L’Ivoirien Fidèle Goulyzia, Docteur en droit international a servi dans son pays 15 ans durant comme journaliste. Ce métier qui lui colle à la peau influence ses écrits. Il décrit des faits qui étalent les misères de notre société, s’inspire de ses voyages, relate des situations vécues avec une dose de fiction dont il a le secret. Son troisième roman « Malo-woussou » est une invite à découvrir jusqu’où peut aller l’hypocrisie des missions onusiennes partout estampillées « missions de paix et de protection des civils ». Derrière cette quête, il se passe bien de choses sombres que décrit dans ce roman, l’auteur Dr Fidèle Goulyzia…
Après « Tchapalo tango » et « Bardot 18 », vous êtes à votre 3e roman « Malo-woussou ». Vous y décrivez un scandale de mœurs entre un policier de l’Onuci (l’ex mission onusienne en Côte d’Ivoire) et une mineure ivoirienne sœur d’un influent membre de la Fesci, le Syndicat estudiantin aujourd’hui dissous. On a envie de comprendre comment vois concilier le titre « Malo-woussou » et le scandale en question étant donné que ce vocable fait référence à une variété de riz.
Dans ma tête d’écrivain, il y a cette obsession identitaire qui m’autorise à penser que, pour prétendre à une stature universelle, le récit doit labourer vigoureusement le champ du particulier. Les titres de mes romans ramènent à des aires culturelles ouest-africaines. C’est une démarche qui peut paraître sectaire ou communautariste pour l’Industrie eurocentrique du livre. Pour moi, c’est une arme pour ne pas arriver éclopé au rendez-vous du donner et du recevoir. Malowoussou, c’est d’abord le riz étuvé artisanalement par des coopératives de femmes en Afrique de l’ouest et centrale. C’est une qualité de riz dont on s’accommode quand on n’a pas les moyens de s’offrir du riz importé de qualité supérieure. Le roman est traversé par la question de la misère, de la résilience des ménages ordinaires. Le titre relève d’un jeu de mots puisque je glisse un tiret entre Malo et Woussou. Phonétiquement, « Malo » renvoie, dans l’argot ivoirien, à une personne sans scrupules. J’ai voulu décrire une situation de flou institutionnel et d’hypocrisie systémique autour du rôle de l’Opération des Nations unies, vingt ans en arrière en Côte d’Ivoire. Raconter cette époque sans ôter au récit la vertu de sa littérarité.
On voyage dans ce livre, entre trois pays qui ont connu des crises politiques graves le Tchad, la Libye et la Côte d’Ivoire. C’est bien une fiction qui colle à une certaine réalité mais que vouliez-vous faire ressortir en promenant le lecteur entre ces pays-là ?
La plus belle des fictions se nourrit de la réalité. Je me revendique de l’école d’Ernest Hemingway et de Romain Gary. Ils avaient le sens de l’observation en s’appuyant sur leur vécu de journaliste pour bâtir des fictions à dimension universelle qui ne traînaient pas le vice de l’autofiction nombriliste. J’ai été étudiant en résidence universitaire de Vridi entre 2002 et 2005. J’ai pratiqué le journalisme pendant quinze années. J’ai pu voyager au Tchad en tant que reporter. En France, mon chemin a croisé ceux d’un Libyen et d’un Tchadien dans un centre d hébergement d’urgence. La somme de ces expériences a enfanté cette fiction qui entremêle le destin de trois pays ; le Tchad à l’époque de l’opération française Manta en 1983 où on évoquait la guerre des Toyota entre Habré et Weddeye. La Libye avant la chute de Kadhafi et après son assassinat. La Côte d’Ivoire coupée en deux avec la Licorne, bras opérationnel de l’ONUCI. Il y a une rémanence de l’intervention militaire française dans les épisodes sanglants que ces trois pays ont connus. Et cette intervention a beau brandir des apparats juridiques, elle traîne un vernis fort craquelant quarante ou vingt ans après. J’ai eu envie de raconter cette histoire sans être taxé de révisionnisme partisan. D’où le choix d’un narrateur tchadien regardant de l’intérieur la situation ivoirienne s’enliser.
Vous mettez en lumière un scandale de mœurs qui oppose un policier de l’Onuci et une mineure liée à un membre de la Fesci. Deux organisations qui ne s’appréciaient guère eu égard au choc des intérêts du moment. On a la nette impression de vivre un scandale dans un scandale. Pourquoi ce choix ?
