La nouvelle Traite des Noirs : un dévoilement cinglant des Etats faillis d’Afrique noire

Une Tribune Internationale de Franklin Nyamsi
Professeur agrégé de philosophie, Paris-France

L’émotion est à son comble. Pourtant la tragédie a commencé depuis des décennies. Tout d’un coup, la médiasphère panafricaine s’ébranle. Comme dans un signe désespéré de santé morale, pour une époque anesthésiée de douleurs. Par dizaines, voire centaines de milliers, des ressortissants proches ou lointains, mais aussi des amis du continent négro-africain viennent de battre le pavé devant les ambassades libyennes à travers le monde. Les images révélées par les grands reportages de CNN sur la nouvelle Traite des Noirs en Libye auront donc eu l’effet d’un choc traumatique aux répercussions traumatiques : derrière des cages de fer, le corps lacéré de fouets et de traces de chaînes serrées, des hommes et des femmes venus d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale et d’Afrique du nord-est ont été vus sur tous les écrans du monde entier, réduits au statut de marchandises d’un commerce qui fit l’accumulation primordiale de l’Occident entre les 15ème et 19ème siècle, avant de céder le pas à la non moins sanglante colonisation des 19ème-20ème siècles. Le tollé des politiques, tel ce ministre des affaires étrangères du Mali rappelant son ambassadeur, des stars de la musique comme Alpha Blondy, ou des stars du sport comme Lilian Thuram, doit-il pour autant suffire à résoudre la terrible tragédie en cours ? Il nous semble précisément qu’on doit raisonnablement, par-delà les effets de manche et la course à l’agitation victimaire, dépasser une politique de l’émotion par la mise en œuvre résolue d’une politique de la raison. Alors les questions fondamentales seraient : 1) D’où viennent les nouveaux esclaves pris au piège de l’enfer libyen ? 2) Pourquoi ces hommes et ces femmes d’Afrique en si jeune âge se jettent-ils sur la route du désert, au risque de perdre vie et dignité, irréversiblement ? 3) Comment mettre fin à la nouvelle Traite des Noirs, en ce 21ème siècle amorcé ?

Le constat est massif. Les personnes aujourd’hui réduites en esclavage par les passeurs sahariens et les factions criminelles du territoire libyen viennent de tous les pays d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale et de d’Afrique du nord-est. [1]
Mais pourquoi la jeunesse africaine issue de ces régions s’ébranle-t-elle vers l’Europe ? Nullement pour des raisons purement touristiques ou esthétiques. Dans tous ces pays, règnent à un degré plus ou moins élevé, la sous-éducation populaire, le chômage des jeunes, la pauvreté de masse, la violence politique ouverte ou larvée, l’intolérance religieuse, ethnique et idéologique et des pratiques ostentatoires de mal gouvernance.

