Edito de Venance Konan
Qu’il me soit permis à mon tour, à présent que la passion commence à retomber, d’ajouter ma petite voix à toutes celles qui ont analysé et disséqué le phénomène Arafat DJ et tous les évènements qui se sont produits après son décès brutal.
Parlons d’abord de sa vie. Ses parents étaient deux artistes bien connus dans notre pays. Son père, Houon Pierre un musicien que l’on appelait Wompi, est décédé d’un arrêt cardiaque dans une chambre d’hôtel à Yamoussoukro lors d’une tournée. Le fils avait raconté que son père le battait chaque fois qu’il touchait à ses instruments.
Etait-ce pour lui éviter de devenir plus tard artiste comme lui?
Sa mère, une chanteuse connue sous les noms de Tina Spencer, puis Tina Spendja et maintenant Tina Glamour, est beaucoup plus célèbre pour ses frasques et les différents scandales qu’elle provoque que pour ses qualités de chanteuse. Faut-il s’étonner qu’à 14 ans, leur enfant Ange Didier se retrouve à la rue?
A cette époque, le phénomène du «coupé-décalé» commençait à poindre. Il consistait à gagner beaucoup d’argent par tous les moyens, surtout les plus malhonnêtes, et à le claquer de la façon la plus ostentatoire. Il ne s’agissait surtout pas de réaliser quelque chose avec, mais de le dépenser le plus vite possible, en s’achetant les vêtements les plus coûteux, en le gaspillant dans les boîtes de nuit, en faisant le plus de bruits. Une musique en naît, qui séduit une grande partie de la jeunesse. Le mouvement a ses héros qui fascinent cette jeunesse.
À cette époque, la Côte d’Ivoire est déchirée par la crise militaro-politique et l’on assiste à de massives violations des droits de l’homme, dans la plus totale impunité. Toutes les valeurs sont foulées aux pieds. Des grands criminels deviennent des stars, simplement parce qu’ils ont de l’argent. Le seul dieu qui émerge et que la majorité des Ivoiriens commence à adorer est le dieu argent. Argent qu’il faut gagner vite, par tous les moyens et dépenser vite. Naissent alors ceux que l’on appelle les «brouteurs», que l’on accuse de pratiquer des sacrifices humains pour s’enrichir le plus rapidement possible. Et effectivement, l’on assiste à des disparitions d’enfants et parfois des personnes sont arrêtées pour des crimes rituels. Houon Didier Ange rêve de gloire et de richesse.
Il y parvient par la musique, le «coupé-décalé», sous le nom d’Arafat DJ.
Il sait communiquer sur les réseaux sociaux. Il a de nombreux fans. Il devient une star. Devient-il un modèle pour la jeunesse? Certainement pas. Il vit une vie de star, avec ses frasques et ses excès. Rares sont les grands artistes qui mènent une vie rangée que l’on pourrait présenter comme des modèles à suivre. A-t-il fait avancer la musique? Ce n’est pas mon point de vue. Et je sais que mes enfants ne partagent pas mon opinion. Comme de nombreux Ivoiriens de ma génération, j’étais incapable de fredonner un air d’Arafat DJ avant sa mort tragique. La musique qu’il faisait était pour moi juste du bruit.
Mais, je sais que les musiques que j’aime, reggae, rock and roll, blues, jazz, ont été ainsi qualifiées à leur naissance. Arafat DJ finit par mourir de ses excès, dans un accident de moto, une nuit d’août. Il est mort comme beaucoup de grands artistes dans le monde qui ont brûlé leur vie par les deux bouts. Ses nombreux fans sont inconsolables. Le gouvernement décide alors de lui organiser des funérailles grandioses. A-t-il eu raison?
À chacun d’apprécier. Pour ma part, je pense que le gouvernement avait voulu faire plaisir à cette frange de la société trop souvent oubliée, et surtout veiller à ce que leur douleur ne dégénère pas en actes de vandalisme incontrôlés dans la ville. Mais c’est là que le malentendu s’installe. Plus le pouvoir en faisait pour l’artiste décédé, et plus il était suspecté. C’est que dans ce pays où l’esprit magique prévaut chez bon nombre de nos concitoyens, rien n’est naturel. On ne devient pas riche par son travail, mais par des pratiques mystiques. On ne meurt pas d’un accident parce que l’on a peut-être trop bu et que l’on a fait des cascades avec sa moto sans casque, mais parce que des sorciers vous ont jeté un sort.
