Ces pratiques moutonnières et moyenâgeuses en Côte-d’Ivoire: Les journées d’hommages et de reconnaissance au chef de l’État

5 mai 2024

La Côte d’Ivoire est un pays merveilleux. Au moment où on pensait en avoir fini avec certaines pratiques moyenâgeuses, force est de reconnaître que celles-ci ont la vie longue et refusent de mourir de leur belle mort. Au contraire, elles renaissent de leurs cendres, tel le sphinx.

Le samedi 4 mai 2024, la région de l’Agnéby-Tiassa a organisé sa cérémonie d’hommage et de reconnaissance au chef de l’Etat, pour le remercier des investissements qu’il a faits dans la région, sans oublier la promotion à des postes de responsabilité de certains fils de l’Agnéby-Tiassa. Tout cela mérite un merci fort et sonore au chef de l’Etat.

Ainsi après Songon, l’Agnéby-Tiassa est entré dans la danse, pour s’acquitter de ce qui est devenu un devoir, à l’effet de ne pas être taxée d’ingrate et bien plus, avoir d’autres subsides. Mystique du développement oblige ! Il va sans dire que d’autres régions emboiteront le pas pour ne pas être en marge du développement. Tout ceci nous ramène des années en arrière, avec des pratiques et des conceptions d’un autre âge qu’on croyait à jamais révolues.

Sous le président Houphouët-Boigny, la nomination d’un ministre ou d’un directeur général, donnait lieu à des réjouissances dans son village et dans son département, du fait que ces personnalités portent sur leurs épaules, la politique de développement dont ils seraient les catalyseurs. Cette conception était si ancrée, que les régions et les départements qui n’avaient pas de fils nommés à des postes de responsabilité, croyaient que le chef de l’Etat leur en voulait et qu’ils étaient la cinquième roue du carrosse sur le chemin tortueux du développement.

Juste parce que quelques rues sont bitumées dans le chef-lieu de la région ou du département, avec l’argent du contribuable

Pour les heureux départements et régions dont les fils sont nommés, les réjouissances sont à la hauteur des perspectives de développement qu’ils voient poindre à l’horizon. Dès lors, c’est une énorme pression et un lourd fardeau que doit supporter l’heureux nommé, qui cristallise toutes les espérances de bien-être de tout un peuple. Celui-ci est ainsi partagé entre la satisfaction des préoccupations des populations, et le souci de montrer patte blanche à celui qui l’a nommé.

Son souci est de prouver à son patron que les populations de chez lui sont toutes acquises à la cause du « nommeur ». On croyait légitimement en ce 21ème siècle, que ces croyances, ces conceptions et ces pratiques surannées et rétrogrades, étaient du domaine de l’histoire ancienne. Ce, d’autant plus qu’une nouvelle orientation a été donnée à travers les collectivités territoriales pour piloter le développement local.

Nous voilà donc revenus de plain-pied au moyen-âge avec ces journées de reconnaissance, d’hommage et de remerciements au chef de l’Etat, juste parce que quelques rues sont bitumées dans le chef-lieu de la région ou du département, avec l’argent du contribuable. Et dans l’imagerie populaire, plus la mobilisation dans ces cérémonies est forte, plus l’heureux élu aura montré à celui qui l’a nommé, qu’il a réussi la prouesse de mettre tous ses parents dans l’escarcelle du parti de son chef.

Pourvoir les mairies, conseils régionaux et districts de moyens conséquents pour répondre efficacement aux sollicitations des populations

Dans ce cas de figure, la probabilité de conserver son poste est grande, et bien plus, il pourra encore obtenir quelques autres infrastructures pour ses parents. Il est vraiment temps d’en finir avec cette mystification « du développement effectué en morceau choisi, en reconnaissance aux militants dociles, et en représailles aux localités insoumises » (Mgr Marcellin Yao Kouadio).

Pour le développement local, il a été mis en place des instruments de pilotage depuis des années : les mairies, les conseils régionaux et les districts. Il s’agit de pourvoir ces instruments de moyens conséquents pour répondre efficacement aux sollicitations des populations, dans un esprit d’équité, mu par une politique vraiment décentralisée, qui éviterait ces folklores infantilisants.

Il n’est donc pas nécessaire d’être reconnaissant à qui que ce soit, pour des investissements issus des impôts de tout le monde et pour lequel on a sollicité le suffrage du peuple. Le faire, équivaudrait à exprimer sa reconnaissance au guichet automatique d’une banque pour avoir sorti votre propre argent. Ainsi va le pays. Mais arrive le jour où l’ivraie sera séparée du vrai.

Par NAZAIRE KADIA

Analyste politique

Commentaires Facebook

Laisser un commentaire