Jean-Claude N’DA AMETCHI est un banquier et cadre financier ivoirien. Il fut le premier administrateur et directeur général de la Versus Bank en Côte-d’Ivoire.
Il est l’auteur des tribunes suivantes publiées sur cette même plateforme :
Programmation budgétaire: « Effectivement la Côte-d’Ivoire n’y est pas!
De nos années glorieuses qui avaient impeccablement dressé le lit du Miracle ivoirien, à nos affreuses !
Bonne lecture, et n’hésitez surtout pas à nous faire parvenir vos remarques et commentaires !
CÔTE-D’IVOIRE / ECONOMIE : NOTRE ECONOMIE AU RÉVÉLATEUR DU COVID-19 !
« Une politique économique ne peut réussir que si une politique sociale l’accompagne ».
(Jean-Claude N’DA AMETCHI, Notre tribune du 19 juin 2019, Programmation budgétaire : Effectivement la Côte d’Ivoire n’y est pas !)
Signe prémonitoire !
Au péril du sens de l’humanisme et de l’humanité, cette politique sociale ne saurait s’affranchir de la crise d’anticipation et du risque de pénurie.
Notre tribune va s’articuler autour du triptyque : 1. La situation ex ante ; 2. La situation à l’ère du covid-19 ; 3. L’après.
- LA SITUATION EX ANTE
À la question posée le jeudi 20 février 2020 par le journaliste du quotidien L’INTER sur le besoin de financement du budget national 2020 lors de la conférence de presse-bilan, le Premier ministre indiquera : « … C’est 1492 milliards de FCFA que nous devons lever globalement… ».
Pris de manière brute de décoffrage, cela pourrait traduire un déficit budgétaire pour l’exercice 2020 du montant de 1492 milliards de FCFA (chiffre officiel 1494,40 milliards de FCFA).
Quelle est la situation exacte du déficit budgétaire pour l’exercice 2020 ?
Le budget national 2020 est fixé à 8061,01 milliards de FCFA ; soit une hausse de 9.9% par rapport au budget 2019 d’un montant de 7334,34 milliards de FCFA.
Présentation synthétique (en milliards de FCFA)
Ligne 1 Budget 2020 : – 8061,01 (cash out / sorties)
Ligne 2 Recettes fiscales 2020 DGI : + 2716,20 (cash in / entrées)
Ligne 3 Recettes douanières 2020 DGD : + 1990,95(cash in / entrées)
Ligne 4 Emprunts 2020 marchés des capitaux Trésor : + 1494,40 (cash in / entrées)
Ligne 5 Recettes non fiscales Trésor : + 95,60(cash in / entrées, réalisations 2019)
Ligne 6 DEFICIT = – 1763,86
Pour cerner la structuration et l’articulation du budget national ivoirien, il y a lieu de faire un retraitement de bon sens.
La ligne 4 libellée ‘Emprunts 2020 sur les marchés des capitaux’ (national, régional et international) n’est pas une recette propre.
Ce sont des dettes contractées nécessitant remboursements. Comme il convient, notre déficit global pour l’exercice 2020 s’élève en fait à :
Ligne 6 + Ligne 4 = – 1763,86 (+) – 1494,40 = – 3258,26
Par conséquent, le besoin de financement de l’exercice 2020 pour atteindre l’équilibre financier est de 3258,26 milliards de FCFA.
.
Notre montant retraité de 3258,26 milliards de FCFA est d’ailleurs en cohérence avec le besoin global de financement de l’économie ivoirienne pour l’année 2019 qui lui s’élevait à 2416,9 milliards de FCFA (source DGA du Trésor public, vendredi 18 janvier 2019 à la cérémonie de cotation d’emprunts).
Le budget de l’État ivoirien est donc déficitaire, financé par l’endettement, emprunts obligataires, bons du Trésor, eurobonds, prêts directs etc.
(cf notre contribution écrite du 19 juin 2019). Nos recettes générées en majeur partie d’ordre fiscal sont largement insuffisantes pour couvrir nos dépenses. La Côte d’Ivoire s’endette pour pouvoir financer son niveau de vie.
Ce déficit budgétaire annuel et récurrent a un impact direct sur le stock de la dette qui au 31 décembre 2019 avait atteint le chiffre officiel de 13 300,23 milliards de FCFA contre 2283 milliards de FCFA au moment de l’atteinte de l’initiative PPTE, le 26 juin 2012 ; qui avait permis l’annulation de 4090,01 milliards de FCFA sur un stock de 6373 milliards de FCFA (DG du Trésor, vendredi 23 juin 2017).
Le déficit structurel montre la véritable santé du Pays.