De nombreuses personnes qui semblent avoir la tête bien posée sur les épaules ont trouvé anormal que Arafat DJ meure ainsi. Puis un pasteur est venu annoncer qu’il pouvait ressusciter le mort. Et des personnes y ont cru. Il y a eu débat dans ce pays pour savoir s’il fallait laisser ce pasteur tenter sa résurrection ou non.
Ensuite, des soi-disant religieux, «hommes de dieu» et autres farfelus ont annoncé urbi et orbi que les francs-maçons étaient venus chercher le corps de l’artiste, pour on ne sait quelle œuvre satanique, qu’ils tenaient une réunion sous le stade au moment même de la cérémonie d’hommage.
Les réseaux sociaux permettent aujourd’hui à n’importe quel demi-analphabète d’énoncer des stupidités que d’autres demi-analphabètes prendront pour la vérité. Des messes ont été organisées un peu partout pour contrer les prétendues actions mystiques de ces francs-maçons. Pour bon nombre de nos concitoyens et pour de nombreux fans d’Arafat DJ, si le gouvernement en faisait autant pour lui, il y avait forcément anguille sous roche.
Pourquoi s’étonner par la suite que les fans d’Arafat DJ aient voulu s’assurer que le corps de leur idole n’avait pas été subtilisé pour servir à des pratiques démoniaques? Qui sont-ils ces jeunes qui ont profané la tombe de Houon Ange Didier? Des enfants de la rue pour la plupart, sans aucune éducation, à qui personne n’a inculqué la moindre éthique morale, pour qui la vie humaine n’a aucune valeur, qui parfois tuent pour quelques billets de banque.
Nous sommes scandalisés? Mais pourquoi donc, dans ce pays où des personnes apparemment saines d’esprit croient qu’un pasteur peut ressusciter un mort, que les francs-maçons boivent du sang humain, que le meurtre d’un enfant peut rendre riche?
La société ivoirienne est malade depuis longtemps. Mais elle refuse de se soigner, préférant attendre une guérison miraculeuse. Alors, des malandrins se sont proclamés «hommes de Dieu» et font les poches à tous les malades naïfs qui tombent entre leurs mains. Que faire pour ces jeunes? Rien. Comme dit mon ami le docteur David Koffi, on ne peut pas redresser l’ombre d’un bâton tordu.
Ces jeunes sont notre ombre. C’est nous qui devons être redressés. Et tant que nous ne chercherons pas sérieusement à soigner notre société, tant que notre obsession restera l’argent ou le pouvoir, nos enfants ne cesseront pas de nous étonner. Désagréablement !
VENANCE KONAN
OUI, ENCORE ARAFAT.
« Arafat DJ finit par mourir de ses excès, dans un accident de moto, une nuit d’août. »
Faux et archifaux.
La cause primaire de l’accident n’est pas à imputer à un excès quelconque, mais plutôt à une erreur de conduite de la part de la dame qui s’est engagée dans la voie sans prendre les précautions d’usage qu’édicte le code de la route. Et vu qu’il y a eu mort d’homme, on devrait être dans un cas d’homicide involontaire.
Certaines causes secondaires sont évoquées :
L’excès de vitesse : sur la base des vidéos de surveillance, on pourrait aisément calculer la vitesse approximative du mobile. Et ici on voit bien qu’ARAFAT avait déposer sa moto et amorcé une phase de freinage (ce qui exclut toutes les allégations de suicide et de sacrifice) Il est illégal de ne pas respecter les limitations de vitesse et l’excès de vitesse est l’une des causes premières des accidents de la circulation, mais quand un usager de la route détient la priorité, ce n’est pas parce qu’il est en excès de vitesse que l’on a le droit de lui ôter la vie en la lui refusant.
Les produits dopant, l’alcool : Ici aussi, dans les réseaux sociaux, une allégation est produite dans ce sens, mais elle est à vérifier lors de l’enquête et non sur la base de propos tenus sur les réseaux sociaux. Mais comme dit plus haut, je réitère, un usager de la route qui détient la priorité, ce n’est pas parce qu’il est ivre ou drogué qu’on a le droit de la lui refuser et de lui ôter la vie.
A titre de comparaison, c’est comme si vous arrivez à un feu rouge et vous décider de passer sous le prétexte que l’autre usager de la route serait ivre. Non, son état supposé ne vous donne pas le droit de brûler le feu que vous vous devez de respecter. Et c’est parce que l’on suppose que vous ne l’avez pas fait exprès que l’on parle d’homicide involontaire, sinon ce serait carrément un homicide.
