L’acquittement de la Première dame met en évidence le rôle crucial de la CPI en tant que voie de recours pour les victimes
(Nairobi, le 29 mars 2017) – L’acquittement en Côte d’Ivoire de l’ex-Première dame Simone Gbagbo pour crimes contre l’humanité à l’issue d’un procès ayant suscité des inquiétudes en matière d’équité, et entaché par l’absence de preuves essentielles, met en évidence l’importance de l’affaire à son encontre devant la Cour pénale internationale a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Simone Gbagbo était jugée pour de graves violations des droits humains commises durant la crise postélectorale, un épisode sanglant déclenché par le refus de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir à Alassane Ouattara suite à l’élection présidentielle de novembre 2010. Cette crise a conduit à des violences politiques et finalement à une reprise du conflit armé. Entre décembre 2010 et mai 2011, au moins 3 000 civils ont été tués et plus de 150 femmes ont été violées, avec de graves atteintes aux droits humains commises par les deux camps.
« L’acquittement de Simone Gbagbo par la haute cour de Côte d’Ivoire pour crimes contre l’humanité dément les nombreuses irrégularités qui ont entaché le procès et laisse de graves questions sans réponse concernant son rôle présumé dans les crimes brutaux perpétrés pendant la crise postélectorale de 2010-2011 », a expliqué Param-Preet Singh, directrice adjointe du Programme Justice internationale chez Human Rights Watch. « L’enquête peu approfondie et les preuves ténues présentées lors de son procès soulignent l’importance de l’affaire en cours contre Simone Gbagbo à la CPI pour des crimes similaires. »
En novembre 2016, les avocats privilégiés de Simone Gbagbo ont suspendu leur participation au procès, manifestement pour protester contre le refus de la Cour de faire comparaître des témoins bien connus qu’ils estimaient déterminants pour la défense de Simone Gbagbo. Ils avaient précédemment dénoncé à plusieurs reprises un procès basé selon eux sur des motifs politiques. Le tribunal a désigné de nouveaux avocats pour Simone Gbagbo, mais ceux-ci se sont aussi retirés de l’affaire le 15 mars, signalant une irrégularité dans la composition de la Cour qui incluait un juge nommé après le début du procès.
En mai 2016, à la veille du procès, les groupes de défense des droits humains agissant pour le compte des victimes ont refusé de participer, déclarant que la cour, en jugeant Simone Gbagbo séparément des autres anciens dirigeants, ne serait pas en mesure de démontrer l’ampleur de son rôle dans l’administration de son mari Laurent Gbagbo. Ces organisations ont aussi déclaré qu’en vertu de la loi ivoirienne, les victimes avaient le droit légal d’être présentes à l’audience confirmant les chefs d’inculpation à l’encontre de Simone Gbagbo, mais qu’on leur avait refusé la possibilité d’y prendre part. Cela les a privés de l’opportunité d’exprimer leurs inquiétudes concernant la préparation de l’affaire Simone Gbagbo avant le début du procès.
Les organisations de défense des droits humains observant le procès ont également dénoncé le manque de preuves présentées par le procureur pour justifier la culpabilité de Simone Gbagbo. Ces critiques font écho à celles qui ont suivi la condamnation de Simone Gbagbo en mars 2015 à une peine de 20 ans de prison en Côte d’Ivoire pour des crimes contre l’État commis pendant la crise postélectorale. À l’époque, le procès avait soulevé des inquiétudes similaires quant au manque de preuves apportées pour les relier, elle et d’autres dirigeants politiques, aux violences commises par leurs partisans.
Simone Gbagbo, détenue en Côte d’Ivoire depuis avril 2011, a aussi été inculpée par la CPI pour crimes contre l’humanité. La Côte d’Ivoire a toutefois refusé de la transférer à la CPI, en violation de son obligation légale prévue par le Statut de Rome, document fondateur de la CPI. Laurent Gbagbo est actuellement jugé par la CPI avec son proche allié, Charles Blé Goudé, pour crimes contre l’humanité.
L’acquittement de Simone Gbagbo, ainsi que le procès de la CPI en cours contre son époux, viennent aussi rappeler l’absence de poursuites judiciaires visant les commandants pro-Ouattara.
Bien que la Cellule spéciale d’enquête et d’instruction de la Côte d’Ivoire ait inculpé plusieurs commandants de haut rang des forces pro-Ouattara, aucune de ces affaires n’est allée jusqu’à un procès. Bon nombre des personnes inculpées occupent toujours des postes haut placés dans les forces armées ivoiriennes. Plusieurs d’entre elles ont même obtenu des promotions considérables le 26 janvier, ce qui suscite des inquiétudes parmi les groupes de victimes ivoiriens de voir leurs dossiers stoppés dans leur progression. La CPI enquête également sur les crimes commis par les commandants pro-Ouattara, mais elle doit encore émettre les mandats d’arrêt.
Le président Alassane Ouattara a promis à plusieurs reprises que tous les responsables de violations des droits humains – quelle que soit leur affiliation politique – seront traduits en justice. Pour ce faire, le gouvernement Ouattara devrait poursuivre son soutien aux enquêtes impartiales et indépendantes sur les crimes commis pendant le conflit de 2010-2011 et s’assurer qu’à l’issue des enquêtes, des procès aient lieu sans interférences politiques.
« L’absence de procès contre les commandants pro-Ouattara pour les abus dévastateurs pendant la crise postélectorale jette un doute sur l’engagement du gouvernement en faveur d’une justice impartiale », a conclu Param-Preet Singh. « L’enquête de la CPI en cours sur les crimes perpétrés par le camp Ouattara reste essentielle afin que les personnes les plus responsables n’échappent pas à la justice. »
Pour consulter d’autres communiqués et rapports de Human Rights Watch sur la Côte d’Ivoire, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/africa/cote-divoire
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