L’idée, il faut rétablir les équilibres pour se préserver des vulnérabilités et des risques de délitement de la nation. L’Allemagne, après avoir effectué ses réformes structurelles, dégage des excédents budgétaires qui lui donnent une marge pour affronter les aléas.
La dette pèse sur les budgets des pays sous-développés. Elle les prive d’investissements stratégiques pour assurer leur développement intégral et authentique. Une règle d’or : se libérer du poids de ses déficits.
C’est la photographie de la situation économique et financière de la Côte d’Ivoire avant la pandémie du coronavirus.
- LA SITUATION À L’ÈRE DU COVID-19
Le coronavirus lamine tout sur son passage et ébranle tout le monde. Une pandémie qui ne tue majoritairement mais qui met l’économie à terre.
L’économie est gangrenée par le covid-19 qui explose les dettes et les déficits. Le virus fait déclencher à lui seul et en cascade, crise sanitaire, crise économique, crise sociale, crise alimentaire, crise financière, crise politique et cetera.
Face aux difficultés économiques et sociales engendrées, des plans de guerre économique pour faire face à la crise sanitaire d’abord puis à la crise économique en attendant la relance ont été concoctés.
Les États-Unis d’Amérique ont pour eux leur monnaie forte et de référence mondiale, le US dollar ; leur suprématie, leur puissance économique ainsi que leur système monétaire de feu en déploiement pour pallier aux aléas et aux déséquilibres.
L’Union Européenne des 27, pour répondre à la crise d’urgence sanitaire et économique a monétisé des stocks de dettes par des rachats massifs de dettes publiques et privées, y compris celles qualifiées de dettes pourries.
La monétisation des dettes européennes consiste à mettre à la disposition des États des liquidités disponibles (new money) en contrepartie des rachats des obligations qui pourraient ne jamais être remboursées. C’est ce que l’on appelle une dette perpétuelle ou une mutualisation des dettes. On annule, on endette et on redémarre.
Avec ce mécanisme, les banques européennes peuvent continuer à emprunter et financer les économies européennes.
La Banque Centrale Européenne (BCE) et la Banque Européenne d’Investissement (BEI), disposant d’importants fonds de réserves, ont été mises à contribution du financement de l’économie réelle.
À côté de cela, des instruments financiers sont mis en œuvre au niveau Pays. En France, la Banque Public d’Investissement (BPIFrance), crée pour soutenir la compétition, les PME et TPE, a accordé des prêts de trésorerie et émis des garanties bancaires en faveur des PME et TPE, y compris les sociétés françaises à l’étranger. Dispositif de soutien mis en place par la France pour leur permettre de maintenir leur part de marché en Afrique.
En ce qui concerne le plan de relance commun et massif, les discussions se poursuivent pour une création d’un instrument de dette commun aux conditions exceptionnelles. Les pays du nord (Allemagne et les Pays-Bas), plus vertueux, sont favorables à des crédits remboursables tandis que les pays du Sud (France, Italie, Espagne) penchent plutôt pour des transferts budgétaires non remboursables vers les Pays et les secteurs les plus touchés.
L’Europe a fait le choix de la dette plutôt que des faillites.
L’Afrique, encore une fois de plus, est oubliée et laissée pour compte. Sa marge de manœuvre est étroite. L’Afrique ne dispose pas des mêmes institutions financières aux réserves abondantes ainsi que des mêmes instruments financiers. Pour elle, il est question de moratoire et non d’annulation de dettes.
L’Afrique se retrouve corsetée dans les mêmes schémas du type les politiques issues du consensus de Washington, avec les politiques d’ajustement structurel de FMI dont la clef du développement se résume à stabiliser, privatiser et libéraliser, l’initiative PPTE et d’autres politiques d’austérité. Ces recommandations émanaient d’économistes du FMI et de la Banque mondiale à destination des pays en développement alors qu’aucun des pays industrialisés n’a appliqué ces méthodes. Faire de l’État un pilote de l’économie à l’aide d’entreprises publiques était un péché à sa lèse-majesté. Le bilan de ces préceptes nourris de l’école de Chicago a été désastreux tant en termes économiques que pour les populations les plus pauvres ; avec le coût des erreurs à l’entière et unique charge des Pays africains.
Emmanuel Macron, en plaidant avant l’heure pour une annulation massive de la dette de l’Afrique, saisissait l’opportunité offerte pour lancer une opération de charme envers la base électorale des citoyens français d’origine africaine, en prévision de l’élection présidentielle de 2022. Il savait bien que ce pari inédit était pour l’heure surréaliste et ne dépendait pas de sa seule responsabilité et décision. Connaissez-vous l’expression française en pensant au barbier : « Demain, on rase gratis » !
