Par Christophe Boisbouvier RFI
A la présidentielle du mois d’octobre 2015, avec seulement 9% des voix, il est arrivé très loin derrière Alassane Ouattara. Mais comme il est arrivé deuxième, Pascal Affi N’Guessan est aujourd’hui le chef de file de l’opposition ivoirienne. Et il croit en ses chances à la présidentielle de 2020. Quelle est sa stratégie ? Est-il toujours en froid avec Laurent Gbagbo ? De passage à Paris, le président du Front populaire ivoirien (FPI), répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Dans deux mois, une nouvelle constitution va être proposée aux citoyens ivoiriens, à l’heure actuelle, l’article 35 dit que tout candidat à la présidentielle doit être ivoirien d’origine né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine, est-ce que vous êtes favorable à une modification de cet article ?
Pascal Affi N’Guessan : Nous avons dépassé en Côte d’Ivoire, cette bataille sur l’ivoirité. Le président Alassane Ouattara était candidat en 2015 sans que cela ait suscité quoi que ce soit comme réaction. Donc l’article 35 ne pose aucun problème à l’heure actuelle en Côte d’Ivoire.
Vous êtes d’accord pour le modifier, quoi ?
Bien-sûr, nous l’avons dit depuis 2003 qu’il fallait l’adapter pour fonder la stabilité et la reconsidération. Mais la question fondamentale c’est d’abord d’organiser le débat pour voir ce que les autres Ivoiriens proposent comme enrichissement. Donc, il ne faut pas que la volonté d’un clan s’impose à la majorité. Il faut un vrai débat entre les Ivoiriens, parce que l’enjeu de la nouvelle Constitution, c’est la question de la réconciliation nationale. Il faut les états généraux de la République, un dialogue national. On peut l’appeler comme on le veut mais on ne peut pas faire l’économie d’un grand forum de la République.
Donc pour vous ce référendum vient trop vite, c’est cela ?
Ce référendum est précipité. Le temps de deux mois nous paraît précipité et nous ne comprenons même pas les motivations de cette précipitation dans la mesure où les prochaines élections sont prévues pour 2020.
Et pour vous, si il y a une réforme majeure à introduire dans la nouvelle Constitution, c’est laquelle ?
Il faut que nous sortions de ce régime présidentialiste qui octroie pratiquement tous les pouvoirs au chef de l’Etat. Il faut que le cordon ombilical entre l’exécutif et le judiciaire soit coupé.
Vous souhaitez que le Premier ministre soit responsable devant l’Assemblée ?
Nous pensons que c’est entre le gouvernement et l’Assemblée nationale que des rapports doivent être établis de manière à ce que l’Assemblée nationale puisse exercer un contrôle permanent sur l’activité gouvernementale. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale n’a aucune influence sur la marche du pays. Or il faut que l’Assemblée ait des moyens de sanctionner en permanence cette indécision. Par exemple, les nominations aux hautes fonctions de l’Etat. Il faut que nous puissions rompre avec la logique du rattrapage qui amène l’exécutif à faire n’importe quoi et à choisir uniquement ces partisans pour occuper les hautes fonctions de l’Etat.
Le pouvoir envisage la création d’un poste de vice-président de la République comme aux Etats-Unis mais aussi comme au Ghana et comme au Nigeria ?
Non, parce que au Ghana, au Nigeria ou aux Etats-Unis, il n’y a pas de Premier ministre. Or ici on veut venir superposer une vice-présidence à un exécutif bicéphale donc nous pensons que superposer une troisième tête, nous n’en voyons pas l’intérêt.
Ok pour un poste de vice-président si il n’y a plus de Premier ministre ?
Ou pas d’objection majeure. Quoique, un système président et vice-président n’est pas de la même nature qu’un système avec un président et un Premier ministre. Les responsabilités du Premier ministre sont claires, il conduit l’action gouvernementale, nous pensons que c’est un système qui a fait ces preuves, il suffit de l’améliorer plutôt que de revenir en arrière avec un système de vice-président délégué à quelques fonctions subalternes en attendant une hypothétique vacance qui lui permettrait d’entrer en scène.
Sur le plan économique, on a atteint l’année dernière, un taux de croissance de plus de 8%, il est prévu la même chose cette année. Pourquoi vous ne reconnaissez pas que la Côte d’Ivoire va mieux ?
Va mieux par rapport à quelle date ? Certainement que nous ne sommes plus dans la crise de 2011 mais on ne peut pas dire que la Côte d’Ivoire va mieux parce que la pauvreté est grandissante. Donc la Côte d’Ivoire va mal à l’heure actuelle et au-delà de la cherté de la vie, l’insécurité avec les microbes, les coupeurs de route, les ex-combattants mais au-delà de tout cela, la fracture sociale, l’absence de réconciliation, les procès politiques à longueur de journée qui alourdissent l’environnement socio-politique. La Côte d’Ivoire ne va pas mieux.
Vous parlez des procès politiques, est-ce que vous pensez que Simone Gbagbo qui est actuellement jugée à Abidjan, n’a aucune responsabilité dans la crise post-électorale dans la crise de décembre 2010 – mars 2011 ?
Il faut qu’on crée le cadre pour que les responsabilités des uns et des autres soient situées. Certainement des gens nous reprochent des choses, mais trouvons le cadre pour que ceux qui ont effectivement commis des actes répréhensibles puissent poser des actes de repentances et que nous puissions sortir de cette situation.
