D’Houphouët à Ouattara – Que de chemins parcourus par la Côte-d’Ivoire

Houphouët-Boigny, le père de la Côte d’Ivoire moderne

Le 7 août 1960, il est minuit, le Premier ministre Houphouët-Boigny, entouré des trois chefs des États de l’Entente, et de M. Louis Jacquinot, ministre d’État, représentant la République française, a proclamé l’indépendance de la Côte d’Ivoire au cours d’une séance solennelle à l’Assemblée nationale. Ce 7 août 1960, Félix Houphouët-Boigny droit dans ses boîtes proclame l’indépendance de la Côte d’ivoire à travers une phrase qui continue encore de traverser le temps :
« En vertu du droit qu’a tout peuple à disposer de soi-même, je proclame solennellement l’indépendance de la Côte d’Ivoire ».
Pour la première fois, “l’Abidjanaise », l’hymne national ivoirien, exécuté par la musique de la Garde républicaine a retenti tandis qu’une salve de 1O1 coups de canon était tirée et que la foule clamait son enthousiasme. Notre pays devenait de ce fait une ancienne colonie française.
Ce que l’on sait d’Houphouët, c’est qu’il n’était pas le plus grand intellectuel de son époque. Son nom n’est d’ailleurs cité par aucune communauté universitaire, il n’est auteur d’aucun livre. En revanche, les historiens de son époque disent de lui qu’il était doté d’un génie politique hors pair. Il était un grand visionnaire, il savait apprécier les réalités politiques de son temps, il connaissait parfaitement « l’homme blanc » et savait le caresser dans le sens de ses poils. Membre du gouvernement français, Houphouët était dans la haute sphère politique. Il a demandé l’indépendance au moment opportun, pas dans la précipitation comme certains de ses voisins et cela lui a valu la confiance de l’ancienne colonie qui l’a accompagné dans sa politique de développement. C’était de la sagesse. Une fois au pouvoir, Houphouët d’une main de fer régné sur le pays sous le regard bienveillant des décideurs français et a posé des bases solides d’un pays moderne : éducation, santé infrastructures, économie, culture, religion…il passe tout au scanner, imprime ses marques et notre pays devient le eldorado de la sous-région. Avec à la clé un miracle économique. « La Côte d’Ivoire de la belle époque » qui attirait toutes les communautés de la sous-région sans tris et sans conditions. Chacun venait y faire fortune. Parce que notre économie était en plein essor, il fallait accueillir la main d’œuvre abondante et moins chère. Point besoin à cette époque-là de polémiquer sur les conséquences lointaines de l’immigration. Avec Houphouët, c’était la stabilité, la prospérité, vivre-ensemble.
7 août 1960 au 7 décembre1993, Houphouët a longuement régné à la tête de la Côte d’Ivoire avec sagesse. Il a su rassembler une mosaïque de tribus, de royaumes, de peuples et d’étrangers. Il avait une idée précise de la gestion du pouvoir d’État. Il savait souffler le froid sur le chaud. Il était un ange et démon, un « gentil-méchant » papa, concepteur de faux complots quand il le fallait. Houphouët était un chef charismatique à la tête d’un pays aussi important. Leadership assuré et assumé sur la scène continentale et mondiale. Houphouët était à la fois un homme, un lion et un renard. On nous dit qu’il aimait lire le Prince de Nicolas Machiavel et c’est même de cette expérience qu’il doit sa longévité au travers de ses pratiques à la fois humanistes et machiavéliques. Houphouet a laissé en héritage un grand pays doté d’infrastructures essentielles avec une ressource humaine de qualité.

