Côte-d’Ivoire Cocody FHB: Histoire d’une université emprisonnée à l’image du pays

FDroit

En Côte d’ivoire est créé, après le centre d’Etudes spécialisées d’Abidjan (1958), le Centre d’Enseignement Supérieur d’Abidjan le 03 Juillet 1959 officialisé par l’arrêté du 11 septembre 1959. Le centre est promu en Université le 1er Octobre 1963 et ce, de façon officielle par le biais du décret n°64-42 du 09 janvier 1964. Quarante huit (48) années plus tard, elle devient Université Félix Houphouët Boigny (UFHB) le 8 Août 2012.

L’Université de Cocody, temple du savoir, participe à la production de l’élite ivoirienne. Ces anciens étudiants ivoiriens les plus célèbres sont l’ex-président Laurent Gbagbo, le président de l’assemblée nationale Soro K. Guillaume, l’ex-ministre de l’emploi Blé G. Charles.

Au lendemain de l’arrestation du Président Laurent Gbagbo le 11 Avril 2011, l’Université de Cocody est fermée précisément le 19 Avril 2011 par les nouvelles autorités. La raison officielle de la fermeture du ‘‘Grand U’’ est « l’urgence de sa réhabilitation. Elle avait été saccagée durant les combats et surtout qu’elle regorgeait en son sein des miliciens pro-Gbagbo. Egalement, l’Université de Cocody présentait un déficit au niveau de ses infrastructures, puis un manque criard de matériels didactiques ». Sa fermeture aiderait à y remédier afin de permettre aux étudiants d’apprendre dans un environnement sain et équipé pour la circonstance. A cet effet, plus de 110 milliards de FCFA furent annoncés pour réhabiliter toutes les universités et URES (Unité Régionale de l’Enseignement Supérieur) de Côte-d’Ivoire.

Le lundi 3 septembre 2012, le ‘‘Grand U’’ rouvre ses portes. La réouverture est marquée par le ‘‘cours magistral’’ du chef de l’Etat ivoirien Mr Alassane Ouattara. Lequel cours avait pour idée maîtresse de marquer la « renaissance » des universités publiques de Côte-d’Ivoire à travers le ‘‘départ nouveau’’ qu’insufflait la réhabilitation. Le chef de l’Etat félicite les hommes, les entreprises et surtout l’ex-ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Mr Cissé Bacongo pour le succès des travaux.

Quant aux étudiants, ils restaient ébahis face à l’environnement beau, sain et agréable à la vue et au toucher. Les bâtiments, les amphithéâtres, les cités de l’UFHB, les pelouses, les espaces de jeu eurent tous un nouveau look. Ce ‘‘new look’’ coûta 100 mille, 200 mille et 300 mille FCFA respectivement aux étudiants des L, M et D. Devant l’impossibilité des étudiants à s’acquitter des frais de scolarité jugés excessifs, ces derniers s’en sont remis à la magnanimité du chef de l’Etat ivoirien. Dans la foulée, est décidée la prise en charge de 70% des frais de scolarisation. Les étudiants des L, M et D doivent désormais payer respectivement 30 mille, 60 mille et 90 mille FCFA. Malgré ces frais imposés, les étudiants admis à s’inscrire sont tout de même heureux de reprendre le chemin de l’école après deux (2) années d’interruption.

Stupéfaction totale encore, et oui, pour reprendre cette onomatopée ivoirienne « djââ » pour dire donc, « rien n’a changé ». En effet, de l’extérieur, voyant les pelouses flamboyantes, les bâtiments rayonnants, ce ne pouvait pas être possible! L’université de Cocody devenue l’UFHB n’avait pas changé dans le fond malgré son allure ‘‘new lookée’’. Pas même un nouvel amphithéâtre construit pour répondre au surpeuplement estudiantin (environ 60 000 étudiants, source : http://univ-fhb.edu.ci/fr/index.php/ufhb/quelques-chiffres-de-l-ufhb). Insuffisance, parfois inexistence de matériels didactiques. Les laboratoires, encore désuets malgré la rénovation, favorisent des travaux pratiques (TP) inefficaces. Ces insuffisances ont entrainé la grève des étudiants des sciences de la santé (médecine, pharmacie, odontostomatologie) le lundi 23 Mars 2015(source : http://news.abidjan.net/h/538443.html). Selon cette source, le SYNESS (Syndicat national des étudiants en sciences de santé) par le biais de son secrétaire général adjoint de la section médecine Tano Stephen déclare : « Trois ans après la réhabilitation des bâtiments, les salles de travaux pratiques ne sont pas équipées ».

Dans ces conditions d’études difficiles, l’étudiant sanctionné par la réussite aux examens, devra payer des « frais additionnels » aux agents de la scolarité centrale pour entrer en possession de ses attestations provisoires ou diplômes cartonnés. Les frais vont de 500 FCFA à 2000FCFA pour les étudiants, jusqu’à 5000FCA pour les étudiants-travailleurs.

Le comble, dans l’histoire de la « renaissance » de l’université de Cocody, est que les enseignants se trouvent dans l’obligation d’appliquer le système LMD. Un système non adapté aux conditions d’études dans les universités publiques ivoiriennes. Comme illustration, « c’est uniquement qu’à la lecture des attestations provisoires de 2015-2016 détenues par les étudiants de criminologie, que ces derniers ont su qu’ils avaient fait deux semestres. Sinon au plan de la structuration des cours et de la programmation, rien n’indiquait auparavant ce découpage semestriel ». Les enseignants et étudiants s’y conforment et font comme…puisque tout se déroule sous les yeux de la police.