Chez nous, la Côte d’Ivoire a concocté respectivement deux plans, le plan de riposte sanitaire au covid-19 d’un montant de 95,880 milliards de FCFA et le plan de soutien économique et humanitaire de 1700 milliards de FCFA.
Tous deux ont été élaborés dans une première phase et ensuite le gouvernement ivoirien ne disposant pas de cet argent public, les a soumis aux bailleurs de fonds et donneurs d’aides en vue de la mobilisation au fil de l’eau des ressources financières de sauvetage. D’où le décalage de timing dans la mise en œuvre des mesures arrêtées.
Notre situation budgétaire déficitaire nous oblige à avoir recours à l’endettement pour faire face aux conséquences économiques et sanitaires de la pandémie. La Côte d’Ivoire est donc exposée à des dépenses supplémentaires considérablement alourdies, à moins de recettes fiscales bases de ses revenus propres, donc à une augmentation de son déficit et de son stock de dette.
La Côte d’Ivoire doit se donner les moyens de sortir de cette volonté d’uniformiser la pensée économique et d’étouffer la diversité des analyses économiques.
Si en démocratie il peut y avoir des alternances politiques, les alternatives économiques au bénéfice et dans l’intérêt du Pays existent aussi en économie. Il est annoté que les pays qui sont sortis du sous-développement sont d’ailleurs ceux qui n’ont pas appliqué les recommandations du consensus de Washington. C’est le cas de la Corée du Sud ou de la Chine qui ont subtilement appliqué un modèle mélangeant intervention de l’État et économie de marché. Les résultats spectaculaires sont connus du monde. Ils ont abouti à la création de champions qui rayonnent au niveau mondial.
Le covid-19 est un puissant révélateur des États, des préceptes, des politiques publiques, des hommes et des inégalités. La pandémie révèle les grandes fractures et décalages ainsi que l’égoïsme des pays développés.
Les politiques et choix budgétaires relevant de chaque nation, la Côte d’Ivoire doit y songer fortement et en même temps dans le cadre de la relance de son incontournable réforme économique et sociale. Les évidences commencent à s’imposer, le pragmatisme aussi.
- L’APRÈS
Le monde entier s’accorde à dire que rien ne sera plus jamais comme avant. Il va y avoir de grands bouleversements et des remises en question d’un certain nombre de pratiques et de paradigmes à la fin de cette crise.
Des grandes voix, des tribunes, en dehors du monde politique, se sont plus ou moins élevées et ont été publiées dans des registres divers pour lancer des alertes au continent africain afin que leurs dirigeants ne ratent pas, cette fois, ce tournant décisif. Parmi elles, il y a eu entre autres le message collectif des intellectuels africains aux dirigeants africains, l’action des quatre envoyés spéciaux de l’Union Africaine, les interviews RFI et TV5 Monde de Tidjane Thiam et l’interview de Wole Soyinka.
De toutes ces voix emblématiques, celle de Wole Soyinka, écrivain nigérian, prix Nobel de littérature, a emporté notre entière adhésion. Wole Soyinka était l’invité Afrique de Caroline Lachowsky le mercredi 29 avril 2020 sur RFI. Sans malice ni ruse non plus et sans se faire passer pour un messie ou un homme providentiel, Wole a dit en autres aux dirigeants africains : « faisons en sorte que tout cela ne soit pas encore un gâchis, tirons quelque chose de positif de ce désordre universel » . Refusant de se faire classer parmi les huiles, Wole Soyinka a porté une ligne responsable. Il s’est placé non pas dans la synthèse molle mais plutôt dans l’exigence, dans l’objectivité et dans le jugement libre. Il a simplement eu le courage de dire la vérité à l’Afrique toute entière et n’a pas manqué d’interpeller son Nigéria, en posant les vraies questions et problématiques.
L’économie du monde est en état de coma artificiel. Aujourd’hui, c’est l’Etat partout mais pour l’urgence sanitaire, économique et sociale. C’est la défaite des idéologies, la victoire du pragmatisme budgétaire et monétaire. Les idéologies de droite et de gauche n’ont pas résisté à la crise du covid-19. Elles ont toutes été balayées.
En ce qui concerne notre pays, La Côte d’Ivoire doit observer le pessimisme de l’intelligence et non la communication médiatique. Revenant en détail sur le plan de riposte du gouvernement présenté par le Premier ministre, le ministre de l’économie et des finances, dans une interview exclusive, affirmera que : « l’économie ivoirienne reste suffisamment solide et devrait rapidement remonter la pente, dès la fin de la crise » . Nous ne partageons pas du tout ce sentiment. C’est une présentation sensationnelle. Le covid-19 est entrain de tout fait voler en éclats. Cette crise a mis à nu les faiblesses des politiques publiques, les erreurs et les ratés. Et la Côte d’Ivoire n’y échappe pas.