Il y a eu effectivement un antagonisme entre la Fesci et l’ONUCI à l’époque des faits. On peut l’analyser à l’aune du ping-pong sémantique dans les discours et rapports. Pour parler de la Fesci, l’ONUCI employait le terme de « milice » avec « des méthodes paramilitaires ». La Fesci, au plus fort de la crise, parlait de « force d’occupation » pour désigner l’ONUCI. Dans la réalité, on est en face d’un scandale dans un scandale. Pour moi, le grand scandale résulte d’abord du rôle flou de l’ONUCI dans la résolution de la crise post-électorale, avant et après l’adoption de la résolution 1975 du Conseil de sécurité en date du 30 mars 2011 qui légitimait sa participation directe aux hostilités. La lettre de cette résolution invitait les forces internationales à « neutraliser par tous les moyens » les armes lourdes du régime de Laurent Gbagbo. La motivation de la résolution était pertinemment liée à la protection des civils. Alors question : cette protection des civils impliquait-elle un renversement de régime politique ? Qu’est-ce que l’ONUCI était autorisée à faire ou à ne pas faire ? L’argument de la protection des civils a été brandi par la résolution 1973 en Libye pour un changement de régime sous l’égide de l’OTAN. On est d’accord que le massacre de ses propres civils ôte toute légitimité à un régime politique. Encore faut-il que l’administration de la preuve de ces massacres se fasse en toute transparence et rigueur.
Ma curiosité de juriste internationaliste me pousse à m’interroger : quelle a été la participation concrète de l’ONUCI à la fourniture et à l’installation d’une chaîne de télévision à partir de l’hôtel du Golf, sachant qu’une telle entreprise s’apparentait à la sédition punissable en droit pénal ivoirien ? Etait-ce son rôle si tant est qu’elle a participé en intelligence avec les renseignements français à cette installation de média ? Des témoignages documentés évoquent des éléments de la rébellion arborant l’effigie des Nations unies au plus fort des hostilités. Il s’agirait d’actes d’hostilité graves qui s’apparenteraient à de la perfidie condamnable par les règles régissant la conduite des hostilités en droit international humanitaire et auxquelles restent soumises les troupes des Nations unies impliquées dans un conflit armé interne. Ce sont des questions qu’on est en droit de se poser 15, 20 ans après, sans vouloir refaire l’Histoire. Ce sont des épisodes douloureux de la mémoire commune des Ivoiriens que de nombreux officiers ayant servi l’ONUCI n’aborderont jamais au nom d’une certaine obligation de réserve. En 2005, relativement aux bombardements de Bouaké, Amnesty International avait déjà appelé à une enquête internationale sur le rôle des forces internationales dans le contexte ivoirien. Cette enquête n’a jamais vu le jour. Elle a peu de chances d’être menée un jour.
Dans le roman, le scandale dans le scandale est le fait d’une compromission entre le chef de mission du contingent tchadien, le policier tchadien en faute, le frère de la mineure ivoirienne enceinte qui n’est autre qu’un responsable de section de la Fesci, et un commissaire de police ivoirien lui-même ancien responsable de la Fesci. Toute corruption systémique, tout acte « malo » commence par une corruption interpersonnelle. Les quatre responsables en question dans le roman ont décidé d’étouffer le scandale de la grossesse d’une mineure pour sauver des carrières juteuses. Une forfaiture qui va ressurgir 20 ans après avec son lot de remords et de filiation brisées. C’est une fiction qui fait écho aux scandales enregistrés en juillet 2007 et avril 2010 avec la suspension du contingent marocain à Bouaké et de Casques bleus béninois pour des accusations d’agression sexuelle.

Au bout de ce voyage haletant, quel message voulez-vous adresser à l’opinion à travers ce roman « Malo-woussou » ?
Les grandes nations se forgent à partir de ce qu’elles font de leur histoire pour ne plus répéter les mêmes erreurs. Les horreurs de la Seconde Guerre mondiale sont documentées et transposées en fiction avec succès. La sublimation de notre Histoire nationale doit se faire par des journalistes, des écrivains, des cinéastes, des historiens et ceux qui ont, une fois dans leur vie, porté la signature de l’Etat. C’est un devoir mémoriel qu’on ne peut passer par pertes et profits. C’est tout le sens de mon engagement en littérature à travers une série romanesque qui est à son troisième épisode. C’est ma contribution à l’écriture de cette Histoire nationale qu’on ne peut renier et qui doit permettre à tous les Ivoiriens d’avancer ensemble malgré leurs différences d’opinions.
Par SD à Abidjan
sdebailly@yahoo.fr
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