Le système de vidéosurveillance installé dans les locaux du CCDO (Centre de Coordination des Décisions Opérationnelles) au sein de l’école de police présente, plus qu’une vue panoramique, les coins et recoins de l’UFHB. Les moindres gestes sont épiés. Cet arsenal technologique ne suffisant pas, l’UFHB est constamment visitée par les agents du CRS (Compagnie Républicaine de Sécurité). Cette police spéciale est aidée dans sa tâche par la police de proximité qu’est la police universitaire. Elle est aujourd’hui le véritable compagnon de l’étudiant sur le campus. Parfois, les agents de cette police participent aux cours magistraux. Rien ne doit échapper au contrôle de l’Etat.

La politique criminelle de l’Etat ivoirien a-t-elle pour but la sécurisation de l’étudiant ? Ou a-t-elle pour but de dissuader, d’intimider toute manifestation d’étudiants lésés par ce système universitaire non productif ?

Le constat est que ces actions policières ont pour but l’intimidation des étudiants et très souvent leur répression. Par exemple, dans la nuit du mercredi 13 Avril 2016 au jeudi 14 Avril 2016, l’on assiste à une descente musclée de la Brigade Anti-émeute (BAE) sur le campus. Bilan de cette descente, « 4 étudiantes violées dans leur chambre, arrestation d’au moins 30 étudiants, plusieurs blessés graves etc. » (source : http://koaci.com/cote-divoire-descente-police-campus-cocody-revele-viols-detudiantes-97675.html). Les étudiants vont mal et le ‘‘Grand U’’ court à l’implosion.
Tout comme l’UFHB, la Côte-d’Ivoire renaît selon les nouvelles autorités. L’on pourrait dire que la Côte-d’Ivoire ‘‘Is back’’ pour parler comme l’autre. Le pays est devenu un vaste chantier. Des ponts sortent de l’eau (ponts HKB, de Jacqueville), des hôpitaux sont aménagés voire même construits (hôpital général d’Adjamé), des villages sont électrifiés grâce au programme présidentiel. La Côte-d’Ivoire attire et les investisseurs étrangers la courtisent rappellent le gouvernement Duncan.

Le hic, comme à l’UFHB, dans la forme, l’émergence est à la portée de l’ivoirien nouveau à l’horizon 2020 d’après le ministre Mabri Touakeusse. La croissance à deux (2) chiffres permettra au gouvernement de respecter ce délai certainement.

Mais en réalité, « mon pays va mal » pour reprendre les mots du célèbre artiste ivoirien Ticken Jah Fakoly. Le pays va tellement mal que la croissance à 2 chiffres ne se ressent pas encore chez les ivoiriens.

Les enseignants réclament le paiement des primes de recherche au risque de faire grève. Et Docteur Johnson kouassi Zamina secrétaire de la CNEC (Coordination nationale des enseignants du supérieur et des chercheurs) a manifesté son indignation et annoncé une grève générale à compter du 1er Mars 2016. Et depuis, plusieurs manifestations d’enseignants n’ont cessé de perturber le paysage national ivoirien.

Le panier de la ménagère est vide. La Côte-d’Ivoire se présente comme un pays où un habitant n’a pas 2 dollars par jour. Les familles sont déguerpies des lieux jugés dangereux ou public sans accompagnement. Toutes ces familles devant la rudesse des actions et l’indifférence avec laquelle elles sont traitées scandent devant qui veut l’entendre des « Gbagbo Kafissa » c’est-à-dire Gbagbo était mieux (http://www.aregialedis.com/cote-divoire-deguerpissement-en-cascade-a-adjame-on-pleure-gbagbo/).

Toujours au plan social, la population ‘‘non rattrapée’’ ne peut manifester sa frustration, son indignation, sa souffrance. Les autorités disent aux ivoiriens : « souffrez et taisez vous ». Le peuple est même sommé par le chef de l’Etat Mr Alassane Ouattara (le vendredi 1er mai 2015) si l’on en croire ses mots de ne pas faire grève. Or l’article 10 de la constitution ivoirienne stipule que « chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses idées ». En outre, exclue par le rattrapage ethnique, la majorité des ivoiriens (l’article 10 continue pour dire que ‘‘toute propagande ayant pour but ou pour effet de faire prévaloir un groupe social sur un autre…est interdite’’) est tenue de garder le silence. Lequel silence qui est entretenu par le CCDO, la DST (Direction de la Surveillance du Territoire), les CRS et les Forces Républicaines de Côte-d’Ivoire (pas encore totalement encasernés). L’on dénombre à ce niveau l’arrestation de leaders politiques de l’opposition : Koua Justin (JFPI) le vendredi 7 juin 2013 ; Dahi Nestor (JFPI) le mardi 7 juillet 2015 ; Alain Durand Zagol (Ung) le 10 juin 2015. La liste est longue.

Au niveau de la réconciliation, les tentatives infructueuses de la Commission Dialogue vérité et réconciliation (CDVR) et les solutions miracles annoncées par le gouvernement Duncan pour réconcilier les ivoiriens ont été rangées aux oubliettes. A tel enseigne que Mr Banny fut banni de la commission. Ce dernier a préféré aujourd’hui se ranger du côté du peuple et gagner la paix réelle qui ne pourra être effective qu’après l’arrestation de tous les protagonistes du conflit postélectoral de 2011 ou la libération de tous les prisonniers politiques, des prisonniers d’opinion et des ex-FDS (Force de Défense et de sécurité).

L’Université FHB et les ivoiriens sont emprisonnés, tenus de mourir silencieusement. Ainsi pour faire le parallèle avec la littérature sportive notamment la natation avant la plongée, la Côte-d’Ivoire et son peuple non rattrapés sont présentement en apnée et seule l’émergence pourra les soustraire de la noyade préméditée.

Article écrit par KOCA.

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