Alors que la communauté internationale a le regard tourné vers le transfert de Laurent Gbagbo à la Cour Pénale Internationale, la Côte d’Ivoire organise le 11 décembre des élections législatives dans un contexte politique et sécuritaire dégradé. L’aveuglement volontaire de la France et de la communauté internationale est inacceptable.
Cette échéance électorale fait partie du chronogramme négocié par l’ex-président Laurent Gbagbo et les rebelles du Nord. Un processus certifié par l’ONU qui avait pourtant déjà renoncé à accompagner à son terme le désarmement, préalable à l’élection présidentielle de décembre 2010. Dans ces conditions, le pire scénario a pu se dérouler : l’installation par la force d’Alassane Ouattara par les ex-rebelles, avec l’appui déterminant du contingent militaire français et l’aval de la communauté internationale.
Huit mois après, la Côte d’Ivoire n’est toujours pas réunifiée. Le nord reste toujours sous la coupe d’ex-rebelles qui recouvrent des taxes, contrôlent les douanes et exportent les ressources du pays pour leur propre compte.
Sur le plan politique, l’opposition est décimée et le poids des ex-rebelles empêche l’application de l’accord électoral liant Alassane Ouattara à ses autres alliés politiques. En outre, avec un redécoupage électoral sur mesure, le résultat des élections législatives habillera les ex-dirigeants rebelles, devenus candidats aux législatives, d’une nouvelle légitimité.
La sécurité des Ivoiriens, confiée aux ex-rebelles, est toujours précaire. Une étude menée par trois organisations [1] estime que des centaines de milliers de personnes déplacées vivent toujours dans des conditions indignes et que l’ouest, théâtre de crimes de masse, est particulièrement touché : « Compte tenu de la persistance d’attaques en représailles, d’arrestations arbitraires, de tueries, de violences sexuelles, de harcèlement verbal et de taxations illégales, la population continue de vivre dans la peur dans une région « inondée d’armes », selon la formule du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies ».
L’impunité est toujours la règle et la justice partiale. Si des poursuites ont été engagées contre les partisans de l’ex-président, et que Laurent Gbagbo vient d’être confié à la Cour Pénale Internationale, « aucun membre des Forces Républicaines [2] n’a été arrêté pour des crimes commis durant le conflit » [3] malgré les promesses répétées d’Alassane Ouattara. Ces crimes sont pourtant documentés par de nombreuses organisations internationales.
Dans ces conditions, « la stabilisation de la Côte d’Ivoire sur les plans politique et sécuritaire pourrait, en fin de compte, dépendre de la tenue en temps voulu d’élections législatives et municipales libres, démocratiques et transparentes. L’organisation de ces élections, dans un pays où les divisions politiques sont profondes, où l’infrastructure électorale laisse à désirer et où les conditions de sécurité sont précaires, demeure une gageure. » a estimé le Groupe d’Experts de l’ONU sur la Côte d’Ivoire dans son rapport de mi-mandat d’octobre 2011. Ce dernier n’exclut d’ailleurs pas « une reconsolidation des groupes d’opposition et la perspective d’une reprise des hostilités à la suite des prochaines élections législatives » alors que les armes prolifèrent. Conscient de ce risque, le gouvernement français, plutôt que de miser sur le désarmement et l’apaisement, soutient la mise sur pied d’un dispositif répressif. Dépêché sur place, son ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, a fait don de matériel policier, en prélude à un grand programme d’équipement dans le cadre d’un contrat plan entre les deux pays [4]. Surtout, la présence militaire française a été réaffirmée par Nicolas Sarkozy et un accord de défense rénové sera signé très prochainement.
C’est à l’aune de ce constat que l’on mesure l’aveuglement de la diplomatie française, exprimé par Alain Juppé le 8 novembre, à l’Assemblée nationale : « Nous avons sur l’Afrique une ligne de conduite très claire. Pour nous, ce qui est prépondérant c’est d’assurer à l’Afrique des élections qui soient claires, transparentes, garanties par une surveillance internationale et qui permettent de faire émerger des régimes véritablement démocratiques. (…) C’est le combat que nous avons mené en Côte d’Ivoire (..). Ce sera le fil conducteur de notre politique africaine ».
L’association Survie demande :
le retrait définitif des militaires français de Côte d’Ivoire ; que la lumière soit faite sur l’implication de l’armée française et de l’ONU dans l’avancée vers Abidjan des ex-rebelles (soupçonnés pour certains de crimes contre l’humanité) lors de la crise poste-électorale de 2010-2011 ;
que le parlement français exerce son contrôle sur l’opération Licorne, conformément aux dispositions prévues par la réforme de la Constitution de juillet 2008, et crée une commission d’enquête parlementaire sur l’ensemble de cette action depuis son déploiement en 2002 ;
de conditionner les relations avec le nouveau pouvoir ivoirien à l’obligation de poursuivre les responsables des crimes commis en particulier dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et de les exclure de tout rôle politique ou militaire ;
qu’en particulier, la coopération franco-ivoirienne sur le plan de la sécurité respecte l’embargo international sur le matériel militaire et les matériels connexes à destination de la Côte d’Ivoire, en vigueur depuis 2004.
Contact presse :
Stéphanie Dubois de Prisque, chargée de communication
stephanie.duboisdeprisque(a)survie.org
01 44 61 03 25
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