Au Cameroun avec le décès de John Fru Ndi, c’est aussi Laurent Gbagbo qui est en deuil

Par Alexis Gbansé Douadé [AGD]

Il était récemment en Côte-d’Ivoire pour célébrer la première Fête de la Renaissance du PPA-CI de Gbagbo le 31 mars 2023.

Apparu affaibli à Yopougon où il avait pris la parole, toujours combatif jusqu’au dernier moment et ce malgré la maladie, John Fru Ndi avait tenu à témoigner de son amitié à son frère de lutte Laurent Gbagbo.

Une vieille camaraderie née de leur lutte commune contre les régimes à parti unique de Paul Biya au Cameroun et de Félix Houphouët-Boigny en terres d’Éburnie.

Au fil des ans Laurent Gbagbo et John Fru Ndi avaient su tisser des relations fortes, franches et fraternelles malgré leurs exils et leurs différents séjours en prison.

Comme aimait à le dire Laurent Gbagbo taquinant à son ami : “On a tout partagé en politique toi et moi, prisons, exils, accidents, pleurs, victoires etc. sauf que moi j’ai été président de la République et toi John tu dois encore le devenir”.

Un vœu du frère Laurent qui ne sera jamais exhaussé avec la disparition de John Fru Ndi.

Cameroun : John Fru Ndi, opposant historique au régime de Paul Biya, est mort

Trois fois candidat malheureux à l’élection présidentielle face à Paul Biya, l’opposant s’est éteint des suites de maladie à Yaoundé, la capitale camerounaise.

Par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)

Il était l’opposant historique de Paul Biya. Trois fois candidat malheureux à l’élection présidentielle, John Fru Ndi, 81 ans, aura tenté, sans succès, de s’imposer face à l’inamovible président du Cameroun, au pouvoir depuis 40 ans. Le président du Social Democratic Front (SDF), est mort dans la nuit de lundi 12 juin à mardi 13 à Yaoundé, la capitale du pays, « des suites d’une longue maladie », a annoncé Joshua Osih, le premier vice-président du parti dans un communiqué.

« L’histoire du retour à la politique multipartite au Cameroun ne saurait s’écrire sans son nom en lettres d’or. Sa vie est une leçon sur le fait que le leadership consiste à servir et non à être servi », a tweeté l’avocat et homme politique Akere Muna, ancien candidat à l’élection présidentielle qui a connu le « Chairman » pendant plus de cinq décennies.

Le tournant manqué du multipartisme
La carrière politique de John Fru Ndi, ancien libraire né en 1941 à Bamenda, dans le Nord-Ouest anglophone, est étroitement liée au retour du multipartisme au Cameroun, alors dominé par un parti unique, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir).

« Que ceux qui nous gouvernent l’acceptent ou pas, nous croyons fermement, comme l’ont fait et affirmé beaucoup d’autres avant nous, que l’essence même de la démocratie c’est la gestion des affaires de la cité par les peuples concernés eux-mêmes », martèle l’opposant, lors du lancement de la formation en mai 1990.

Deux ans plus tard, en 1992, lors de la toute première élection présidentielle réunissant plusieurs partis politiques au Cameroun, il se porte candidat et arrive en deuxième position (35,97 %), derrière Paul Biya (39,98 %), selon les résultats officiels. Alors que de nombreux observateurs le donne vainqueur, John Fru Ndi, soutenu par une large partie de la population, conteste les résultats, sans jamais obtenir gain de cause. La Cour suprême valide l’élection et il est placé en résidence surveillée pendant plusieurs mois.

En 1997, l’homme qui incarnait la possibilité d’une alternance au Cameroun tout en dirigeant son parti d’une main de fer décide de boycotter le scrutin présidentiel. Paul Biya est alors réélu avec 92 % de voix. « La politique de la chaise vide et du boycott des élections a signifié pour le SDF l’abandon des opportunités qui s’offraient à lui, note le chercheur camerounais Théophile Mirabeau Nchare Nom dans l’ouvrage collectif Socialismes en Afrique, paru en 2021. Par exemple, le refus du parti de participer aux législatives de 1992 était une erreur politique, car ses résultats à la présidentielle (35 %) lui donnaient plus de chance de contrôler le Parlement en faisant coalition avec les autres partis de l’opposition ».

Guerre dans l’Ouest
Lors des élections présidentielles de 2004 et 2011 où il se porte candidat, le « Chairman » ne parvient pas à réitérer l’exploit de 1992. Il est même battu dans son fief du Nord-Ouest, aux élections sénatoriales de 2013. En 2018, il crée la surprise en ne se présentant pas à la présidentielle. Joshua Osih, désigné candidat, recueille 3,35 % des voix.

Le parti décline. Pour certains, John Fru Ndi, affaibli par l’âge et la maladie, aurait été corrompu par le pouvoir en place. Une accusation qu’il a toujours niée. En 2017, dans une interview au Monde, il affirmait que « Paul Biya [devait] être traduit devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité », pour les multiples exactions commises dans le cadre du conflit qui oppose depuis 2017, l’armée camerounaise aux séparatistes qui luttent pour l’indépendance du Sud-Ouest et Nord-Ouest, les deux régions anglophones du pays.

Malgré ces prises de position, John Fru Ndi a été perçu comme un « traître » par les sécessionnistes. En 2019, le président du SDF est enlevé brièvement par ces derniers qui le somment de boycotter les législatives de 2020. Ce qu’il refuse. Le parti n’y obtient que cinq sièges sur 180. Une chute drastique, accentué par les divisions internes qui secouent le Social Democratic Front.

La lutte de succession qui oppose Joshua Osih au député Jean-Michel Nintcheu, fait les choux gras de la presse. Ce dernier et ses fidèles ont finalement été exclus du parti, avant d’intenter une action en justice contre John Fru Ndi pour leur réintégration. « On peut être déçu par ses activités en interne, explique au Monde Jean Robert Wafo, ancien cadre du SDF, exclu du parti. Mais sa disparition laisse place à la consternation et à la douleur. Je retiens du Chairman l’homme politique d’exception dans sa richesse et sa complexité ».

Reste que son testament politique est aujourd’hui contesté. Dans les régions anglophones, dont il fut l’un des principaux représentants pendant des décennies, le combat démocratique a cédé la place à la violence.

Josiane Kouagheu(Douala, correspondance)

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