Henry Konan Bédié ou Une symphonie inachevée

L’adage qui dit « qu’aux Ames bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », s’applique aisément et à merveille à Henri Konan Bédié, dauphin constitutionnel du
Président Houphouët et deuxième Président de la République de Côte d’Ivoire!
En effet, à moins de trente ans d’âge, il fut nommé au Poste très prestigieux d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République de Côte d’Ivoire près les États-Unis D’Amérique.
Après de bons et loyaux services à ce Poste, Monsieur Bédié bénéficia d’une Promotion extraordinaire en qualité de Ministre de l’économie et des finances, très haute fonction qu’il occupa et
Assuma, continuellement pendant treize ans, avec beaucoup de dévouement et de responsabilités, de bruits et de rumeurs :
À cette Fonction Stratégique, il était l’un des fidèles piliers du système Houphouët qui a jeté les bases et les fondements du Miracle économique ivoirien : en effet, sous son Autorité, plusieurs Sociétés d’État ont été créés dans tous les secteurs d’activités de développement.
Pendant l’exercice de cette importante charge ministérielle, Konan Bédié connut beaucoup d’honneur et de gloire ; mais il fut également très critiqué par ses détracteurs de s’être enrichi et d’avoir fêté ses milliards personnels en francs CFA! Bédié après avoir été limogé du gouvernement après un large remaniement ministériel mais fut très rapidement recasé et trouva un point de chute doré dans les Institutions Financières de Brettons Wood à New-York !
En 1980, il fit un retour en force au Pays : il fut élu, cumulativement, Député de Daoukro sa ville natale et Président de l’Assemblée Nationale de Côte-d’Ivoire, devenant ainsi la deuxième Personnalité Importante du Pays et Successeur de Droit du Président de la République ! Le voici donc dans l’antichambre d’Houphouët.
Avec beaucoup de sagesse et de patience à ce poste prestigieux et honorifique, Bédié arrive au Pouvoir suprême de la présidence de la République en décembre 1993, après le décès du père fondateur. Il termine le mandat d’Houphouët comme prévu par la constitution et remporte une sa première élection présidentielle émaillée de boycott et d’incompréhension avec l’opposition de gauche qui est rejointe par des dissidents du Pdci réunis au sein du Rassemblement des républicains (Rdr) et dont le vrai chef de fil n’est autre que le 1er premier ministre d’Houphouët. La gestion de Bédié à la tête de l’Etat n’a été que marquée par des incompréhensions sur la question de l’identité ivoirienne avec un concept sorti des laboratoires du pdci, la mauvaise communication faite autour d’elle et sa mauvaise exploitation par l’opposition. Bédié n’aura donc pas le temps de mettre en œuvre son gigantesque projet « éléphant d’Afrique » et est contraint de prendre la route de l’exil sous la menace des militaires dirigés par un certain Guéi Robert la veille de Noël 1999 et, ce, à seulement quelques mois des élections présidentielles.

ROBERT GUÉI comme dans un rêve

L’ancien chef d’état-major limogé par Bédié en 1995 prend une éclatante revanche la veille de Noël 1999 à la tête d’un comité national du salut et contraint son ancien patron en exile d’abord au Togo puis en France. A ses premières heures, il déclare être venu avec les « jeunes gens » balayer pour mettre de l’ordre dans la maison ivoire et s’effacer. Il organise un référendum sur la constitution pour dit-il corriger certaines dispositions de cette constitution notamment l’article 35 à l’origine de toutes les tensions. L’appétit venant en mangeant, le nouveau « père Noël » de la lagune ébrié va remplacer sa tenue militaire par un costume. Il se voit un destin national et envoie des signes au parti d’Houphouët qui lui oppose une fin de non-recevoir contenue dans une célèbre sagesse populaire : « si tu es l’assassin de mon père, alors tu n’épouseras pas ma mère ». Entendez si tu as chassé notre « fétiche » Bédié du pouvoir, alors tu n’auras pas la bénédiction du pdci. Guéi Robert crée son propre parti udpci mais se présente à l’élection présidentielle en candidat du peuple, tente de confisquer le pouvoir d’État et fini par être délogé du palais par une rue en colère et acquise à la cause de l’opposant historique et charismatique Laurent Gbagbo qui prête serment le 26 octobre 2000.

Laurent Gbagbo, un homme politique atypique. Il voulait violer les codes de la françafrique

Le nom de Laurent Gbagbo se confond à l’histoire de gauche ivoirienne. Pièce maîtresse du retour du multipartisme en Côte d’Ivoire, farouche opposant au père fondateur. Co-fondateur du front populaire ivoirien. L’homme a connu la prison, l’exil, la souffrance et les pires humiliations. Candidat face à Houphouët en 1990, c’est finalement en 2000 qu’il accède au pouvoir d’État au terme d’une confrontation avec la junte militaire qui tente de lui voler sa victoire. Il prête serment le 26 octobre 2000 et s’installe dans ce palais en forme d’un tabouret akan. Il accède au pouvoir dans des conditions qu’il juge lui-même de calamiteuses. Laurent Gbagbo le social au pouvoir, ce n’était pas prévu dans plusieurs chancelleries surtout par les héritiers de la françafrique. Avec Laurent Gbagbo au pouvoir, commence une autre manière de gouvernance, vacances gouvernementales non pas sur les bords de la Seine mais à Grand-Bereby. Avec Laurent Gbagbo au pouvoir, on découvre les « rouages » de la françafrique. L’homme dit être venu refonder la société ivoirienne. Avec Laurent Gbagbo au pouvoir, toutes les vérités sont devenues bonnes à dire. C’est un populiste. Le pouvoir d’État commence à être désacralisé et cela ne pouvait plaire à tous ceux qui étaient nostalgiques de l’ordre ancien surtout dans des pays comme le Burkina voisin, le Togo et le Gabon où les dirigeants d’alors, cercle très fermé et digne représentants de la françafrique ne pouvaient supporter ce nouveau voisin perturbateur. Le contexte socio-politique interne étant pendant ce temps favorable à toute déstabilisation, arriva ce qui devait arriver. La suite on la connaît. Une tentative de coup d’État le 19 septembre 2002 se mue en rébellion et coupe le pays d’Houphouët en deux. C’est une décennie de crises avec son corolaire de traumatismes et de démolition du tissu social. Cette longue crise atteint son paroxysme par une autre crise postélectorale en 2010 qui fait officiellement 3000morts. Au terme d’une confrontation entre les forces en présence, Laurent Gbagbo est capturé par les forces favorables à son rival Alassane Ouattara. Incarcéré dans le nord du pays, Il est ensuite transféré à la cour pénale internationale d’où il recouvre sa liberté après plus de 8 ans de procès. Il regagne son pays et suscité de l’espoir pour la réconciliation.

