Côte d’Ivoire – Beaux jours de la démocratie émergente « l’affection d’un peuple ne se quémande pas »

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Par Marc Micael

Ses théoriciens décrivent la démocratie comme: « une forme de gouvernement qui garantit l’égalité et la liberté des citoyens ». Mais le plus important est certainement lorsqu’ils précisent: « Elle est susceptible de fonctionner plus efficacement et de mieux servir les intérêts de ses citoyens si les individus formulent des exigences, exercent des pressions et contrôlent en permanence les actions de leurs gouvernements».

Dans le cas qui nous intéresse, posons franchement la question : y’a-t-il la démocratie en Côte d’Ivoire ? Ou, de quel genre de démocratie peut-il bien s’agir? Telle est la question au vu de nombreux faits qui parlent d’eux mêmes.

Tenez par exemple : trois opposants politiques ont été récemment jetés en prison. Leur crime ? Ils venaient d’organiser une rencontre politique dans un village du pays. Ce dont on est sûr, c’est qu’on n’a pas entendu dire qu’ils préparaient une insurrection contre le pouvoir ou qu’ils nuisaient à l’ordre public. Il s’agissait juste d’une convention avec leurs camarades, au vu et au su de tous, dans un petit village de la Côte d’Ivoire. Un autre exemple est celui des étudiants gazés, pourchassés et emprisonnés. La raison ? Ils manifestaient leur désir de reprendre les cours à l’université. Quoi de plus légitime ?

En voilà encore d’autres : lorsque le chef de l’Etat en personne, le 1er mai, lors de la fête du travail, traduit tout son mécontentement aux travailleurs grévistes, profitant pour fustiger, à mots à peine voilés, leur droit à la grève, on ne peut que s’interroger. Quelle est donc cette démocratie où l’on ne peut pas librement « formuler des exigences » ?

Ce n’est pas tout. Lorsque ce Chef, à quelques mois d’un scrutin présidentiel que tous les observateurs jugent crucial pour le pays, met brusquement un terme à ses voyages intempestifs pour parcourir le pays, battant ouvertement campagne, sous le couvert de visites d’Etat au grand dam de ses adversaires, on s’interroge à nouveau: comment accepter qu’un candidat déclaré à la présidentielle puisse se servir des moyens de l’Etat pour ses intérêts personnels ? Quid pour parler de « contrôler en permanence les actions du gouvernement » ?

Ensuite, lorsque le même chef de l’Etat, déclare publiquement sa flamme à un peuple en particulier, alors qu’il est sensé être le serviteur neutre de tous les peuples vivant en Côte d’Ivoire, on se demande bien ce qui a pu motiver cette sortie malencontreuse. Sans doute est-il dans la posture d’un homme qui tente de séduire un peuple qui ne l’a pas toujours porté en son cœur. Le sage lui conseillera dans ce cas que: l’affection d’un peuple ne se quémande pas, mais elle se mérite. Elle est d’ailleurs le fruit d’un vécu, d’une histoire unique, faite de sacrifice et de loyauté mutuelle.

Mais le chef est en campagne et l’occasion est belle pour – une fois de plus – abattre sa carte de « jongleur de milliards ».

En effet, c’est un secret de polichinelle. Notre Chef a une fâcheuse manie à «jongler » avec des milliards. Pas un endroit où il pose le pied sans faire de promesses de milliards. Aucun projet annoncé qui ne se chiffre en dizaine, voire en centaine de milliards. Notre chef ne cesse d’emprunter ou de se faire financer à crédit, au nom de l’Etat de Côte d’Ivoire. Faut-il craindre – à la longue – une dette colossale à rembourser sur plusieurs générations d’ivoiriens, au point que même le PPTE (pays pauvre très endetté) ne serait plus qu’un terme obsolète ? Cela en dit long sur la manière dont l’argent du contribuable ivoirien est géré dans notre pays. Soit.
Ainsi, la politique du chef voudrait que les quelques travaux de développement annoncés çà et là à coup de milliards et même ceux dont il a hérité, réussissent à eux seuls, à faire oublier au peuple et à l’opinion étrangère, qu’il y a dans ce pays, une justice à sens unique et un processus de réconciliation qui n’a jamais connu, ne serait-ce qu’un commencement. En effet, la vérité du terrain est telle que son accession au pouvoir consacre désormais les beaux jours de ceux qui se disaient victimes du concept supposé de l’ivoirité et de la xénophobie. Cela se traduit dans les faits par le « rattrapage », terme qu’il lui-même a lancé et que certains ont fini par qualifier d’« ethnique ». Même s’il s’échine aujourd’hui à décrier ce concept comme du « n’importe quoi », il n’en demeure pas moins que cela reste une réalité bien triste en Côte d’Ivoire. Vous avez dit : « une forme de gouvernement qui garantit l’égalité et la liberté des citoyens » ?

A toutes ces pratiques scandaleuses aux antipodes de la démocratie, si nous ajoutons le sabotage éhonté des partis politiques d’opposition, le refus de reconnaître les conditions non encore réunies pour une élection libre, apaisée et transparente, la mise en place d’une CEI (conseil électorale indépendante) taillée sur mesure…, force est de reconnaître que la coupe est pleine. La Côte d’ivoire a abandonné le chemin de la démocratie, la vraie, pour emprunter celui d’une démocratie génétiquement modifiée. Pour coller avec le terme en vogue actuellement dans ce pays, j’ai nommé : la démocratie émergente.

A qui la faute ? Certes, d’abord et avant tout, au régime anti-démocratique en place. Mais aussi et surtout au silence et la résignation apparente des ivoiriens. Qui ne devraient pourtant pas perdre de vue – au risque de se perdre eux-mêmes – que la démocratie reste et devra rester : « une forme de gouvernement qui garantit l’égalité et la liberté des citoyens ». Et qu’ils doivent – malgré la dictature en face – s’atteler à formuler des exigences, à exercer des pressions, à contrôler en permanence les actions de leurs gouvernants… En somme, à exercer leur droit. Et cela, personne ne viendra le faire à leur place. Au quel cas, la démocratie émergente aura encore – comme aujourd’hui – de beaux jours devant elle.

Marc Micael
marcmicael@gmail.com

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