Côte d’Ivoire: A Guessabo (ouest), le port de pêche menacé par la raréfaction des poissons

Guessabo

Par Noé Michalon

Reportage

Les pirogues semblent surgir de nulle part, perçant le brouillard poussiéreux de l’harmattan qui nimbe le fleuve Sassandra. Au débarcadère du Petit Pont du village de Guessabo, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Daloa (Centre-Ouest ivoirien), les pêcheurs et revendeurs se font passer des sacs et bassines remplis de volumineux poissons, de plus en plus rares ces dernières années.

« Il n’y a plus de poissons », résume placidement, un sourire gêné sur le visage, Ambroise Tapé, pêcheur depuis le début des années 1980. « Depuis quelques années ça ne va plus », témoigne cet homme rieur, debout sur les sables glissants des terres inondables au bord du cours d’eau.

Réputée pour alimenter en poissons toute la région et les capitales politique et économique de la Côte d’Ivoire, Yamoussoukro et Abidjan, la localité de Guessabo est sur le point de perdre son grade en perdant sa principale activité : la pêche, notamment de la carpe, charnue dans les eaux de ce fleuve et très prisée dans tout le pays.

« On a trop pêché, et les gens ne respectent pas toujours les tailles réglementaires de mailles de filet qui nous sont imposées, pour des raisons de prix trop élevés parfois », déplore M. Kassi, un autre pêcheur, au milieu de la petite foule qui suit l’arrivée de l’une des embarcations.

La surpêche et la raréfaction des poissons qui en découle semble avoir des répercussions sur toute l’économie du village, de quelques milliers d’habitants. Un poisson qu’on achète à 10.000 Fcfa pouvait coûter entre 5.000 et 7.500 Fcfa il y a quelques années ». « Les prix augmentent », poursuit M. Kassi.

Les séances infructueuses de pêche ont mis de nombreux exploitants sur la touche. « Beaucoup de mes collègues ont quitté le travail pour rejoindre les travaux champêtres », analyse Isaïe Digbe Beule, la vingtaine, entouré d’amis pêcheurs de son âge.

« Tout le monde souffre », résume de son côté Mauser Kassi Attuoman, considéré comme le « doyen de la pêche » dans la région. « Les commerçants et les pêcheurs gagnent moins d’argent à dépenser, donc le commerce de tout le village est affaibli ces dernières années ».

Vendeuse sur un petit marché en bordure de route à quelques centaines de mètres de Guessabo, Odile Séri se plaint aussi des conditions de vie de plus en plus difficiles à endurer. « Maintenant, on n’arrive plus à résoudre nos problèmes ou à mettre nos enfants à l’école », témoigne la quadragénaire, forte de 23 ans d’expérience dans le métier.

Si la « qualité » et le prix encore « abordable » sont loués par les acheteurs de passage dans la région, à l’instar de M. Gueï, imposant homme d’affaires en visite depuis Abidjan, les prix continuent de croître, encore assez lentement pour ne pas affoler la clientèle du reste du pays.

« Même s’il n’y a pas assez de stocks, notre atout reste la qualité, reprend Mme Séri. C’est un poisson d’eau douce, il est naturel, il n’y a pas de formol dedans ! », reprend avec enthousiasme Mme Séri, brandissant une bassine remplie de corpulents tilapias. Malgré la période de déclin des ventes, il lui arrive encore d’avoir un chiffre d’affaires quotidien « satisfaisant ».

Le problème, partagé dans les localités voisines, est entre les mains des autorités. Une vingtaine de policiers veille aux alentours du débarcadère au bord du fleuve, pour contrôler la taille des prises.

« Les trop petits poissons pêchés sont saisis et détruits, puisqu’il s’agit bien souvent de carpes qui ne sont pas encore adultes », témoigne avec solennité l’agent Alain Rockefeller, qui ajoute que la règle, « en vigueur depuis sept ou huit ans », est désormais correctement appliquée après quelques mois d’instabilité.

L’un des « mareyeurs », comme sont surnommés les pêcheurs dans la région, a également une suggestion, qu’il propose dans l’anonymat, debout sur sa pirogue : « nous devrions faire comme dans d’autres fleuves du pays, fermer l’exploitation des stocks entre trois et six mois par an, afin de reconstituer les stocks ».

Chez les plus jeunes, au milieu des groupes d’enfants des pêcheurs, on participe encore activement au tri et au transport des prises du jour. Mais ce sont souvent des sourires gênés qui viennent répondre aux questions sur leur avenir dans la pêche pour les prochaines années.

NMI

Alerte info/Connectionivoirienne.net

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