Le port du casque : Oui, un casque, c’est toujours utile quand on fait un accident, mais seulement à un certain degré. Et pour ceux qui pensent que le casque est un remède qui guérit tout, sachez qu’un accident frontal à 30kmh correspond à une chute du troisième étage. On devine donc aisément qu’un motard qui tombe sur la tête à 30 km/h a globalement autant de chances de mourir qu’à 120 km/h. Mais ne pas mettre de casque est tout de même une faute. Mais est-ce pour autant une raison de refuser la priorité à un usager de la route, simplement parce qu’il n’a pas de casque ? Sûrement, non.
Alors oui, soyons objectifs, la cause de l’accident est bien le fait que la dame ait coupé la route au motard sur un lieu qui lui imposait de marquer un arrêt avant de s’engager.
Dans une société qui se respecte, le lieu de l’accident aurait dû être sécurisé, il y aurait du avoir un constat, une expertise sur les véhicules et enfin des prélèvements auraient dû être faits sur le motard décédé quand la dame aurait dû subir un contrôle d’alcoolémie et/ou de drogue. Mais là on dira que ce serait de la science fiction.
Non, ARAFAT n’est pas mort de ses excès. Il a été victime d’un accident de la circulation, suite à un choc contre un véhicule qui lui a barré la route. Ceci devrait être la version officielle. Si elle est différente, alors le but sera forcément de protéger la dame et de transformer un personnage anti conformiste en personnage suicidaire. ARAFAT n’était pas suicidaire. Il s’évertuait à contrôler ses excès.
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« Pour ma part, je pense que le gouvernement avait voulu faire plaisir à cette frange de la société trop souvent oubliée »
OH que non. Un gouvernement ne dépense pas 150 millions de francs et ne déplace pas 6.000 policiers pour faire plaisir à des « chinois ».
Un journaliste comme Venance KONAN ne peut évoluer dans le monde du journalisme sans savoir ce que représente les réseaux sociaux dans la sphère politique actuelle. Rien que pour la ville d’Abidjan, on a près de 4.000.000 de personnes connectées et ARAFAT est l’artiste ivoirien le plus populaire, non pas seulement parmi la population ivoirienne, mais aussi sur ces réseaux. ARAFAT n’avait pas encore pris conscience de la puissance politique qu’il avait entre les mains (au contraire de personnes comme YOUSSOU NDOUR, ALPHA BLONDY et TICKEN JAH), mais elle était réelle et le gouvernement (disons plutôt HAMBAK) pensait pouvoir avoir un impact favorable sur cette « électorat latent» s’il se faisait bienfaiteur de celui-ci en organisant les obsèques d’ARAFAT. Sinon cela ne se comprendrait pas qu’il n’aurait rien entrepris pour les obsèques de divers hommes de cultures décédés quelques mois avant celui-ci (ils sont nombreux. Ne les oublions pas).
Ici, on se demande donc pourquoi Venance ne fait pas le pas et ne dit pas ce qui est, en contournant le gouvernement dont l’action était pourtant légitime, car dans le jeu du pouvoir, on saisit toutes les balles qui vous tombent dessus, si cela pourrait apporter un avantage. Ce pouvoir dépense des centaines de millions pour subventionner le HADJ, pour organiser des jeux sportifs. Il est en charge et cela se fait uniquement dans le but de consolider un bilan que l’on présentera à terme. Le gouvernement a joué et il a perdu.
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« Les réseaux sociaux permettent aujourd’hui à n’importe quel demi-analphabète d’énoncer des stupidités que d’autres demi-analphabètes prendront pour la vérité. »
Oui, la belle tirade que l’on connaît d‘un célèbre écrivain. Mais c’est trop facile. Les réseaux sociaux véhiculent de l’information, qu’elle soit fausse ou pas. C’est avant tout de l’information qui se fonde et qui prospère parce que la « VERITE » n’est pas proposée aux personnes qui se nourrissent au sein de ces réseaux.
Il ne s’agit pas ici de défendre ou de protéger les acteurs de ces réseaux, qui sont très souvent de simples citoyens qui n’ont que leurs claviers pour s’exprimer. Mais il faut rester objectif. Toutes les actions posées qui auraient pu alimenter des rumeurs ou forcer des individus à produire des actes illicites, auraient pu être amoindries, sinon anéanties, si le gouvernement et les personnes en charge avaient distillé des informations claires et précises (au bon moment, ce qui veut dire qu’il faut visite les réseaux sociaux et connaître les tendances, être réactif) qui auraient pu répondre aux interrogations formulées ici et là.
