Par Abdoulaye Thiam, chercheur en relations internationales, entre l’Afrique et l’Europe
Les Russes sont venus à la rescousse de nos frères maliens qui ont ouvert en grand les portes du pays, avant même le départ des Français et de la force Barkhane. Depuis, la propagande de la junte, appuyée par celle des Russes, a donné d’étonnantes nouvelles !
La nouvelle a été abondamment commentée fin janvier à Bamako, qui n’en demandait pas tant dans son entreprise de décrédibilisation de l’ancienne puissance coloniale française. Selon Edvard Chesnokov, présenté comme professeur auxiliaire à la Higher School of Economics de Saint-Péterbourg, « la Russie et le Mali doivent faire face au plan de l’Occident de jeter l’Afrique dans un nouvel esclavage ». Mieux encore : la renaissance de l’Afrique moderne commencera par le Mali, la Russie n’épargnant aucun effort pour soutenir ce processus. Rien que ça ! Pour mieux comprendre ces propos, sachez que Chesnokov est surtout rédacteur en chef adjoint des pages internationales de la Komsomolskaïa Pravda, un journal quotidien de propagande, inféodé au Kremlin. Ceci explique peut-être cela.
Précieuse démagogie
L’article du journal Le National a évidemment fait le bonheur de la junte militaire dirigée par Assimi Goïta. Le lecteur y apprend que ledit Edvard Chesnokov a séjourné au Mali au printemps 2022 – il y a presque un an donc – et aurait tout compris de la réalité du pays. Je cite : « Lors de mon passage au Mali, j’ai constaté que les conditions de vie sont difficiles et qu’une grande partie de la population souffre de pauvreté, et cela est directement dû aux politiques coloniales menées par la France et ses alliés occidentaux pour exploiter les richesses souterraines telles que le pétrole, le gaz, les mines d’or situées au Mali, au Burkina Faso, au Niger et autres terres, qui ont placé l’économie européenne au premier rang des économies mondiales malgré la petite superficie, alors que les pays africains souffrent de la pauvreté et des crises économiques successives. » Pourquoi ne parle-t-il pas de la réalité du terrain et de la corruption de nos élites ? Pourquoi ne parle-t-il pas de la nouvelle colonisation des mercenaires de Wagner ?
Pour plaire encore davantage, à la fois au colonel Goïta et au nouveau parrain de ce dernier – Vladimir Poutine –, Chesnokov va encore plus loin dans la démagogie : « Les énormes sommes d’argent estimées à 100 milliards de dollars d’aide que l’Occident a fournie à Kiev en 2022 pour prolonger la guerre contre la Russie auraient été suffisantes à nourrir tous les enfants africains affamés, à reverdir tout le Sahara et à sauver tous les animaux en voie de disparition, tels que les guépards au Mali. » Voilà, ce discours, vous l’aurez compris, est soit d’une naïveté confondante, soit relève de la plus grossière des propagandes. Grâce à lui, vous savez tout du complot mondial contre le Mali et la Russie, et contre la renaissance du panafricanisme ! Malheureusement, les esprits limités prendront tout cela au pied de la lettre. Mais la réalité malienne, avec l’arrivée tonitruante des mercenaires du groupe Wagner fondé par Evgueni Prigojine, un proche de Poutine, est aujourd’hui tout autre : Bamako a fait allégeance et a fait entrer le loup dans la bergerie.
La réalité du pillage… russe
À votre avis, pour quelle raison la mystérieuse compagnie aérienne émiratie Kratol Aviation atterrit-elle si souvent sur les pistes de l’aéroport de Mopti-Sévaré, dans le centre du pays, et maintenant sur celle du petit aérodrome de Sikasso dans le sud-est, selon différentes sources ? Pour faire de l’humanitaire et pallier le départ des ONG européennes, poussées dehors par la junte ? Pour apporter du matériel agricole afin de participer au développement de ces régions et à la survie des populations locales ? Pas vraiment non. Que contiennent les soutes de ces avions quand ils arrivent au Mali, et quelles peuvent bien être leurs cargaisons quand ils en repartent ? À ces questions, bizarrement, ni Edvard Chesnokov ni les hommes forts de la « transition » à Bamako n’apportent de réponses. Évidemment.
Toutes les spéculations sont sur la table : armements et mercenaires dans un sens, ressources naturelles – probablement de l’or – dans l’autre. Une chose est sûre : la compagnie Kratol Aviation a été placée sous sanction mais continue de servir les intérêts de Wagner. Wagner que la junte militaire a accueilli les bras ouverts fin 2021. Dans la boîte à outils de la Russie, notons aussi que la compagnie russe Norgold, qui exploite des mines concédées par les militaires au pouvoir en Guinée et au Burkina-Faso, passe elle aussi par les Émirats arabes unis, selon le think tank Global Initiative. Probablement pas un hasard.
Fin 2021 donc, dans le sillage d’Assimi Goïta, les russophiles Sadio Camara et Alou Boï Diarra – respectivement ministre de la Défense et chef d’État-major de l’Armée de l’Air – ont déroulé le tapis rouge aux paramilitaires de Wagner pour rétablir l’ordre et la sécurité dans les zones contrôlées par les rebelles et les combattants de l’hydre jihadiste. Leurs succès sur le terrain laissent dubitatifs, les massacres de populations civiles étant régulièrement enregistrés. Y compris de la main même de Wagner. Les survivants du massacre de Moura (300 à 600 civils tués, fin mars 2022) peuvent en témoigner. En revanche, les mercenaires de Wagner sont bien plus efficaces pour faire main basse sur les ressources minières du pays, comme ils l’ont fait précédemment en Syrie avec le pétrole et le phosphate, ou en République centrafricaine pour l’or et le bois précieux.
Au Mali, les militaires putschistes ont donc choisi de « payer » leurs sauveurs en or, en concédant l’exploitation de mines d’or. Selon l’ancien directeur de la communication de la CEDEAO Adama Gaye, « les Russes viennent en apportant une expertise, mais évidemment aussi dans l’idée de rappeler au monde qu’ils doivent peser sur les débats internationaux mais aussi qu’ils viennent récupérer des nouveaux marchés, des infrastructures, des terres arables, des terres rares et autres ressources naturelles ». Ô surprise. De la République centrafricaine au Mali, un même scénario se répète. « Ces contrats relèvent plus du cadeau que de la relation commerciale classique, ironise la chercheuse Enrica Picco, responsable Centrafrique à Crisis Group. L’attribution de permis d’exploitation à Wagner est la seule manière pour des gouvernements africains surendettés de payer les services de ces mercenaires. »
A ce sujet d’ailleurs, même le Premier ministre malien Choguel Maiga y va d’un aveu implicite : « Supposons même qu’on donne une mine aux Russes, mais c’est nos biens ! Rien ne vaut la sécurité des Maliens. » Tout le problème est là. La sécurité, les Maliens ne l’ont toujours pas. La souveraineté du pays, quant à elle, semble bonne à jeter à la poubelle tant que le sale boulot est assuré par les miliciens de Wagner. Et tant que le cercle d’Assimi Goïta arrive à se maintenir au pouvoir… jusqu’à des élections sans cesse repoussées. Le Mali vaut mieux que ça.
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