La drôle d’amitié entre Ouattara et John Atta-Mills

L’actuel maître d’Abidjan était hier soir l’invité spécial de la chaîne de télévision TV5, à Paris. Comme souvent lors de ses interventions médiatiques hexagonales, il a multiplié les inexactitudes et les contre-vérités face aux questions dérangeantes du journaliste et aux reportages sans équivoque sur la situation réelle du pays – notamment avec l’intervention émouvante et pleine de vérité de Martine Kei Vaho, de l’association des ressortissants de Duékoué en France et en Europe. Gros plan sur les nombreuses griffures qu’il a infligées à la vérité des faits durant les douze minutes de son entretien avec la chaîne francophone.

La drôle d’amitié entre Outtara et Atta-Mills

Alassane Ouattara, on le sait, aime se prévaloir à longueur d’allocutions de proximités avec des grands de ce monde et des personnes qui attirent la lumière – il n’a pas manqué de rappeler que Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, était un de ses proches, ce qui explique sans doute un certain nombre d’attitudes étranges du Quai d’Orsay version socialiste.

Interrogé sur le décès du président ghanéen John Atta Mills, il s’est bruyamment prévalu de l’amitié du défunt. «John Atta Mills était un ami, un proche, qui m’a bien soutenu pendant la crise post-électorale», a indiqué Alassane Ouattara. L’on se souvient pourtant que c’est ce même Atta Mills, grand ami du toujours président du Rassemblement des républicains (RDR), que la presse du régime a étrillé sans complaisance, accusant son administration d’innombrables conspirations invraisemblables. «Le Ghana, complice des putschistes pro-Gbagbo ?», tonnait ainsi Le Nouveau Réveil le 14 juin 2012. «Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge !», disait Voltaire en son temps. Comme il avait raison…

Quand Ouattara refuse de répondre à une question pourtant très claire

«Est-ce que la Commission dialogue vérité et réconciliation a vraiment les moyens de travailler depuis un an ?», demande le journaliste de TV5 à Ouattara. Bien entendu, il évoque le boycott financier dont est victime l’institution dirigée par Charles Konan Banny, qui est de plus court-circuitée par de nombreuses initiatives parallèles, notamment celle que mène le Premier ministre Jeannot Ahoussou Kouadio. La question est claire. Mais Ouattara ruse et refuse d’y répondre, se réfugiant derrière de vagues considérations générales comme «la réconciliation ne se décrète pas» et de nombreux «moi je» qui éludent totalement le problème soulevé par son interviewer. Un problème réel et qui illustre plus que mille dissertations la mauvaise foi du régime.

Une drôle de conception du « flagrant délit » qui défie le droit et le bon sens

Interrogé sur la justice à sens unique qui est devenue la marque de fabrique de son régime, Alassane Ouattara répond : «On ne peut pas traiter en égalité des gens qui ont tué et des gens qui sont accusés d’avoir tué. Il faut que la justice fasse son travail. Ceux qui sont détenus, ceux qui sont jugés maintenant, sont des gens qui ont été pris en flagrant délit de crimes, de vol de la Banque centrale, de tortures, et ainsi de suite… Ils ont été pris sur les faits».

Ainsi donc, Gilbert Aké N’Gbo, Pascal Affi N’Guessan et les autres personnalités qui sont allées elles-mêmes demander la protection de l’ONUCI à l’hôtel Sebroko ont été pris «en flagrant délit», sur «les faits». Mais quels faits ? Qui a donc été arrêté alors qu’il soutirait de l’argent à la BCEAO ou qu’il en sortait ? Le gouvernement Aké N’Gbo a t- il fait un ultime Conseil des ministres entre deux coffres de la BCEAO le 11 avril alors que les FRCI «prenaient» Abidjan ?

Les collaborateurs du président Gbagbo, son épouse Simone et son fils Michel qui se trouvaient à la Résidence du chef de l’Etat ont-ils été pris en train de tuer, de torturer et de voler… ou tout juste alors qu’ils essayaient de sauver leur vie dans la folie des bombardements de l’armée française ? Bien entendu, des «adorateurs» portés sur la rhétorique et les missions impossibles essaieront de nous démontrer que le terme «flagrant délit» peut se défendre. Dans ce cas, ils devront en toute logique militer pour la mise en liberté immédiate de ceux qui sont en prison. En effet, en Côte d’Ivoire, la procédure de flagrant délit exige que la personne qui a été surprise commettant une infraction soit jugée immédiatement – ou en tout cas dans un délai maximum de quinze jours. Un délai dépassé pour des personnes arrêtées pour la plupart depuis avril 2011.

La commission d’enquête du régime n’a pas été mise en place il ya six mois!

Evoquant comme habituellement l’existence d’une Commission d’enquête devant statuer sur les crimes commis pendant la crise post-électorale, Alassane Ouattara a dit sur TV5 : «La Commission d’enquête que j’ai créée il y a six mois va rendre ses conclusions dans quelques jours». Le problème est que cette Commission a été créée il y a plus d’un an aujourd’hui, et non il y a six mois.

En septembre 2011, Alassane Ouattara prétendait que cette Commission rendrait ses conclusions «à la fin de l’année». C’est-à-dire il y a plus de sept mois. Est-ce pour masquer cet inquiétant sur-place qu’il se «trompe» ainsi sur les dates, trompant du coup son interlocuteur ? Alors que la présidente «originelle » de la Commission, Matto Loma Cissé, est devenue sans transition ministre de la Justice, déléguée auprès du Premier ministre, donc indissociable de l’exécutif, Alassane Ouattara persiste à affirmer que cette institution est «indépendante». Tant qu’il le dit en France, c’est-à-dire loin d’Abidjan, beaucoup de personnes peuvent effectivement le croire…

Quand Ouattara «déchire» les rapports de l’ONUCI

Interrogé par le journaliste de TV5 sur un certain «laxisme» au sein de l’armée, qui couvrirait les exactions des pro-Ouattara d’un oeil «bienveillant » selon les organisations de défense des droits de l’Homme – y compris Human Rights Watch, particulièrement «compréhensive» quand il s’agit de Ouattara – , l’actuel chef de l’Etat tente d’instrumentaliser les Nations unies pour couvrir ses nervis armés. «Nous travaillons avec l’ONUCI, les soldats des Nations unies, personne n’a dit qu’il y avait un tel comportement.»

Pourtant, les rapports de l’ONU sont remplis de critiques au sujet de «l’impunité» et du caractère incontrôlable des FRCI, dont la chaîne de commandement ne fonctionne manifestement pas. En tout cas pas quand il s’agit de se comporter de manière républicaine.

Quand Ouattara contredit son propre porte-parole

«Certains accusent l’ONUCI de n’avoir pas réagi. Mais leur mandat ne leur permet pas de le faire. Et ils ont le premier cordon de sécurité. Et c’est ensuite que viennent les Forces républicaines», a expliqué Alassane Ouattara à TV5, dans une démonstration quelque peu confuse. Le problème est que ses propos contredisent gravement ceux tenus par le Léon Kouakou Alla, porte-parole du ministère de la Défense… tenu par Alassane Ouattara lui-même. Dans un communiqué datant du 24 juillet, il expliquait : «Ni le premier cordon de sécurité établi par les FRCI, la gendarmerie et la police ni le deuxième, constitué par le bataillon marocain de l’ONUCI, n’ont suffi à arrêter la population en furie qui a investi le camp». Au final, qui croire ?

Philippe Brou
Le Nouveau Courrier

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