Au bord du fleuve N’Zi qu’adoraient mes parents, nous nous remémorons notre joyeux passé et nos légendes. C’est du côté de Djakpo, petit village situé au bord du N’Zi, que l’homme blanc fit son apparition dans la région, nous avait-on dit. Djakpo, village de ma grand mère, dont les premiers habitants, mes ancêtres, seraient venus de Satama-Sokoura, dans la région de Dabakala.
Au bord du fleuve N’Zi, les soirs de pleine lune, on nous racontait l’histoire de ce village, Dida Moessou, dont les habitants furent transformés en pierre pour je ne sais quel péché. C’est au bord de ce fleuve qui innerve toute cette région naguère si riche, que je vis le jour, à Bocanda plus précisément. C’est à ce n’Zi, à Alloko-Kouakoukro, chez mon grand-père, que l’on me confia lorsque je m’apprêtais à aller de l’autre côté de la mer pour terminer mes études. Bocanda. Ou oka Nda, les collines jumelles. La ville fit rêver. Les vieilles maisons coloniales que l’on y rencontre encore aujourd’hui peuvent en témoigner.
Après mes deux ans, je passai le reste de mon enfance à Ouellé où ma mère, avec qui j’étais resté après la séparation de mes parents, avait obtenu un travail à la maternité. Mais je passais toutes mes grandes vacances en ville, à Bocanda.
Il y avait là-bas de l’électricité, du goudron, une librairie où je faisais mon plein de bandes dessinées, une boutique où j’achetais les cordes de ma guitare lorsque j’en eus une, un orchestre qui eut son heure de gloire, «les Zoulous de Bocanda », avec le célèbre Jean Raph. Autant de choses que nous ignorions à ouellé. Il y avait aussi des religieux américains qui vivaient à Bocanda, dans une grande cour ombragée en face de la nôtre. Dimbokro, située aussi au bord du n’Zi, je la découvris en classe de CM2. C’était la ville lumière à mes yeux. Je ne connaissais pas encore Abidjan. C’est à Dimbokro que je découvris le WC moderne avec chasse d’eau. Lorsque l’on m’expliqua que c’était là les toilettes où je devais faire mes besoins, j’observai avec beaucoup de méfiance cet objet blanc à moitié empli d’eau, et cette corde qui pendait. Je vous épargne la panique qui s’empara de moi lorsqu’après une longue hésitation, je me résolus à tirer sur cette corde. Ah ce bruit, toute cette eau qui tourbillonnait dans ce récipient blanc. Beaucoup plus tard, les mathématiques me firent reprendre ma classe de troisième au lycée moderne de Dimbokro.
Ernest Koffi ne s’appelait pas encore Nst Cophies et nous nous disputions ma guitare. Il y était nettement plus doué que moi. Mes talents à moi s’exprimaient dans les lettres et les langues. David, le petit frère d’Ernest, était le matheux de la classe. C’est tout logiquement qu’il devint plus tard un grand médecin. Monsieur barry, notre prof de maths qui vit toujours à Dimbokro, me donna le coup de pouce qu’il fallait pour que j’aille poursuivre mes études au lycée de Daoukro, ville où ma mère poursuivit sa carrière et finit par s’établir définitivement après sa retraite. Et moi avec elle. Je ne connus Kouassi-Kouassikro que récemment, mais c’est là-bas que mon père acheva sa carrière de sous-préfet et que naquirent mes derniers petits frères, ses « enfants de retraite ».
Dimbokro, bocanda, Kouassi-Kouassikro, M’bahiakro, Ouellé, Daoukro, Bongouanou.
Toute cette région était surnommée « la boucle du cacao », parce qu’elle produisait beaucoup de cacao, la richesse de notre pays, et sur la carte elle formait une boucle. Au temps de bédié, toutes ces localités furent regroupées dans une même région, celle du n’Zi-Comoé. Et j’avais une histoire particulière avec chacune de ces localités. Bocanda, c’était chez ma mère et j’y étais né, Bongouanou, plus précisément M’batto, c’était chez mon père, ouellé où j’avais passé mon enfance et mon adolescence, M’bahiakro où j’avais fait le collège, Dimbokro où j’avais fait le lycée, et Daoukro où je vivais désormais. Aujourd’hui, elle est éclatée en trois régions : le n’Zi avec Dimbokro, Bocanda et Kouassikouassikro, le Iffou avec Daoukro, Mbahiakro et Prikro, et le Moronou avec Bongouanou, Arrah et M’batto. De l’eau du n’Zi coula sous les ponts devenus vieux. Après mes études, je commençai à travailler et à faire des infidélités à Bocanda. Mes nombreux cousins et amis d’enfance vivaient tous à Abidjan comme moi. Je reçus un choc lorsque j’y repartis.
Le temps semblait s’y être arrêté. La ville qui enchantait mon enfance avait disparu. Ne restait qu’une cité sinistrée, dynamitée par la misère, une ville qui semblait oubliée par l’histoire, une ville fuie par ses habitants les plus valides qui sont allés chercher leur bonheur ailleurs, dans ce que l’on appelait « la nouvelle boucle du cacao », dans l’ouest du pays.
Dimbokro ne se portait guère mieux. Le train avait arrêté de siffler et Utexi, l’usine textile qui offrait des emplois, vivotait. Elle finit par fermer ses portes.
Kouassi-Kouassikro était carrément restée hors du temps.
Pour les populations, notamment de bocanda et de Kouassi-Kouassikro, on les avait tout simplement oubliées.
Mais Alassane ouattara, natif de Dimbokro, est arrivé. Et au bord du fleuve n’Zi, on se reprend à rêver. Et à espérer. Le président de la république sillonnera toute la région à partir de ce jour et touchera toutes ses réalités du doigt. Les idées pour redonner à la région du N’Zi son lustre d’antan n’ont jamais manqué. Ce qui a manqué a sans doute été l’union de ses fils et filles autour d’une vision partagée, l’union derrière un leader incontesté. Il est peut-être temps de le faire maintenant, pour que le sourire revienne au bord du fleuve n’Zi. Et que de nouvelles légendes plus belles y naissent.
VENANCE KONAN
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