Tidjane Thiam ne va pas réinventer la roue

Douglas Mountain

Cette fois c’est fait, Tidjane Thiam (TT) est enfin descendu dans la vallée. Le lancement de sa campagne pour la présidence du Pdci avait tout l’air du lancement d’une campagne présidentielle. Titi président ! Titi président ! ont scandé des milliers de militants acquis à sa cause, dans la salle des congrès de la fondation Félix Houphouët Boigny comble. Véritable démonstration de force, la cérémonie adressait un message subliminal à ses adversaires, leur demandant implicitement « abandonner la partie » car ils ne faisaient pas le poids. Un second message subliminal était adressé au pouvoir, pour lui dire que l’homme est désormais dans la place et qu’ il faudra compter avec lui.

Dans son discours d’une quarantaine de minutes, l’homme donnait la nette impression d’ être entré en campagne non pour la présidence du Pdci, mais bien pour la présidentielle d’Octobre 2025. Dans son esprit tout comme dans celui des milliers de militants présents dans la salle, le cap est bien mis sur « 2025 ». Se voulant humble et au-dessus de la mêlée, après avoir ému l’assistance en relatant des « souvenirs d’enfance  » à Yamoussoukro, la « terre de ses ancêtres », il a déroulé le programme qu’il entend mettre en œuvre une fois à la tête du parti. TT a rarement évoqué ses adversaires comme pour signifier que l’affaire est déjà dans la poche. L’homme écrase la concurrence, et son élection se présente comme une formalité. A preuve, son principal challenger, l’ancien ministre Guikahué a désisté le lendemain.

Pourtant si brillantes et exceptionnelles soient-elles, les compétences de TT restent confinées à la finance internationale. Font-elles forcément de lui quelqu’un d’outillé pour diriger un pays africain ? Un pays à l’histoire aussi complexe et douloureuse comme la Côte d’Ivoire ? Ceux qui admirent le personnage, ne posent pas vraiment le problème sous cet angle. L’homme est beau, grand, intelligent, avec une brillante carrière à l’international. Il fait rêver, c’est normal.

Mais la gouvernance d’un Etat est une science empirique qui ne s’acquiert que dans l’exercice de la fonction. Ce n’est pas une science exacte qui s’enseigne dans les universités occidentales. Rien ne vaut l’expérience. Et à ce niveau le bagage de TT est faible, avec seulement une expérience de quatre années comme ministre du Plan (1996 – 1999). Avoir fait merveille dans des structures internationales, ne fait pas forcément de vous quelqu’un d’outillé pour diriger un Etat africain. Les scandales qui agitent la Côte d’Ivoire, montrent qu’il ne suffit pas d’avoir à la tête du pays un homme rigoureux, pour que le pays soit « clean ». Les choses seraient-elles forcément différentes avec TT ?

Il se dégage de TT une « innocence » incompatible avec l’exercice de l’autorité au sommet, laquelle exige une « poigne de fer ». En sera-t-il capable ? Pourra-t-il suffisamment « s’endurcir » pour faire face aux défis liés à la stabilité du pays ? Etre impitoyable si la situation l’exige ? Pourra-t-il tenir l’armée ? Y maintenir les équilibres résultant des graves événements de la décennie 2000 ? En fait Thiam semble un peu « tendre » pour gouverner dans le contexte que nous vivons aujourd’hui. En Occident les textes sont appliqués ainsi l’environnement est prévisible. En Afrique les choses sont aléatoires. Pas sûr qu’il puisse retrouver ses repères pour gouverner sereinement le pays s’il est porté à sa tête.

Thiam est un technocrate qui a réponse à tout. Mais cela ne peut pas cacher le fait qu’il soit novice et donc naif dans bien des aspects. S’il est intelligent, et donc capable d’apprendre vite, son manque d’expérience peut faire encourir des risques majeurs sur la stabilité de la nation. Le pays a connu de graves traumatismes, et beaucoup de blessures ne sont pas totalement cicatrisées. Mettre un novice à sa tête, si brillant soit-il en finance internationale, serait un saut dans l’inconnu car tout ne se résume pas à ces questions.

Enfin il y a sa double nationalité. Bien qu’on n’en fasse pas vraiment cas pour le moment, les choses risquent de coincer à ce niveau. Le fait de détenir à la fois la nationalité ivoirienne et française, en l’état, l’exclut de la présidentielle, la constitution est claire à ce sujet. Interrogé sur ce point en Septembre 2022 par un quotidien britannique, l’homme a annoncé son intention de « renoncer » à sa citoyenneté française.

Pourtant, même si ce renoncement venait à être effectif, n’est-il pas ’’un peu tard’’ ? La Constitution ivoirienne stipule que le requérant ne devra s’être jamais prévalu d’aucune nationalité en dehors de la nationalité ivoirienne. Le fait que Thiam renonce aujourd’hui à sa nationalité française pour les besoins de la présidentielle, n’annule pas le fait qu’il s’en est déjà prévalu. Tout le problème est là. Le fait d’avoir été citoyen français le disqualifie « ad vitam aeternam », tant que la présente constitution reste en vigueur. Bien sûr il appartiendra au Conseil Constitutionnel de statuer sur la question.

Douglas Mountain

Le Cercle des Réflexions Libérales

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1 réflexion au sujet de « Tidjane Thiam ne va pas réinventer la roue »

  1. Diriger un pays ce n’est pas seulement les diplômes ou connaissances livresques. Même un certain Alassane Ouattara en a fait les frais de 1990 à 1993 avec tenez vous bien les cadres du PDCI qui l’ont combattu. Compétences dans le privé ne rime pas avec compétences dans la gestion publique. Il n’existe aucune homothétie entre les deux. Ouattara lui a été au four et au moulin et a été préparé par le feu pendant 20 ans avant d’accéder à la magistrature suprême. Thiam qui arrive sans expérience politique et sans même une démocratie ouverte interne au PDCI a-t-il ce qu’il faut ou est-il prêt pour 2025 avec sa double nationalité ? Les vrais coups et non les caresses dans le sens des poils du PDCI viendront bientôt de ses adversaires extérieurs, peut-être même intérieur silencieux pour l’instant. D’aucuns au PDCI croient en effet qu’il va réinventer la roue. Vivra qui verra !

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