COP28: Les Émirats tirent une balle dans le pied de l’Afrique

Premières victimes du réchauffement climatique, les nations africaines vont se presser à la 28e Conférence des Parties de l’ONU (COP 28) qui va se tenir à la fin du mois de novembre 2023 à Dubaï. Paradoxal, quand on connait aussi le rôle déstabilisateur des Émirats arabes unis sur le continent.

La COP28 n’a pas encore démarré, mais attire déjà de nombreuses critiques. À commencer par celles des ONG dénonçant l’extraction et l’exploitation des hydrocarbures, réunies autour d’un mot d’ordre simple : boycotter. Quelques 180 entreprises et institutions de la société civile – regroupées sous l’intitulé BoycottCOP28 – viennent de publier une tribune dans laquelle elles fustigent le choix de l’ONU de confier l’organisation d’un tel rendez-vous aux Émirats. Après la COP27 à Charm el-Cheikh en Égypte, c’est donc Dubaï qui s’apprête à recevoir les décideurs du monde entier, mais surtout de très nombreux lobbyistes.

La COP28, rendez-vous attendu des lobbyistes

La tribune au vitriol a été reprise par les médias du monde entier. Selon BoycottCOP28, ce rendez-vous annuel – si crucial pour l’avenir de l’humanité – est désormais phagocyté par les lobbyistes des énergies fossiles où ces derniers peuvent « distiller leurs éléments de langage et influencer les débats ». Choisir un pays du Golfe pour accueillir la nouvelle édition peut en effet paraitre surprenant, voire contreproductif. « Derrière les belles “ambitions écologiques” annoncées par les Émirats Arabes Unis, le pays est surtout le septième extracteur mondial d’or noir et le cinquième plus gros émetteur de CO2 de la planète, dénoncent les organisateurs dans leur tribune. Abou Dhabi prévoit même d’augmenter sa production de barils de 25% d’ici à 2027 ! Il est clair que le pays vit “par et pour” le pétrole, et y organiser une conférence des Nations unies sur le climat est non seulement absurde, mais dangereux. » Les organisateurs n’ont pas la mémoire courte : ils rappellent que l’an dernier à Charm el-Cheikh, pas moins de 600 lobbyistes avaient arpenté les salons de discussion et avaient réussi à faire capoter les propositions de sauvegarde du climat qui étaient sur la table, faisant fi des répercussions du dérèglement climatique, en particulier en Afrique.

Que peut attendre l’Afrique du la COP28 ?

Voilà pour le contexte global d’un sommet qui s’annonce sous haute surveillance. Les pays africains, eux, seront nombreux à faire le déplacement à Dubaï et comptent bien faire entendre leur voix. Et pour cause. En 2021, l’ONG allemande German Watch avait fait sensation avec la publication de son étude sur les impacts du réchauffement climatique. Principale conclusion : parmi les 10 pays les plus touchés par les catastrophes naturelles dues à la hausse des températures et à l’émission de gaz à effet de serre, cinq pays figurent en Afrique. Car oui, l’Afrique est bel et bien en première ligne alors qu’elle n’est pas responsable des fléaux qui la touchent : « L’Afrique est responsable de moins de 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, souligne le secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale, Petteri Taalas. Or c’est le continent qui est le moins à même de faire face aux effets délétères du changement climatique. Les canicules, les fortes pluies, les inondations, les cyclones tropicaux et les sècheresses persistantes ont des effets dévastateurs sur les communautés et les économies, et le nombre de personnes menacées va croissant. » Pendant ce temps-là, les pollueurs – Émirats Arabes Unis en tête – continuent de s’en tirer à bon compte.

Face à cette réalité, on s’en souvient, les pays africains ont décidé de parler d’une seule voix : en septembre dernier, la capitale kenyane a ainsi accueilli le 1er Sommet africain pour le climat qui a largement été salué par les Nations unies, soulignant que l’Afrique, si elle est victime du réchauffement climatique, a aussi des arguments à faire valoir : « C’est en Afrique que nous trouverons les solutions, assure Stephen Jackson, coordinateur des Nations unies au Kenya. L’Afrique possède le deuxième poumon de la planète avec la forêt tropicale du Congo ; l’Afrique possède la plus grande dotation naturelle en ressources énergétiques renouvelables. Le Kenya produit déjà 93% de son électricité à partir de sources vertes. » Car oui, des alternatives au gaz émirati existent.

L’environnement oui, mais les crimes de guerre aussi

Dans ce contexte, le sommet de Dubaï qui s’ouvrira le 30 novembre s’annonce houleux pour ses organisateurs. D’autant que les accusations de BoycottCOP28 à l’encontre des Émirats dépassent largement le spectre environnemental : sont aussi dénoncés les atteintes aux droits de l’Homme du pays hôte, et les crimes de guerre dont sont complices les Émirats. En particulier en Afrique, comme au Soudan où la « guerre des généraux » fait toujours rage.

Au Soudan, l’implication des Émirats est directe dans les troubles qui secouent le pays. Selon Dr Andreas Krieg, maître de conférence à la School of Security Studies du King’s College de Londres, « les nombreux acteurs du pays – en premier lieu les deux “généraux” belligérants, Abdel Fattah al-Burhan, qui dirige l’armée soudanaise, et Mohamed Hamdan Dagalo, communément appelé Hemetti, à la tête des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) – sont devenus des pions dans le cadre une compétition plus large visant à exercer une influence dans la Corne de l’Afrique, qui revêt une importance stratégique. Aucun pays ne se livre à ce jeu avec plus d’assurance que les Émirats Arabes Unis, qui entretiennent et orchestrent un ensemble diversifié de réseaux dans toute la région ». L’universitaire britannique détaille les liens tribaux unissant Émiratis et Soudanais, et les réseaux occultes d’entreprises et de banques alimentant les marchands d’armes, les milices et les mercenaires. « Le réseau qui alimente l’homme ayant tenté un coup d’État au Soudan est un carrousel complexe de capitaux, d’armes, d’or et de mercenaires mis en place par Abu Dhabi au lendemain du Printemps arabe », conclut le Dr Krieg.

Un conflit au Soudan qui déstabilise déjà toute la zone : par effet domino, le Tchad, la République Centrafricaine, le sud Soudan ou l’Éthiopie voient désormais leur environnement sécuritaire se dégrader.

Sans compter que l’implication émiratie au Soudan se rajoute à l’interventionnisme d’Abu Dhabi en Libye depuis 2016. Principal soutien logistique aux armées du Maréchal Haftar, le pays est accusé – notamment par l’administration Biden – de participer au cycle de violence que connait le pays depuis la chute de Kadhafi, entrainant dans son sillage un chaos politique dans tout le Sahel. Une onde de choc qui s’étend jusqu’au golfe de Guinée, et qui n’est peut-être pas terminée. Une responsabilité qui pèse très lourd dans le bilan sécuritaire et politique de l’émirat dans la région.

Le 28 novembre prochain, lors de la Cop28, les motifs de rancœurs des représentants africains seront donc nombreux contre la politique étrangère émiratie. Mais l’urgence climatique dans laquelle se trouvent les pays du continent leur laisse peu de marge de manœuvre, et il y a fort à parier que rares seront les voix qui oseront rappeler à leur hôte les conséquences de sa politique étrangère.

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