Lu pour vous
Les pieds mouillés d’Abidjan
Par Dr Bangali N’goran
Historien, enseignant-chercheur
Dakar est une presqu’île entourée de marécages, comme sa consœur Abidjan, surnommée d’ailleurs la « perle des lagunes » pour signaler sa géomorphologie d’apparence insulaire. En tant que tel, leur espace vital se partage entre zones basses inondables et crêtes aplaties. Les parties basses sont traversées par des nervures de ruissellement par lesquelles l’eau pluviale se trace un chemin vers le réseau lagunaire. Le colon français qui a fondé ces deux villes capitales le savait. Raison pour laquelle, dans le cas d’Abidjan, il a fixé ses aménagements urbains sur les sites surélevés comme le Plateau, qui est le lotissement européen, Treichville, le quartier africain ou Port-Bouet le faubourg réservé aux travailleurs du port.
Cette logique d’aménagement est la même à Bingerville où l’habité colonial est niché sur la colline Santai. C’est à la fois pratique pour avoir les pieds au sec et disposer d’une position de mirador. Hormis le cas de Grand Bassam, où l’ensablement de l’embouchure comoé avait provoqué des inondations spectaculaires en 2019 dans le quartier Franceville, les sites d’urbanisation coloniale ne sont jamais touchés par les dégâts des eaux pluviales. L’explication est que l’habitat colonial a été installé de façon concentrique sur les hauteurs. Après l’indépendance, Félix Houphouet-Boigny suit cette logique d’établissement du plan de lotissement basé sur l’exploitation en priorité des zones surélevées. Vous remarquerez par exemple que les premiers lotissements de Cocody (Centre, II Plateaux, Riviera Golf) et Yopougon, le « nouveau monde », sont cantonnés sur des sommets aplatis. De sorte que dans les années 1980 l’allure d’Abidjan dans ces nouveaux quartiers ressemblait à une bande défilante de hauts lieux urbanisés parsemées de zone basses abandonnées à la verdure.
Les problèmes commencent quand, après l’épuisement des hauts lieux, la pression foncière se redirige vers les zones basses délaissées sciemment depuis l’urbanisation coloniale. Pendant que les opérations immobilières tapissent les versants de villas, les bidonvilles colonisent les talwegs, qui représentent les niveaux les plus bas des vallées. Ces lotissements devraient être précédés par des travaux lourds de VRD sur le modèle du secteur RAMBLAIS (entre Marcory et Koumassi) et sur l’exemple du quartier de Dakar appelé PARCELLES ASSAINIES, où des millions de mètre cube de terres ont été déplacés pour combler et niveler une ancienne zone basse gagnée sur les marais. Ces travaux structurants se sont doublés de la construction de réseaux d’écoulement des eaux pluviales, tracés suivant l’orientation des talwegs naturels. Ce qui n’a pas été fait dans le cas de l’étalement de Cocody sur les parcelles inhabitables situées au delà des quartiers de Cocody centre et de la Riviera Golf. Mettez vous au feu tricolore d’Abidjan Mall et balayez du regard l’étendue de lotissements dans le sens de Bingerville et vous verrez que le quartier Palmeraie est une cuvette, qui part de ce feu tricolore jusqu’aux environs du Nouveau Camp d’Akouedo.
L’occupation de ce genre de sites témoigne de la saturation de l’ancien Abidjan et pose avec acuité le besoin de lancer les travaux structurants du GRAND ABIDJAN. Au Sénégal, pour sauver Dakar après les inondations monstrueuses de 2005, l’Etat a plutôt opté pour la construction d’une ville nouvelle à Diamniadio. Le projet a paru fou à ses débuts mais le gouvernement sénégalais est actuellement en passe de gagner brillamment son pari. Pendant ce temps en Côte-d’Ivoire, le temps semble s’être arrêté. En dix ans de paix et de croissance retrouvée, on a ni réussi à déménager la capitale à Yamoussoukro, ni exécuté les travaux d’aménagement infrastructurel du grand Abidjan.
==== DIX ANS POUR CORRIGER 50 ANS ? =====
Je partage une partie de l’analyse du Dr N’goran. J’ai fait la mienne il y a deux jours.
Mais la chute de l’analyse du Dr N’goran ne me semble pas défendable.
