La cohésion sociale fait l’objet d’une préoccupation politique explicite de la part du Gouvernement et de la société politique en Côte d’Ivoire, après plusieurs phénomènes de violence passive ( rébellion, crises électorales de 2010/2011 et de 2020). Cette préoccupation est évoquée de manière récurrente dans le discours politique et social, dans un contexte où sont mises en évidence des difficultés mémorielles, mais aussi relatives à l’inclusion économique, à la transition démocratique, à la justice sociale, à la construction de l’état de droit, et à la réalisation de l’unité nationale autour des fondamentaux de la République. C’est dire que dans cette première catégorie se rangent les difficultés liées au pacte social et politique. Celle-ci est suivie d’une seconde catégorie faisant intervenir des éléments plus politiques et subjectifs qui parasitent la première, comme les enjeux de pouvoir, la compétition des ambitions personnelles, les frictions liées à la recomposition du paysage politique, les guerres de succession à l’intérieur des partis et pour la conquête du pouvoir d’État. Aux deux premières catégories s’ajoute une troisième catégorie où s’expriment les préoccupations de la société civile, des bailleurs de fonds et des investisseurs étrangers, relativement à la stabilité du pays face à la pression djihadiste sur les frontières du pays, combinée à une potentielle aventure politique, au maintien de la sécurité intérieure et de la paix publique. Cette demande sociale est habitée par la peur de la détérioration du climat social par le fait des discours, des actes et des initiatives des politiques pouvant entraîner une instabilité généralisée, mais aussi par une inquiétude concernant le retour de la dernière vague « d’exilés » par rapport à leurs attitudes et leurs façons de faire la politique dans un contexte où l’opposition récupère ses forces et se consolide, par la présence effective de ses principaux leaders et l’ « union » de ses différentes composantes.
Face à la complexité de cette demande socio-politique et de cette situation sécuritaire inédite, le Gouvernement a réagi de prime abord à travers la création successive de cadres et de structures dédiés au traitement des conséquences des différentes crises (Programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des anciens miliciens et combattants, Fonds de restitution et de réparation des biens perdus ou expropriés, Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation, CDVR, CONARIV, Tables Rondes Pouvoir/opposition, procès de la criminalité politique et lutte contre l’impunité, etc.. ), ensuite par la mise œuvre de politiques publiques confiées à différents départements ministériels visant à satisfaire cet intérêt social et cet objectif politique (Ministère d’État chargé des relations d’État chargé du dialogue politique et des relations avec les institutions, Ministère de la solidarité, de la cohésion sociale et de la lutte contre la pauvreté, Ministère de la Réconciliation Nationale), enfin par des réponses institutionnelles et des actes ponctuels (mesures de grâce présidentielle, condamnations de principe dépourvues de mandat de dépôt, dialogue entre les anciens Présidents de la République entre eux, et entre ces derniers et celui qui est en fonction, pour réduire les tensions et impulser une dynamique de réconciliation) ainsi que par des réponses structurelles avec l’adoption en 2020 d’un plan stratégique national de cohésion et de solidarité sociale porté par le projet de société du RHDP pour la présidentielle de 2020, qui fait de la cohésion sociale le troisième de ses objectifs principaux, après la protection de intégrité du territoire national et une transformation économique profonde et avancée,
L’émergence de ce besoin nécessite une bonne compréhension et une réponse structurée, car notre société dans le contexte de sa transition démocratique, de la construction de l’état de droit, d’une concurrence politique exacerbée, d’une restructuration des mentalités, d’une explosion des sources d’information dont l’authenticité et l’exactitude ne sont plus garanties, d’une crise sanitaire inédite et d’une menace sécuritaire doit pouvoir résoudre ses divergences, contradictions et conflits, dans le cadre institutionnel de l’ordre constitutionnel en vigueur au moment de leur survenance, et non à sa marge ou sa périphérie, car la démocratie est un espace social exposé à la conflictualité des idées, des intérêts, des ambitions et des projets suivant des modalités et des formes définis par le Droit. La démocratie est donc avant tout un espace polémique, nourri par la contestation permanente, animé par des fores de rupture ou de dislocation à travers lesquelles s’affirment et émergent des subjectivités ainsi que de nouveaux partages de l’espace politique et du pouvoir. Dans cette perspective, la démocratie ne se conçoit pas comme un régime ayant vocation à ordonner ou prévenir les antagonismes de la société politique au nom d’une «unité » ou un « consensus national» accepté par toutes les parties en conflit. elle doit être comprise comme un processus naturel où s’affrontent les forces dites démocratiques suivant des formes institutionnelles. Le conflit politique et la violence de son expression en Côte d’Ivoire, occultent cette nature et cette dimension de la démocratie, au point de rechercher de manière illusoire une unanimité, un consensus national sur les analyses, les interprétations et les approches des problèmes posés à la société ou la gouvernance, alors que celui-ci ne peut se produire que sur les valeurs sociétales et les fondamentaux de la République, comme formant le plus petit dénominateur commun à une société donnée. Autrement dit, sous le vocable de dialogue social, « c’est la figure de la concertation sociale qui est discutée, c’est -à- dire la question des formes de gouvernance économique et sociale » (Ph. Martin). En effet, la notion de cohésion sociale recouvre diverses dimensions, alors que cette notion est toujours pensée en référence aux conflits politiques et non comme elle le devrait aux inégalités économiques et aux polarisations sociales, aux disparités territoriales et aux clivages entre ruralité et urbanité.