Le monde de maintenant doit préparer en même temps l’après. La Côte d’Ivoire n’a pas d’autres choix que d’avoir le courage et l’audace de la réforme. Nous devons opter pour un système politique basé sur les fondamentaux de la vie et non sur les fondamentaux économiques inventés avec une obsession comptable vulnérable d’ailleurs comme l’UE des 27 l’a démontré pour ses intérêts. La Côte d’Ivoire déjà corsetée, doit alléger l’Etat et le poids de la dette. Louis-Ferdinand Céline écrivait : « on ne meurt pas de ses dettes. On meurt de ne plus en faire ». La première des choses à faire, c’est la réforme de fond en comble de l’Etat et ses politiques publiques par son assainissement et sa modernisation. Nous devons réussir à dégager un consensus politique pour passer au peigne fin l’usage des deniers publics par l’administration. Cela passe par les réformes institutionnelles et structurelles qui sont sources de vraies économies structurelles ainsi que par la remise à plat des dépenses publiques. L’autre grand volet d’économies de dépenses porte sur la grande administration publique, avec la politique de décentralisation et les collectivités territoriales, en procédant à une rationalisation de leur compétence et en poussant au regroupement harmonieux ou à la fusion des structures administratives. Les excès, les abus, les strates administratives ou mille-feuille, c’est là que réside le plus grand réservoir d’économies potentielles.
Un État doit être bien géré pour être efficace. Une saine gestion donne des marges de manœuvre pour financer les investissements dont le pays a besoin.
Les autres sujets de réformes touchent le changement climatique et la déforestation, l’industrialisation avec la transformation locale de nos matières premières, l’immigration dont le coût social réel est un fardeau pour le pays, la recherche scientifique, technologique et technique dont la logique du profit n’est pas compatible avec le travail du chercheur.
La réussite de cet exercice de réformes permettra à l’État de remettre le paquet sur l’éducation et la santé, deux piliers cruciaux des politiques publiques.
L’autre volet conjugué concerne la réforme du secteur bancaire et financier. Il ne s’agit point d’imposer l’arbitraire de l’État mais de le livrer à la sanction du marché et des règles édictées.
Il s’agira d’inverser les rôles en plaçant l’État en pole position, en qualité incontournable et indéboulonnable de faiseur du marché. Des études approfondies et éprouvées ont été menées par nos soins ; nous ne réinventons d’ailleurs pas la roue. Elles aboutissent à la quintessence suivante : « Un Pays souverain comme la Côte d’Ivoire qui non seulement n’assure pas mais aussi n’assume pas sa souveraineté sur son secteur bancaire et financier, ne peut s’inscrire dans le développement durable. Impossible ! Impossible ! Impossible ! » . Texte par J.-C. N’DA AMETCHI.
Oui, trois fois impossibles. En effet, cela était impossible hier, il est plus que jamais impossible aujourd’hui avec la pandémie du covid-19 comme révélateur et il le sera d’autant plus demain. Il faut placer le système des banques ou du moins des banques sous le giron de l’État au service de l’économie réelle et non de la rente et la spéculation.
Dans la même vision et au plan politique, nous devons nous approprier ne serait-ce que sur cette seule ligne, la philosophie du Vatican : « Morte un Papa se ne fa un ‘ altro ».
Pour qu’ensuite nous soyons tous capables, non pas sur les ruines de la démocratie de la jungle, ce plus grand diviseur commun de l’humanité africaine, qui devrait normalement s’éteindre de son cycle, de crier à l’unisson et dans l’ordre, dans la Grande République de civilisation, le plus grand rassembleur commun : HABEMUS PAPAM. Le changement culturel et des mentalités devraient nous aider à rétablir l’autre équilibre de la balance. Le poids économique et le poids politique doivent être en équilibre. Et l’école de Goethe, c’est à dire les industries et services de l’éducation, est un bon levier pour y parvenir.
La Côte d’Ivoire ne sera pas crédible si les systèmes, les pratiques et les paradigmes ne changent pas de fond en comble.
Inéluctablement, nous devons apprendre de cette crise majeure et savoir en tirer toutes les conséquences pour vaincre nos déficits et nos ambiguïtés. Il ne s’agit plus d’être plus fort à notre verbe qu’à notre action. Et cette action doit s’opérer dans l’ouverture et la concorde, dans la confrontation des convictions contre convictions. Faisons seulement en sorte que ce tournant déterminant ne débouche sur un autre nihilisme.
Si la Côte d’Ivoire n’accepte pas d’être çà, elle périra et dépérira !
Texte par Jean-Claude N’DA AMETCHI
Cadre Financier
Société Civile
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