« Monnaie unique en Afrique de l’Ouest: « Eco, les ambiguïtés des pays utilisant le franc cfa »

Nous vous proposons de larges extraits d’un article de Fanny Pigeaud publié dans Médiapart du 28 juillet 2019 sous le titre:

« Monnaie unique en Afrique de l’Ouest: un projet mal engagé »

(…)

Pourtant, le Nigeria réclame depuis 2017 un plan de divorce, indispensable avant la création d’une monnaie unique. Le président ghanéen, Nana AkufoAddo, a lui aussi souligné à plusieurs reprises que les membres de l’UEMOA devaient revoir leurs relations avec le Trésor français. Il l’a redit devant son homologue français, Emmanuel Macron, le 11 juillet : « Clairement, il faudra qu’il y ait quelques transformations dans l’arrangement monétaire de ces pays. »

Les ambiguïtés d’Alassane Ouattara

Le discours d’Alassane Ouattara, le président de la Côte d’Ivoire, pays pilier de l’UEMOA, est le plus ambivalent de tous. Après avoir répété de multiple fois qu’il était favorable au maintien du franc CFA (« Nous sommes très, très heureux d’avoir cette monnaie qui est stabilisante », a-til assuré en février dernier), il a fait ce mois-ci de nouvelles déclarations pour le moins troublantes. À l’issue d’une visite à l’Élysée, le 9 juillet, et d’une réunion des dirigeants de l’UEMOA, le 12 juillet, il a laissé entendre que les États de l’UEMOA seraient les premiers à adopter la monnaie unique, arguant qu’ils se rapprochent le plus des critères de convergence – ce qui est exact et s’explique par le fait qu’ils sont déjà soumis à des règles strictes imposées par le système CFA. Le franc CFA serait alors simplement rebaptisé eco et garderait sa parité fixe avec l’euro « dans l’immédiat », c’està-dire au moins tant que les pays de l’UEMOA seront les seuls à utiliser cette monnaie unique, a expliqué Alassane Ouattara, faisant ainsi fi de la décision de la Cédéao d’opter pour un régime de change flexible et de l’avis de nombreux économistes affirmant que la parité fixe avec l’euro est désastreuse pour les pays CFA.

En somme, la situation monétaire de l’UEMOA ne changerait pas, excepté le nom de sa monnaie. Ce scénario aurait le mérite de répondre aux vœux des autorités françaises, dont Alassane Ouattara est proche : si Emmanuel Macron, pressé par la fronde anti-CFA qui ne cesse d’enfler, s’est dit « ouvert »à des changements concernant la zone franc, il a suggéré qu’ils se limitent à un élargissement de son périmètre et à une modification du nom franc CFA… Mais un tel tour de passe-passe ne permettra pas d’affaiblir la contestation, qui semble être devenue la préoccupation principale des défenseurs du franc CFA. Déjà circule l’idée que la France et ses alliés africains cherchent à berner les citoyens de la zone franc, en essayant de leur faisant croire qu’ils vont retrouver le contrôle de leur monnaie grâce à l’eco. Cela étant, même en s’en tenant à l’argumentaire d’Alassane Ouattara, il faudrait encore du temps avant de voir naître l’eco : contrairement à ce qu’il a affirmé, les pays de l’UEMOA ne sont pas tous prêts. Et il est difficilement imaginable que cette monnaie soit lancée pour quelques-uns d’entre eux seulement. On peut par ailleurs s’interroger sur le degré d’attractivité d’une « zone eco » qui serait lancée sans le Nigeria et le Ghana, poids lourds de la Cédéao. Pour Mamadou Koulibaly, il n’y a pas de doute : aucune monnaie unique régionale ne verra le jour en 2020.

Par conséquent, il « faut continuer à se battre contre le franc CFA », lequel « n’est pas là pour assurer » le « développement » des pays qui l’utilisent. Il va falloir aussi que les dirigeants de la Cédéao, qui n’ont jamais jugé utile de soumettre la question monétaire à un vote démocratique, revoient leur copie. L’eco, « conçu dans une optique d’orthodoxie budgétaire » et calqué sur l’euro, comporte des risques importants, notamment parce que les États concernés ont des profils économiques différents et des « cycles économiques rarement synchrones », ainsi que l’a expliqué l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla dans une tribune publiée par le Monde Afrique. À eux seuls, les actuels critères de convergence témoignent de l’irréalisme du projet : pour les respecter tous, beaucoup de pays de la Cédéao devraient mener des politiques d’austérité très coûteuses socialement, ce qui n’est évidemment pas dans leur intérêt. D’ailleurs, si le Nigeria soutient officiellement l’eco, il n’y est en réalité pas favorable : il sait qu’il perdrait beaucoup s’il devait renoncer à sa monnaie nationale.

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