Lorsque des hommes et des femmes, dans la fleur de l’âge, grandissent sans avoir reçu une instruction et une éducation suffisantes pour aboutir à un métier opérationnel ; vivent dans des sociétés où l’ascension sociale est déterminée par les seules voies de la cooptation, de la corruption et de la nomination des élites ou des discriminations culturelles ; survivent dans des Etats où l’arbitraire est tel que les tribunaux sont d’emblée ténus par les pourboires, les établissements publics envahis par des clans ethniques qui servent et desservent au faciès, au mépris des droits citoyens ; les hôpitaux et les prisons en état de délabrement continu ; les écoles et universités à l’abandon derrière les proclamations vertueuses qui en masquent la triste réalité ; les forces contestataires de la société civile, régulièrement violentées, saucissonnées et ignorées par des médias publics et privés bien souvent à la solde des seuls puissants du jour; lorsque toutes ces conditions de l’enfer sur terre sont réunies, la jeunesse contemple les frontières et préfère mourir plutôt de ne pas essayer d’aller voir si l’humanité n’est pas meilleure ailleurs.
Ce sont donc les Etats faillis au sud du Sahara qui sont les pourvoyeurs de nouveaux esclaves aux passeurs criminels du désert et à leurs complices des factions libyennes. Déjà en janvier 2017, voici ce que notaient à cet effet dans une enquête du journal Le Monde, Arnaud Leparmentier et Maryline Baumard :
« A trop se focaliser sur le Moyen-Orient, on n’a pas vraiment vu venir l’Afrique… En 2016 pourtant, à bas bruit, l’immigration de ce continent de 1,2 milliard d’habitants a détrôné les arrivées syriennes, afghanes et irakiennes en Europe. Selon une communication de Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes, du 6 janvier, 93 % de ceux qui ont débarqué en Italie l’an dernier, venaient de ce continent […] C’est donc en Italie que s’observe la pression migratoire africaine. Celle-ci transite via la Libye, pays anarchique où les migrants sont victimes des trafics et des pires exactions. « La Libye est un enfer absolu pour les migrants. Ils en parlent avec effroi, plus que de la traversée de la Méditerranée », commente Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Sur les dix premières nationalités des migrants arrivés en Italie entre janvier et novembre, neuf sont du continent africain, comme l’a comptabilisé l’Organisation internationale des migrations (OIM). Seuls les Bangladais, en 9e position avec 4,4 % des arrivées, viennent rompre cette unité. Principale communauté, les Nigérians ont constitué 21 % des entrants, suivis par les Erythréens (11,7 %), les Guinéens (7,2 %) et les Ivoiriens (6,7 %). Selon Frontex, les ressortissants de ces pays sont dix fois plus nombreux à avoir fait le voyage en 2016 qu’en 2010. L’agence chargée des frontières extérieures de l’Europe estime même que « cette évolution reflète la pression migratoire croissante du continent africain, et plus particulièrement de l’Afrique occidentale, responsable de la majeure partie de la croissance des arrivées par cette route en 2016 ».[2]

Il est donc clair que l’action, loin de s’emprisonner dans le concert des émotions et des réactions médiatiques, doit résolument porter sur les causes profondes de la déréliction des jeunes Africains, tout en affrontant dans l’urgence, la situation humanitaire qui prévaut en Libye.
Voilà pourquoi, l’Afrique subsaharienne doit de toute urgence :

1) Renforcer les politiques d’éducation et d’emploi des jeunes dans les pays d’origine des migrants (Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et du Nord-Est) ,en baissant le train de vie des Grandes Institutions, s’il le faut. Notamment, en redistribuant les budgets de souveraineté pour la cause de la jeunesse en désespoir. On doit restituer aux jeunes d’Afrique noire leur dignité, par l’enseignement des sciences historiques et naturelles, et l’amélioration de leurs conditions de vie.

2) Créer des unités militaires d’élite (espionnage et combat d’annihilation) consacrées à la lutte contre les réseaux d’immigration clandestine sur toutes les routes scabreuses du Sud du Sahara au Nord du Sahara. Arrêter tous les passeurs et tous les migrants et les contraindre à subir des formations ou des purges de peines en Afrique

3) Mobiliser dans le cadre des organisations africaines régionales et continentales, des « délégations d’ ambassadeurs Africains pour migrants » en tous pays pour défendre la dignité des Africains dans tous les pays où elle est menacée, et leur donner des moyens conséquents à cet effet. (Avocats, ONG, Soupes populaires, Foyers subventionnés, aides au retour avec insertion professionnelle.)

Bref, il faut un Plan Africain pour tous les migrants africains en détresse dans le monde. On peut commencer. C’est maintenant. Il faut sortir de la sorcellerie des émotions pour entrer dans l’action organisée et décidée pour une Civilisation Africaine de la Dignité Anthropologique. Sans le redressement des Etats faillis d’Afrique subsaharienne, il est à prévoir que visiblement ou invisiblement, la tragédie se poursuivra. L’urgence d’enraciner l’Etat de droit démocratique en Afrique noire devient dès lors vitale.

[1] http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/04/16/la-libye-plaque-tournante-de-l-immigration-africaine_4617559_3214.html

[2] http://www.lemonde.fr/international/article/2017/01/16/migrations-africaines-le-defi-de-demain_5063273_3210.html

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9 réflexions au sujet de “La nouvelle Traite des Noirs : un dévoilement cinglant des Etats faillis d’Afrique noire”

  1. Enfin une contribution de Nyamsi qui n’est pas un concert aux éloges de son maitre Soro. A l’évidence, l’actualité sur Soro s’est amincie ces derniers temps depuis sa rencontre avec le PR et les sages conseils de Nzuéba. Par ailleurs, Soro lui-même semble avoir mis bien d’eau dans son vin au grand désarroi des charognards et autres vieux diablotins de l’apocalypse de la bhétépack.