Par ailleurs, la cohésion sociale se bâtit de manière normative et institutionnelle autour de la notion de confiance. Celle-ci est fondamentale pour la vie de la Nation, qu’elle soit intersubjective ou portée par les institutions de la République. Le Président OUATTARA a eu parfaitement raison d’insister, au sortir de sa rencontre avec le Pdt GBAGBO, sur cette dimension centrale des relations entre acteurs politiques et sociaux, car son déficit chronique est à la base des préjugés négatifs qui empoisonnent les relations sociales et politiques en Côte d’Ivoire. Elle est à la source des blocages, des incompréhensions, des conflits et de la défiance à l’endroit des Institutions de la Républiques, Le corps arbitral de cette conflictualité doit être le Droit qui s’exprime à travers les lois et les Juridictions qui les interprètent et le peuple souverain qui s’exprime à travers le vote et sa représentation. D’une part, le droit emprunté à l’Occident, appliqué à des population majoritairement analphabètes, parvient très difficilement à régir les conduites sociales marquées par des considérations culturelles et sociologiques qui lui sont totalement étrangères et à arbitrer les rapports politiques marqués par l’égocentrisme, l’amnésie et l’opportunisme des entrepreneurs politiques, d’autre part, le droit est directement corrélé aux autres phénomènes qui traversent la société et l’influencent, tant par rapport à la prise en compte de sa finalité sociale que par rapport à la résolution des conflits politiques. Cette situation nourrit l’impunité et entraîne son instrumentalisation, en tant qu’outil de régulation sociale et de résolution des conflits politiques. Dès lors, la construction de l’état de droit et la lutte contre l’impunité deviennent un enjeu majeur de la cohésion sociale et du changement des attitudes mentales, par l’affirmation de la primauté du droit dans la résolution de la conflictualité démocratique et sociale.
Nous devons analyser et reconsidérer la relation entre conflictualité démocratique et violence, pour que celle-ci ne se réduise ni à un affrontement guerrier, entre adversaires qui se considèrent comme ennemis, ni à des formes d’opposition qui peuvent traverser l’espace social à partir de considérations historiques, foncières, ethniques ou religieuses. Ensuite, nous devons enraciner la démocratie et la culture de la paix, en renforçant les Institutions de la République ( indépendance, impartialité, crédibilité, efficacité, restauration de la confiance), la participation citoyenne tant à l’élection qu’à la formation des décisions et la pluralité de la représentation politique dans les instances institutionnelles de gouvernance et de décision. Enfin, assurer l’exercice des droits fondamentaux du citoyen et la satisfaction de ses besoins élémentaires, en tant qu’ils sont consubstantiels de sa dignité (liberté, justice, sécurité, santé, éducation, mobilité). La remise en cause radicale de la pertinence des choix et de la hiérarchie de ses objectifs dans le cadre institutionnel adéquat peut se faire sans passer par l’organisation d’un débat et d’une concertation nationale, parce qu’elle adresse prioritairement des politiques publiques et la mise en œuvre d’un projet de société récemment adopté par le peuple souverain, à l’occasion des dernières élections (présidentielle et législative). En effet, la conflictualité démocratique ne doit pas être excessive au point de faire éclater ou de déborder le cadre normatif et institutionnel ou encore de s’exprimer dans la violence et l’insurrection, comme cela nous a été offert d’observer fin 2020. Ici, nous avons affaire davantage à une question de culture politique et de responsabilité des acteurs de la conflictualité, que de crise réellement du fonctionnement régulier de l’État et de la démocratie. Nous n’avons pas affaire à une conflictualité insoluble, impossible à éliminer ou à réduire, un conflit constitutif du politique exclusivement. Cette conflictualité démocratique se greffe ou se superpose à des conflits sociaux et économiques latents en gestation ou mal cicatrisés lorsqu’ils ont déjà explosés. L’excès d’une approche exclusiviste est d’ignorer ces ingrédients, la pluralité du peuple et la majorité dans la représentation politique de celui-ci. De ce point de vue , je rejoints M. BIGTOGO sur cet aspect de l’analyse.
CONCLUSION
Ceci nous conduit à nous interroger sur un second excès. La demande de de réconciliation émanant principalement de politiques appartenant le plus souvent à l’opposition, ne se réfère pas dans son discours, au renforcement de la cohésion sociale. Cette subtilité de langage est entretenue par calculs politiques visant à maintenir vivante la fracture sociale à son profit, alors que les politiques de cohésion sociale et le temps l’ont considérablement réduite, pour la limiter désormais aux frontières du militantisme partisan. Elle est une parole politique relayée par les médias et les réseaux sociaux dans l’air du temps et toujours pour des profits politiques, mais on ignore fondamentalement dans quelle mesure elle constitue réellement une préoccupation citoyenne, car ce dont à quoi le peuple aspire est la paix, la sécurité et l’amélioration de leurs conditions de vie. Or, celle-ci peut être le fruit d’une politique, d’un comportement et d’un dialogue permanent sous la forme d’une concertation quand cela est nécessaire et de débats démocratiques dans les instances et les formes appropriées. On serait bien en peine d’établir scientifiquement la substance de cette demande par des enquêtes d’opinion spécifiquement consacrées à la distinction et la pertinence de ces deux notions. D’une certaine manière elles nous renvoient à une différence de perception entre une réconciliation verticale et une réconciliation horizontale, une réconciliation individuelle et symbolique et une réconciliation réelle avec des valeurs et les fondamentaux de la République et de la démocratie. En résumé, une réconciliation par la restauration de la confiance entre les acteurs politiques et entre le corps social et les Institutions de la République par la mise en œuvre de politiques publiques adéquates comme le propose le Président de la République, M. Alassane OUATTARA.
SOUMAREY Pierre Aly
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