Mais en fait, vous êtes pour un acquittement général ?
Nous sommes pour la réconciliation.
Mais ces 3 000 victimes de la crise post-électorale, qu’est-ce que vous dites à leurs familles ? Que tant pis, on passe par pertes et profits les assassins de ses victimes ?
Pas du tout. Pas du tout, elles ont droit, ces victimes-là, qui ne sont pas d’un seul camp, qui sont aussi bien du camp de monsieur Alassane Ouattara comme du camp du président Laurent Gbagbo, il faut que des réparations soient prévues pour toutes les victimes sans distinction. Or, aujourd’hui, on organise un mécanisme de réparation uniquement pour les victimes d’un camp.
Justement quand Guillaume Soro qui a été le chef rebelle du nord du pays et qui est aujourd’hui le président de l’Assemblée, affirme qu’il est prêt à répondre à toute question d’un juge ivoirien ou de la Cour pénale internationale, cela ne vous rassure pas ?
Cela ne nous rassure pas tant qu’il reste à la tête de l’Assemblée nationale de Côte d’ivoire. Nous pensons que s’il est sincère, qu’il commence d’abord par démissionner pour se mettre à la disposition de toutes les justices qui le poursuivent à travers le monde, que ce soit la justice burkinabè ou la justice française. Parce que nous pensons que sa posture actuelle est un obstacle à la manifestation de la vérité et discrédite l’institution parlementaire qu’il dirige et par ricochet, l’image de le Côte d’Ivoire dans le monde.
Pascal Pascal Affi N’Guessan, en décembre 2011, avec le FPI, vous avez boycotté les dernières élections législatives, qu’est-ce que vous ferez pour les prochaines en novembre ou en décembre prochain ?
Nous serons présents aux élections législatives comme nous l’avons été à l’élection présidentielle d’octobre 2015.
Vous visez combien de députés ?
Nous avions 96 députés en 2010, avant donc les présidentielles, premier objectif c’est de récupérer tous ces sièges. Peut-être aller plus loin.
96 sur 255 ?
C’est bien ça.
Alors il y a un souci, c’est qu’il y a, à l’intérieur du FPI, une forte dissidence. Les nostalgiques de Laurent Gbagbo avec Aboudramane Sangaré notamment. Est-ce que vous ne craignez pas qu’ils se portent candidats eux-aussi et qu’ils vous prennent des voix dans de nombreuses circonscriptions ?
Ce serait suicidaire qu’ils décident d’aller à une candidature indépendante, nous leur tendons la main et donc nous avons mis en place, un groupe de contacts pour faire en sorte que l’élection législative à venir, soit le prétexte du rassemblement de toute la grande famille du Front populaire ivoirien. Les messages qui nous parviennent de la Haye, nous réconforte quant à l’issue heureuse de ce processus du rassemblement.
Voulez-vous dire que le célèbre prisonnier de la Haye, Laurent Gbagbo aurait donné des consignes pour l’apaisement entre vos deux courants ?
Oui, le président Laurent Gbagbo considère que cette polémique a assez duré et qu’il faut que les uns et les autres fassent preuve de sens de responsabilités pour que le Front populaire ivoirien puisse reprendre sa place et puisse assurer la prospérité du pays à travers, certainement, la reconquête du pouvoir d’ici 2020.
Depuis qu’il est à la Haye, Laurent Gbagbo n’a jamais reçu votre visite, est-ce que vous pensez aller le voir avant les législatives ?
Je suis toujours prêt, j’ai exprimé le souhait de le rencontrer. Son calendrier n’a pas encore permis cette rencontre jusqu’à ce jour…
… Visiblement, il ne veut pas vous voir ?
Je ne sais pas, c’est vous qui le dites.
Il reçoit beaucoup de gens tout de même, du FPI ?
Oui, bien sûr mais qui n’ont pas les mêmes responsabilités que moi. Donc je pense que, étant donné qu’il n’a pas de grosses critiques à faire par rapport à ma démarche, je pense que le moment venu, il me rencontrera.
Pascal Affi N’Guessan, vous n’avez fait que 9% à la dernière présidentielle, est-ce que vous ne risquez pas d’être écrasé en 2020 par le futur dauphin d’Alassane Ouattara ?
Pour nous, le résultat importe peu. Parce que nous savons que nous pesons plus que les 9% qui ont été enregistrés, parce que nous savons qu’il y a eu beaucoup de fraudes mais ce qui était important pour nous, c’était la dynamique de la restauration de notre parti.
Et en 2020, qui sera l’adversaire du FPI, le plus probable ? Plutôt Guillaume Soro, plutôt Hamed Bakayoko, plutôt Amadou Gon Coulibaly ?
Bon, je pense que le jeu sera plus ouvert, il y aura beaucoup de candidats.
Oui mais qui sera le dauphin officiel d’Alassane Ouattara à votre avis ?
Et bien ça, c’est leur cuisine intérieure. Nous, ce que nous devons faire, c’est que, quel que soit le dauphin, que ce soit monsieur Amadou Gon Coulibaly, monsieur Soro Guillaume ou monsieur Hamed Bakayoko, que ce soit monsieur Mabri Touikeusse ou monsieur Niamien N’Goran ou monsieur Ahoussou Jeannot, en fait, quel que soit celui qui sera en face, que nous soyons en mesure de le battre pour revenir au pouvoir.
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