    Ceci dit, votre analyse m’intéresse surtout quand vous fustigez le caractère émotionnel de l’Africain dans l’approche et conception des choses aussi bien économiquement, diplomatiquement et politiquement. Toute chose qui sans surprise font de nous les derniers de la classe dans quasiment tout malgré nos richesses inouïes et inégalables.

    J’adore le pragmatisme, et je ne m’en cache pas du tout. C’est lui qui fait avancer et règle véritablement les problèmes, pas les théories de bavards et gueulards comme on en trouve bien en Afrique. Ma question est toute simple, cette Afrique Sub-saharienne dont vous parlez compte une quarantaine de pays (environ 45-47), comment donc mettre en pratique vos 3 recommandations ? Vous n’en parlez pas ? Il faut de la RealGovernance derrière elles, sinon à quoi serviraient-elles ? Rien.

    Voici mon grain de sable. POUR COMMENCER, focalisons toutes nos énergies ici et maintenant sur deux cas je dirai de flagrant délit : Mauritanie et Libye. Pour le premier cela existe depuis bien des années. C’est seulement maintenant que notre Afrique en parle. Notre passivité n’a-t-elle pas été un facteur dans notre constat aujourd’hui ? Il faut régler ces deux cas avec détermination et célérité pour que les autorités de ces pays soient fustigées/sanctionnées/mises en demeure pour ces actes inacceptables ce jour. Que cela serve d’exemples pour tout autre gouvernement laxiste.
    ———————————-
    Pour le reste je constate aussi que la mention de votre professorat aux USA a disparu depuis que nous avons émis de sérieuses réserves sur les affiliations aussi vagues qu’imprécises. On avance.

  2. On aura passé tellement de temps à agir dans le sens de son protecteur SORO, sur une base politique, que l’on aura oublié la valeur intellectuelle du personnage.

    La nouvelle stratégie de prise du pouvoir de SORO passe forcément par cette nouvelle débauche d’énergie, car il s’agira de passer pour une alternative réelle, à tous les pontes du RDR que OUATTARA aura engraissé pendant toutes ces années et qui n’ont jamais produit de substance intellectuelle d’envergure (Et ici, pas une seule proposition de solutions sur la situation libyenne dans le camp pro OUATTARA, qui tarde a condamner ce qui se passe, au contraire de la situation au ZIMBABWE pour laquelle OUATTARA fut prolixe).

    SORO se fera donc « nommer » vice président, dans un parti politique appelé à s’unir avec le PDCI, ou mourir.

    A terme, SORO deviendra la personne de référence entre le RDR et le PDCI, vu qu’aucun cadre RDR n’est pressenti pour agir au nom de ce parti dans la discussion à mener avec le PDCI pour constituer une entité nouvelle qui présenterait un ticket « gagnant » président, vice président.

    De toute évidence, SORO a finalement pu s’imposer à OUATTARA qui avait fait une fuite en avant en l’éjectant du parti RDR et en essayant de positionner ses hommes (ou femmes). Mais SORO a su garder son calme, tout en faisant bouger un peu la vase dans le marigot, abritant tous ces crocodiles qui font si peur à OUATTARA et son régime.

    De quels arguments SORO a t-il fait usage pour s’imposer ?

    Personne ne le saura précisément, mais le chantage fait toujours de l’effet.

    Alors oui NYAMSI passera donc à la phase deux, qui est ici une sorte de campagne avant la campagne, car il s’agira de produire de la valeur, après avoir produit de la terreur. De se positionner et se donner de la valeur au cas plus que probable (ou improbable, c’est selon) où SORO prendrait la tête du pays sans claquer une seule cartouche !!

    Mais nous sommes bien loin de 2020 et tout peut encore arriver. Le camp OUATTARA ne se laissera pas imposer son avenir. Le PDCI subira ses troubles internes. Le plébiscite pro GBAGBO est toujours aussi solide et présent.

    Ca devient de plus en plus intéressant tout ça !!

    Popcornnn pour tout le monde donc !!

