situation de handicap dont 58% d’hommes et 42% de femmes. « Si nous nous référons au Recensement général de la population et de l’habitat de 2014 (RGPH 2014), on a dénombré environ 453 000 personnes handicapées en Côte d’Ivoire. Environ 90% sont des handicapés physiques et 10% des handicapés psychiques. Dans cette population, nous avons 58% d’hommes et 42% de femmes et environ 70% de ces personnes handicapées vivent en milieu rural », a révélé M. Koné Victorien, directeur de la promotion des personnes handicapées parlant de la représentation statistique des handicapés en Côte d’Ivoire.

L’on retient que discriminés, les personnes à motricité réduite éprouvent de grandes difficultés non seulement pour s’insérer dans la société mais également pour se déplacer dans le cas où ils obtiennent un emploi décent.

Salif D. CHEICKNA

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