« …En dix ans de paix et de croissance retrouvée, on a ni réussi à déménager la capitale à Yamoussoukro, ni exécuté les travaux d’aménagement infrastructurel du grand Abidjan… »
En Avril 2011, avec l’état des lieux et les ressources mobilisables dans pareille situation POST-CRISE, quelles étaient ou quelles devraient être alors les priorités NATIONALES ?
Si toutes les ressources avaient été concentrées sur ces deux objectifs, on n’aurait eu ni ponts à Bouaflé, Bettié, Beoumi, Abidjan, Bassawa, Jacqueville, ni les connections territoriales par Tengrela avec le Mali, par Gbeleban avec la Guinée, par Danané avec la Guinée, par Touleupleu avec le Libéria, par la route l’Est, section Comoé – Abengourou – Agnibilékro qui nous conduit au Ghana, les multiples échangeurs d’Abidjan qui rendent désormais la mobilité raisonnable dans le grand Abidjan en attendant le Métro déjà lancé. Pour ne citer qu’un PETIT PAN de ce qui a absorbé au plan NATIONAL les énergies des gouvernants et les ressources de la nation. Un petit pan qui cache mal les chantiers titanesques entrepris. C’était ça ou le chaos environnemental et urbain pour 30 ans encore…
Le débat est donc faisable. Objectivement avec toutes sortes de grilles d’analyse.
===== QUID DES TRAVAUX STRUCTURANTS A FAIRE =====
L’assainissement n’en est qu’un volet. Le grand Y de contournement doit être cité. A côté du 4ème pont déjà avancé.
En 10 ans on ne peut donc INTELLECTUELLEMENT que rien de conséquent n’a été réalisé. Certes ce n’est pas ce que dit le professeur N’goran. Mais limitée la chute de l’analyse à cette conclusion, le signifierait indirectement pour beaucoup de lecteurs, qui ne sont pas outillés pour apprécier les motivations décisionnelles en situation de post-crise.
Enfin quand le professeur histoire écrit « mais le gouvernement sénégalais est actuellement en passe de gagner brillamment son pari. Pendant ce temps en Côte-d’Ivoire, le temps semble s’être arrêté… » je conclus que manifestement à défaut de voir ce qui crève les yeux en Côte d’Ivoire, il ne connaît pas le Sénégal et Diamniadio la nouvelle ville dont il parle.
Et c’est à ce niveau que le temps s’est arrêté en Côte d’Ivoire : le pseudo intellectualisme a inondé le corps social et l’espace des réflexions. Là le Sénégal continue de progresser.
Désolé Professeur ! Informez vous.
===== LE CHAMP ANALYTIQUE DE L’HISTOIRE =====
J’invite le Professeur Bangaly à faire une analyse comparée des expériences de développement de pays africains au sortir de crises identiques à celles de la Côte d’Ivoire.
Les exemples du Libéria et de la Sierra Leone en Afrique de l’Ouest, du Tchad, de la RCA, des 2 Congo en Afrique Centrale, de l’Angola en Afrique australe et accessoirement du Mozambique et de la Guinée Bissau (cas plus compliqués). Et même les cas du Nigeria 10 ans après la guerre du Biafra et du Ghana en ne se trompant de bornes historiques.
Ceteris paribus, une réflexion est possible.
==== LE CHANT DES LAUDATEURS =====
Pour ma part, de ce qu’il m’a été donné d’observer sur le continent africain, l’exemple ivoirien, toutes choses étant égales par ailleurs, reste UN CAS D’ÉCOLE !
C’est pourquoi je chanterai toujours les louanges de Ouattara en traversant le champ de ses possibles en 10 ans.
Que le temps ne s’arrête pas surtout pour ses successeurs !
==== PLUVIOMÉTRIE DE DAKAR VS ABIDJAN =====
Pour ceux qui veulent en parler ou en savoir.
Il pleut PEU à Dakar. Comparé au reste du pays le Sénégal, c’est une pluviométrie relativement faible. Chaque 10 ans, il y a un pic dont les conséquences sont dramatiques comme en 2005, exemple auquel se réfère N’goran. Mais entre deux pics on peut citer 2009 et 2013, deux années à grosses inondations sur la capitale Sénégalaise.