La faute du gouvernement est de ne pas avoir pris la pleine mesure de ce dont les réseaux sociaux sont capables. Et même de nos jours, il pense pouvoir avoir le contrôle sur ces réseaux en frappant les acteurs de ces réseaux au lieu de corriger la nature de ce qui y est abordé et distillé. Que l’on décide de mentir ou de ne pas dire la vérité (se taire ou taire des faits), dans les deux cas, face est des personnes incrédules, dubitatives, c’est à dire à des gens comme vous et nous, il est évident qu’il y aura sur les réseaux sociaux des interrogations, des craintes, des critiques qui fuseront et qui s’amplifieront. Des personnes voudront profiter de ce vide pour se donner de la valeur (certains pasteurs) ou pour se positionner politiquement et jouer au médecin après la mort. Mais dans le fond, c’est le mécanisme de fonctionnement de ces réseaux sociaux que le gouvernement n’arrive pas à contrôler, ou plutôt, essaie de contrôler par la force.
De la naissance de la rumeur, du doute, à la commission d’actes illégaux, à la grève, à la contestation ou même à la révolte, voire la révolution, toutes les étapes sont graduelles et faciles à distinguer. On voyait bien la mayonnaise monter.
Et si ce gouvernement n’arrive pas à prendre la pleine mesure de ce que représente ces réseaux sociaux (et non les acteurs derrière), on ne sera pas surpris de voir que facebook sera totalement déconnecté le jour du vote présidentiel et pendant toute la période de proclamation des résultats.
Chaque fois que le gouvernement aura un intérêt à cacher quelque chose, que ce soit volontairement ou pas, que ce soit de façon stratégique ou pas, les réseaux sociaux réagiront de façon proportionnelle et opposée, avec des effets sur le terrain et sur les opinions (nationale et désormais internationale) qu’on ne pourra plus contrôler, à moins de verser dans l’injustice et l’exagération.
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« Que faire pour ces jeunes ? Rien. Comme dit mon ami le docteur David Koffi, on ne peut pas redresser l’ombre d’un bâton tordu.
Ces jeunes sont notre ombre. C’est nous qui devons être redressés. Et tant que nous ne chercherons pas sérieusement à soigner notre société, tant que notre obsession restera l’argent ou le pouvoir, nos enfants ne cesseront pas de nous étonner. »
Ca c’est trop facile mon cher ami. Vous avez fait l’effort de l’étude et vous aboutissez sur cette conclusion. Rien ? Are you serious ?
Non, la personne a indexer en premier est le gouvernement, sinon l’état. Il est vrai que concernant le cas ARAFAT, on parle bien d’éducation familiale, de base, sinon de culture et c’est dans la cellule familiale que les premières vertus et valeurs sont à inculquer. Mais l’organisme qui détient les moyens pour permettre à la jeunesse d’acquérir les valeurs nécessaires pour s’épanouir dans la vie, c’est bien l’état avant tout. Il faut pouvoir donner un avenir à chaque jeune de ce pays, faire en sorte qu’il sorte de l’oisiveté et qu’il ne s’abreuve pas à la source de ces valeurs subjectives qui ne lui apportent en fin de compte rien du tout (sorcellerie, franc-maçonneries, miracles et autres manifestations jamais certifiées…)
Si l’état n’est pas capable de dresser clairement le profil de carrière de cette jeunesse qui s’engagera dans la vie active, à travers la réduction du chômage, à travers l’amélioration de leurs conditions de vie, alors oui, on ne s’en sortira pas.
On ne saurait donc pas terminer une papier pareil sans formuler de critique envers ceux qui nous dirigent. Le fait divers dont on parle ici est un révélateur malheureux d’une réalité sociale qui n’attendait qu’un prétexte pour se déclarer.
Il est donc évident que si ces évènements n’avaient pas eu lieu lors des obsèques d’ARAFAT, on n’aurait peut-être pas su que notre jeunesse était malade à ce point. Pourtant, les symptômes sont visibles et palpables et ce depuis quelques années.
Alors oui, il serait temps d’arrêter de nous sortir des papiers sur ARAFAT et d’en faire une vache à lait journalistique.
Analyser concrètement les problèmes sociaux que ses obsèques ont mis à jour et trouver en des solutions, pour le bien de notre chère Côte d’Ivoire .
Dabakala.