Alassane Ouattara, Le 1er premier ministre d’Houphouët

Ce qu’on sait de lui, c’est que c’est un technocrate venu des hautes finances, fmi, Brettons Wood, Bceao…un « chirurgien » des économies en danger. L’homme nous dit avoir été aux cheveux de plusieurs pays « malades » .
C’est véritablement à la fin de l’année 1989 que nous découvrons l’un des nôtres, banquier et membre de la haute finance venir au secours du père fondateur qui connaît les pires moments de sa gestion du pouvoir d’État. C’est le moment où le miracle économique ivoirien s’est transformé en mirage économique. Des contestations sociales en gestation dans un contexte mondial où le vent de l’est s’apprête à souffler sur tous les continents notamment sur le continent africain avec ses vieux régimes déjà contestés par les populations. Nous sommes à quelques semaines du retour du multipartisme en Côte d’ Ivoire. Le 1er ministre d’Houphouët en plus de sa feuille clairement rédigé devra aussi contenir les contestations sociales. On a vu ce que nous avons pu voir avec surtout une date inscrite en lettre d’or le 18 février 92 marqué par une répression contre l’opposition et l’emprisonnement de ses leaders dont un certain Laurent Gbagbo.
A la mort d’Houphouët en 93, une bataille sans merci oppose ses héritiers. C’est la longue période de désamour entre Ouattara et Bédié. La suite on la connaît.

LE RÈGNE DE OUATTARA (2011…)

Ouattara est un homme de réseaux. Tout comme Houphouët, il a la confiance de la France, du moins de la France politique mais surtout de son ami Nicolas Sarkozy au pouvoir au moment de sa prise de fonction et qui s’est même déplacé spécialement le jour son investiture à Yamoussoukro.
Comme à son arrivée fin 89, il se fixe une fois encore la mission de remettre l’économie sur les rails. De nombreux voyages et travers le monde à la recherche des investisseurs qui ne tardent pas à prendre la destination Côte d’Ivoire. Le pays est en chantier, l’argent circule non pas dans le panier de la ménagère mais il travaille pour le pays. Il imprime ses marques, construction des routes, des écoles réhabilitation des universités, électrification villageoise, le repositionnement de Côte d’Ivoire sur la scène continentale et mondiale. Comme Houphouët, Ouattara sait protéger son pouvoir, il ne le désacralise pas. Il met l’opposition au pas. Houphouetiste, il respecte les codes de la françafrique. Le hic, c’est qu’il ne fait pas la géopolitique nationale comme Houphouet et c’est ici que ses compatriotes le taxent de faire du rattrapage ethnique. Tous les postes ou presque sont réservés aux membres de son parti quand ce n’est pas aux gens de sa communauté. De passage à Paris et repondant au journaliste Vincent Hugueux qui lui pose la question sur la nomination des nordistes à tous les postes clés de la république, voici ce qu’il repond: « Il s’agit d’un simple rattrapage. Sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40 % de la population, étaient exclues des postes de responsabilité ». Fin de citation.
Nous sommes en 2012. Comme Houphouët, fait la promotion de la la jeunesse même si ce n’est que la jeunesse de camp. Le chantier de la réconciliation lui reste un chantier totalement inachevé.

MA CONCLUSION

D’Houphouët à Ouattara, que de chemins parcourus. A chacun son style de gestion de son ambition pour la Côte d’ivoire. Véritable somme des « un peu un peu ». Fondamentalement, les ivoiriens n’ont pas de problèmes entre eux. Le seul et véritable problème qui reste à résoudre si nous voulons vraiment faire ce pas vers une vraie et véritable nation ivoirienne, c’est le problème de notre identité. Je ne veux pas employer le mot « ivoirité » même si dans le fond il est synonyme d’identité. Il nous faut un jour actualiser ce débat. Qui est ivoirien et qui ne l’est pas ? Qui peut être ivoirien et qui ne le peut pas ? Comment on devient ivoirien ? Comment contrôler l’immigration ? Quels sont les droits et devoirs de l’ivoirien et celui de l’étranger. On est ivoirien avant d’être baoulé, koyaka ou bété. Quand on aura abordé sans faux-fuyant, sans passion et sans fanatisme ces questions alors on aura fait un pas de géant pour une Côte d’Ivoire de paix et en paix.

Emmanuel de Kouassi / Connectionivoirienne dekouassi64@gmail.com

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