    Pop !!

  3. Riressss… Qui de plus sur ce site pour poop d’autres bhéthéories…Rien de nouveau sous les tropiques…

    Au lieu de s’égosiller sur la « phase deux » des autres, quelle est la phase une du front des microbes ? Voici ce qui devrait mériter les aboiements si l’on était suffisamment outillé pour le comprendre.

    Oui, le FPI des crabes en déliquescence, où est ta phase une qu’elle soit définie par Affi ou le pédophile ? Car apparemment, on en est toujours à la phase zéro dans cette caste sous le couvert du mot noble de parti.

    Ta daaaaahhhh…

    Allez…

  4. Entre des condamnations phraséologiques et sortir ses ressortissants dans ce guêpier lybien (un pays gouverné par des milices de toute part Et de toute sorte)on devrait très facilement faire la différence.
    Sinon plus de 1500 compatriotes en détresse ont été sortis de ce pays en lambeau en moins de deux et le ballet des avions affrétés n’est pas prêt à s’effriter pour les sauver.
    De toutes les façons rien et de rien ne saura beau en fonction de sa lorgnette.
    Et Donc une petite lorgnette de bonne foi aussi sucrée quelle soit ne pourrait changer la saveur salée d’une mer de haine.

    À chacun sa lorgnette !!!

  5. Chacun fera ici cons analyse politique de la situation !!

    On n’est pas obligés de se cracher à la figure systématiquement des gros mots !!

    Je ne vois pas ce qui aurait pu susciter pareille réaction !!

    Pop !!

  6. Mon cher @quoi

    Je me demande si l’ex régime des mi-cancres refondus aurait eu cette même énergie d’affréter des avions pour faire revenir nos frères Ivoiriens de la Libye comme ils l’ont fait dans le temps pour faire revenir des journalistes français pris en otage?

    On pourrait dire que c’est un projet humanitaire de Gbagbo que le Bravetchè est entrain de réaliser aujourd’hui… krrrr krrrr

    té ande

  7. Comparaison inutile !!

    Les actions gouvernementales sont à apprécier pour ce qu’elles valent !!

    Le cadre étant différent, la comparaison est stupide !!

    Mais rire de la condition des ivoiriens en difficulté n’est pas forcément ce qui est de mise en ce moment !!

    A chacun donc son humour … et son imbécilité, forcément !!

    Pop !!

  8. Il y a 2 choses qui me gênent.

    D’abord se défausser en n’accusant que les Etats faillis pour expliquer la situation. Quelle est la responsabilité de la diaspora noire en Europe sur l’attrait pour l’immigration de nos jeunes d’aujourd’hui ? Voilà une piste qu’il faudrait creuser.

    Ensuite, si nos pays sont des Etats faillis qui incitent à l’immigration, que dire des pays de transit au sud de la méditerranée qui ont leurs problèmes ? Ce sont 423.000 migrants en attente de traverser pour l’Europe en Libye. Combien au Maroc, en Algérie, en Tunisie ? Certainement, plus d’un million qui sont au bord de la méditerranée dans l’attente d’une occasion pour traverser. L’Europe n’en veut pas et les pays de transit n’ont rien demandé non plus. Doit-on les laisser dans leur détresse dans des pays qui sont sensiblement dans le même état que nos Etats faillis ? Ils sont coincés et sans moyens pour continuer leur voyage ou pour un retour dans les pays de départ. Ils sont abusés, exploités, torturés, volés, kidnappés, rançonnés, vendus, tués et sans aucune protection des pays de transit malgré toutes les conventions existantes. Ces pays ne peuvent même pas les identifier ou les prendre en charge au nom de la solidarité Africaine. Ne faudrait-il pas peut-être instaurer un visa pour ces pays de transit afin de freiner cette migration de passage ?

    Dans l’immédiat, en attendant les donneurs de leçons politiques, l’UA et l’OIM doivent installer un pont aérien sur ces pays de transit pour organiser le retour de ces migrants dans les pays de départ qui sont connus, quitte à utiliser les moyens mis en œuvre pour les empêcher de traverser. Il faut donc choisir entre la libre circulation des personnes en Afrique et l’incapacité des Etats de transit à se substituer aux pays de destination ou de départ.

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