Que l’archevêque d’Abidjan ne puisse pas tenir tête à un régime qu’il a soutenu et porté à bout de bras pendant 9 ans, on peut aisément le comprendre et c’est peut-être la vraie explication de cette honteuse reculade car les arguments donnés par son chargé de communication pour justifier l’annulation de la marche sont loin de convaincre.
Mgr Bernard Yago pouvait résister à Houphouët, lui tenir tête et lui dire ses quatre vérités parce qu’il ne lui devait rien, parce qu’il ne dépendait pas financièrement de lui, parce qu’il avait compris que celui qui compte sur l’argent des politiciens pour vivre ne peut leur parler librement.
Résister à Ouattara en maintenant la marche dans les rues du Plateau signifierait, pour Kutwã, scier la branche sur laquelle il est assis.
Le plus grave dans cette affaire, c’est que les laïcs n’ont pas été consultés avant la prise de cette mauvaise décision, ce qui prouve que le cléricalisme, critiqué et désavoué par le Pape François ces cinq dernières années, refuse de mourir dans notre Église. La conférence de presse de l’abbé Augustin Obrou aurait été plus utile si elle avait consisté à prendre à témoin l’opinion nationale et internationale sur le fait qu’il n’y a ni sécurité ni liberté de manifester en Côte d’Ivoire et que nous avons affaire, sous Ouattara, à une dictature plus féroce que celle du Chilien Augusto Pinochet. C’était l’occasion de montrer que les actes de l’ami de Sarkozy jurent avec ses discours et que ses partisans peuvent menacer d’agresser ou de tuer d’autres Ivoiriens voulant marcher pacifiquement sans que cela n’émeuve le Premier ministre, ni le ministre de l’Intérieur de la Côte d’Ivoire.
La démonstration est ainsi faite que, dans l’Eglise aussi, il y a un mauvais leadership en ce sens que ceux qui sont censés nous guider aiment les honneurs et autres avantages sans les contraintes et sacrifices attachés au bon leadership car ce qui caractérise un bon leader, c’est sa capacité à obéir au peuple qui souffre et pleure plutôt qu’au tyran qui piétine ce peuple et l’opprime quotidiennement, sa capacité à prendre des coups pour les pauvres et laissés-pour-compte, sa capacité à ne pas reculer quand la cause qu’il défend est juste et à n’accepter aucun compromis sur ses valeurs.
C’est le lieu de dissocier l’archevêque d’Abidjan de la conférence des évêques de Côte d’Ivoire. Les discours et actes d’un évêque n’engagent pas forcément les autres évêques, ni la conférence épiscopale, ni le clergé ivoirien.
La “marche priante”, annoncée puis annulée précipitamment pour des raisons bidon, n’était pas une initiative de la conférence épiscopale mais de Mgr Kutwã. Par conséquent, il est injuste et erroné d’imputer la volte-face de Jean-Pierre Kutwã à toute la conférence épiscopale qui, redisons-le ici, a délivré un excellent message au terme de sa dernière rencontre à Korhogo.
Par ailleurs, il est bon que chacun de nous sache une fois pour toutes que le “chef” de l’Église catholique dans notre pays n’est pas l’archevêque d’Abidjan mais le président de la conférence épiscopale, c’est-à-dire Mgr Ignace Bessi Dogbo (évêque de Katiola).
Bernard Yago était considéré comme tel parce qu’il était le seul archevêque à cette époque (1960-1990), d’une part et parce qu’il était le plus ancien en âge et dans la fonction, d’autre part.
J’ai mis le mot “chef” entre griffes parce que le vrai chef de l’Église s’appelle Jésus. Le Pape est son vicaire et les évêques, les successeurs des apôtres.
Jean-Claude DJEREKE
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