L’Etat Sénégalais avec le soutien de la communauté internationale s’active a résoudre ce problème de la capitale qui concerne plus de 25% de la population nationale, plus de 50% des citadins di pays, et une augmentation de près de 5% par an.
Des efforts importants ont été faits sous la gouvernance de Macky Sall qui n’a pas trouvé à sa prise de fonction la situation de la Côte d’Ivoire en 2011….
A son actif l’accélération du chantier de la nouvelle ville, Diamniadio à mi chemin entre l’ancien Dakar et le nouvel aéroport international du pays, situé dans la banlieue Dakaroise mais administrativement dans une autre région, celle de Thiès.
Diamniadio est dans le département dakarois de Rufisque…
De nouveaux ministères (4) ont été délocalisés à Diamniadio mais pour l’instant selon mon information, PERSONNE N’HABITE ENCORE SUR LE SITE EN CHANTIER.
Quelle population pourra y résider ? Moins de 100 000 ? Bien moins que cela. Le Pôle Urbain de Diamniadio n’est qu’un vingtième de Yopougon pour vous en donner la superficie réelle. Même si tout est bâti en hauteur, c’est bien peu.
Mais stratégiquement face à Dakar qui étouffe, c’est déjà quelque chose. Politiquement salutaire. Quoique les avis des architectes et urbanistes sénégalais dans leur grande majorité soit restés sur leur faim quant à l’ambition d’une smart city.
On pourrait épiloguer sur la comparaison.
==== TRANSFERT DE LA CAPITALE ET DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE =====
En 10 ans, le transfert de la capitale réalisé, aurait il réglé les problèmes d’inondations à Abidjan ?
Au soir du 1er Janvier 2011 englué dans une crise sans nom, après 10 ans de quasi léthargie économique, qui pouvait parier déjà qu’on qualifierait les dix nouvelles années à venir de période de paix et de croissance retrouvée ?
C’est déjà ça la réussite incontestable d’un mandat. Qu’on le reconnaisse ou pas !
Le transfert de la capitale, ambition légitime n’était plus une priorité face à l’ampleur des réalités du terrain. Malgré les engagements pris. Le débat n’est plus à faire.
Même s’il avait été réalisé après 10 ans, quelle population aurait été DÉPLACÉE sur Yamoussokro ? Et qui y residerait DÉFINITIVEMENT pour modifier sensiblement la population d’Abidjan…
===== LE SACRIFICE DE MILLE GÉNÉRATIONS ======
Concernant les chantiers structurants il faut se convaincre avec honnêteté qu’il est plus facile de les réaliser dans une ville vierge que dans des zones habitées par des populations dites « intellectuelles » ayant fait d’importants investissements immobiliers qui dans le cas échéant seraient impactés par ces travaux d’ampleur. Je parlais à juste d’un nouveau Napoléon III et d’un préfet Haussmann pour les réaliser sur Abidjan. Avec toutes les conséquences vécues et ASSUMÉES en France à l’époque.
Il nous faut faire ces travaux en trouvant les moyens de dédommager au mieux les impactés. Hélas au detriment des projets qui auraient pu être entrepris dans les autres villes de l’intérieur. Comme Yamoussoukro. C’est le prix à payer pour rattraper les erreurs de plusieurs générations politiques qui ont géré notre pays.
Professeur N’goran connaissez vous le projet du Grand Paris ?
« …Ce projet, imaginé et promu par le président de la République Nicolas Sarkozy dès 2008, est conduit, dans le gouvernement de François Fillon, par un secrétariat d’État spécialement créé pour l’occasion, le secrétariat d’État chargé du Développement de la région capitale… »
Bien évidemment, si on le perçoit comme un projet de 2008, on passe à côté de la plaque. Il faut remonter à …Napoleon III ! Retomber aux débats de 1920…jusqu’à notre époque. Chaque génération a fait sa part de sacrifices en respectant le tracé imposé de Paris et les réserves et servitudes déterminées.
Le rôle de l’histoire ?
Je me contenterai de dire ce qu’il n’est pas.
Naturellement personne ne lui demande d’être un géographe urbaniste. C’est un autre métier.
Personne ne lui impose d’être un économiste planificateur. C’est une autre spécialité.
Qui lui demande d’être politicien ? Personne non plus. Mais tout le monde peut porter ce manteau en Côte d’Ivoire. Parfois sans le savoir, avouons le !