Rien n’est encore joué pour la présidence de la Commission

Par DOUA GOULY Source: Fraternité Matin

Paix des braves entre les deux candidatsLa capitale éthiopienne, Addis-Abeba abritera du 9 au 16 juillet prochain le 19ème Sommet des Chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (Ua). Rencontre décisive pour l’avenir de l’Union dans la mesure où elle sera consacrée en grande partie à l’élection du président de la Commission. D’ici là, un constat se dégage. Les deux pays ayant engagé des candidats restent inflexibles sur leur position. Aucun consensus n’a été obtenu par le président en exercice de l’Ua, le président béninois Boni Yayi chargé par ses pairs, lors du dernier Sommet, pour rapprocher les blocs opposés. Le Gabon et l’Afrique du Sud maintiennent donc leur candidat respectif.

La Communauté de développement de l’Afrique australe (Sadc) qui parraine l’Afrique du Sud a donné le ton mardi dernier. Elle a changé de position. Cette organisation, selon l’agence de presse chinoise Xinhua, veut « qu’une femme devienne présidente de l’Union africaine ».

L’agence Xinhua rapporte que la ministre sud-africaine de la Coopération et des relations internationales, Mme Maite Nkoana-Mashabane, a déclaré à l’ouverture de la réunion Double Troïka de la Sadc tenue à Pretoria, cette semaine, que « L’Ua n’a eu aucun leader femme en 49 ans, malgré sa déclaration en 2010 sur la décennie des femmes africaines ». L’Afrique du Sud a présenté la candidature de la ministre des Affaires intérieures, Nkosazana Dlamini-Zuma à cette occasion.

L’Afrique du Sud, outre ce côté féministe, évoque également la nécessaire rotation entre les régions à la tête de la Commission. « Depuis la formation de l’Organisation de l’unité africaine (Oua), ancêtre de l’Ua, les régions du nord et du sud n’ont pas eu l’opportunité de la diriger au niveau de la présidence », a soutenu Mme Nkoana-Mashabane. Avant d’ajouter : « Dans cette décennie des femmes, de 2010 à 2020, la Sadc et la région australe présentent encore une candidate formidable correspondant à la résolution des Chefs d’État qui était de dédier cette décennie aux femmes (…). Nous sommes guidés, informés et inspirés par un objectif, celui de l’unité de notre continent. Nous pensons être maintenant prêts à faire face aux problèmes africains et à fournir des solutions africaines ».

Ce point de vue n’est pas toujours partagé par l’ensemble des sud-africains. C’est le cas de Simon Allison, un chroniqueur sud-africain, qui a critiqué l’arrogance de son pays. « … Le moment est on ne peut plus mal choisi. Nous avons besoin du reste de l’Afrique à nos côtés avant d’essayer d’en prendre la tête. N’ayant pas su le faire, nous essayons de passer en force. Cela ne fait que nous rendre encore plus antipathiques aux yeux du reste du continent. Bientôt, nous serons aussi impopulaires que l’Amérique ».

Le Gabon et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac) gardent la même position que celle exprimée en mai dernier par M. Emmanuel Issozé Ngondet, le ministre gabonais des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et de la Francophonie chargé du Nepad et de l’Intégration régionale. Position d’ailleurs partagée par les pays des autres blocs régionaux qui soutiennent la candidature de Dr. Jean Ping, notamment le Nigeria, le Kenya, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie.

Ils rejettent d’entrée les allégations tendant à faire croire que la Sadc n’a jamais présidé aux destinées de l’organisation panafricaine. « Salim Ahmed Salim a été le seul secrétaire général de l’Oua qui a eu à faire trois mandats consécutifs. Il est resté secrétaire général du 19 septembre 1989 au 17 septembre 2001. C’est un Tanzanien, donc un ressortissant d’un État de la Sadc », soutient Roger Nkodo Dang, du Cameroun dans une tribune du quotidien Le Jour. Il faut rappeler que la Sadc, initialement la Conférence de coordination pour le développement de l’Afrique australe, a été créée en 1980 à Lusaka par neufs pays de la ligne de front (Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Mozambique, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe) pour lutter contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud. Elle est devenue la Communauté de développement de l’Afrique australe (Sadc) (Southern african development community) en 1992 après l’indépendance de la Namibie.

Pour le chef de la diplomatie gabonaise, le soutien du Gabon à Jean Ping est motivé par le strict respect des principes qui président au bonLa délégation sud-africaine a célébré par des chants zulu le blocage occasionné par son candidat dans le hall de la salle de conférence de l’Ua en janvier dernier fonctionnement de l’organisation continentale. Notamment la règle des deux mandats et l’abstention des cinq grands contributeurs au budget de l’Ua (Afrique du Sud, Algérie, Égypte, Libye et Nigeria) et du pays hôte (Éthiopie) de briguer la présidence de la Commission.

Le fait de passer un mandat unique de quatre ans va, sans doute, créer un précédent dangereux dans l’histoire de l’organisation panafricaine. Toutes les organisations régionales et même l’Onu accordent à leurs chefs exécutifs, un deuxième mandat pour parachever leur projet.

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L’impuissance de Boni Yayi

Le président en exercice de l’Union africaine a réuni, à deux reprises à Cotonou, le Comité des Huit (Bénin, Côte d’Ivoire, Tchad, Algérie, Ethiopie, Angola, Gabon et Afrique du Sud) dit G8 mis en place à l’issue du 18ème Sommet pour trouver une solution à l’impasse de la non-élection du président de la Commission. Au cours des deux rencontres, le G8 a privilégié la voix du consensus. Les présidents Jacob Zuma et Ali Bongo Ondimba ont été invités à « engager des consultations bilatérales » en vue de parvenir à une solution concertée. Ce, dans « l’intérêt supérieur de l’Union africaine et du continent ». Mais force est de constater, au terme des travaux de la deuxième réunion tenue le 14 mai, l’échec des pourparlers. M. Arifari Bako, ministre béninois des Affaires étrangères a simplement déclaré à la presse « que les Chefs d’État et de gouvernement présents ont pris acte des résultats des consultations menées entre le Gabon et l’Afrique du Sud depuis le 1er Sommet du G8 du 17 mars 2012. Le Comité ad’hoc a décidé de poursuivre les discussions et de faire une dernière réunion à la veille du Sommet ».

Entre les deux réunions du G8, le Gabon a multiplié les visites en Afrique du Sud afin de convaincre le Président Zuma de retirer sa candidate en faveur de Jean Ping.

À cette occasion, il a été rappelé les liens historiques entre le Congrès national africain (Anc) et le Gabon. Il s’agit des contributions politiques et financières de feu El Hadj Omar Bongo dans la libération de l’Afrique du Sud du joug de l’apartheid. Au nom de la solidarité africaine qui a guidé les premiers dirigeants politiques, la délégation gabonaise a sollicité un second et dernier mandat pour son candidat. Les Gabonais sont retournés sans un résultat favorable.

La rude conquête des sous-régions

Les accords sont en cours de réalisation pour l’une ou l’autre des deux parties. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) dirigée par le Président Alassane Ouattara, sans le dire de façon explicite, soutient le candidat de la Cemac. Le Nigeria, en dépit d’être anglophone, a opté pour le candidat gabonais. Car, le géant ouest-africain veut respecter le principe qui met à l’écart les gros payeurs du budget de l’Union. Jean Ping a été très acclamé lors du dernier sommet de la Cedeao tenu à Yamoussoukro fin juin 2012. Il a certainement mis ce séjour à profit pour convaincre les derniers sceptiques.

Il ne reste plus que les pays de l’Afrique du nord et de l’est. Dans le premier bloc, plusieurs missions ont été effectuées par les deux camps. La dernière a été la visite de Jean Ping en Algérie, dans le cadre de la recherche des solutions à « la situation en Afrique, notamment au Mali ». Le camp sud-africain a toujours accusé Ping de « la mauvaise gestion de la crise libyenne ». Alors que l’Afrique du Sud, en votant la résolution des Nations Unies, a favorisé le bombardement de la Libye et la mort de Kadhafi qui en a suivi.

Il reste l’Afrique de l’est dont, certains de ses pays soutiennent Ping et Mwencha (Kenya), qui est le seul candidat à sa propre succession en tant que vice-président de la Commission, et d’autres qui sont encore indécis. Mais cette sous-région s’appuiera sans doute sur la décision de l’Éthiopie qui la représente au G8.

Vers l’implosion de l’Union

Un observateur de la bataille entre le Gabon et l’Afrique du Sud estime que cette lutte risque de laisser des antécédents graves au niveau de l’Union. Antécédents qui, si l’on ne prend garde peut emporter l’organisation. « Les grandes puissances économiques ne présentent pas de candidat à l’Onu par le fait qu’ils sont les grands pourvoyeurs de fonds de cette institution. En Afrique, si l’on ne prend garde, l’Ua sera prise en otage par les grandes puissances économiques du continent », dit-il. Ce diplomate estime que l’Afrique du Sud ouvre ainsi la porte à la tentation des autres pays gros donateurs de s’imposer, par tous les moyens, y compris le blocage du fonctionnement normal de l’institution.

Que disent les textes ?

Pour être élu président de la Commission, l’un des deux candidats doit obtenir les deux tiers des voix. En janvier dernier, le président sortant, Jean Ping, a devancé l’ancienne femme de Jacob Zuma lors des trois premiers tours de vote, mais sans obtenir la majorité des deux tiers requis par le règlement de l’Ua. Battue lors des trois premiers tours, Nkosazana Dlamini-Zuma s’est retirée de la compétition, comme l’impose le règlement. Un quatrième tour a alors été organisé. Mais, seul en lice, Jean Ping n’a obtenu que 32 voix, et 20 bulletins blancs, alors qu’une majorité de 36 voix était nécessaire. Boni Yayi a une dernière carte en mains. Et s’il proposait à ses pairs d’adopter la majorité absolue au cas où le blocage continue ? Une hypothèse à ne pas écarter. Attendons pour voir.

DOUA GOULY

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