En Côte d’Ivoire « Une justice selective qui ne participe pas au processus de réconciliation »

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Photo: Koffi Samuel/IRIN

Craintes d’une justice sélective en Côte d’Ivoire

Abidjan, 13 mars 2015 (IRIN) – L’ancienne première dame de la Côte d’Ivoire, Simone Gbagbo, a été condamnée cette semaine à une peine de 20 ans d’emprisonnement. L’annonce du verdict pourrait raviver les tensions qui règnent depuis longtemps dans ce pays. Celui-ci est en effet marqué, depuis plus d’une décennie, par de profondes divisions sociales, ethniques et religieuses.

Mme Gbagbo a été condamnée pour sa participation à des violations des droits de l’homme. Elle a notamment pris part à l’organisation de groupes armés, porté atteinte à la sécurité de l’État et perturbé l’ordre public à la suite de l’élection contestée de 2010 et de l’éviction du pouvoir de son mari, Laurent Gbagbo.

Plus de 3 000 personnes sont mortes dans les violences qui ont suivi l’élection.

Laurent Gbagbo est actuellement détenu par la Cour pénale internationale (CPI). Il sera jugé pour quatre crimes contre l’humanité : meurtre, viol et autres violences sexuelles, persécutions et autres actes inhumains.

« Cette condamnation ne fera que renforcer la division entre les Ivoiriens », a dit Pierre Adjoumani Kouamé, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO). « Nous sommes surpris qu’au moment où le chef de l’État Alassane Ouattara prône la réconciliation nationale, de telles sanctions soient prises contre un [seul] camp. Nous restons sur notre faim », a-t-il dit à IRIN.

La justice ivoirienne doit selon lui jouer son rôle, mais elle doit le faire dans l’impartialité.

« Il faut à tout le moins que le processus des poursuites contre les pro-Ouattara, pour lequel le président ivoirien s’est engagé, soit aussi accéléré pour éviter le sentiment de justice à deux vitesses dans le pays », a ajouté M. Kouamé.

L’analyste politique local Alain Arsène Touré est du même avis.

« Nous avons eu droit à un procès où les témoins de l’accusation ont été légers », a-t-il dit. « Cela donne un goût d’inachevé et cela sera retenu par une partie de la population comme un procès contre un seul camp. Évidemment que cela ne participera pas au processus de réconciliation […] et pourrait même raviver les tensions. »

Des peines lourdes, un mauvais signe

Alors que les deux camps ont été accusés de violences, les poursuites ont essentiellement ciblé les partisans de M. Gbagbo. Depuis le mois de décembre, 83 d’entre eux ont été poursuivis pour des crimes prétendument commis à la suite de l’élection de 2010.

Deux généraux importants qui faisaient partie du dispositif sécuritaire présidentiel, Bruno Dogbo Blé et Vagba Faussinganux, ont aussi été condamnés à 20 ans de prison.

Michel Gbagbo, le fils de Laurent Gbagbo, a quant à lui été condamné à cinq ans d’emprisonnement, et Aboudrahamane Sangaré, un proche allié de M. Gbagbo, devra purger une peine de 10 ans de prison.

« Les peines sont très lourdes », a dit Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI), le principal parti social-démocrate du pays. « C’est un mauvais signe qui ne participe pas à l’apaisement des cœurs. »

D’autres pro-Gbagbo et anciens ministres, comme Désiré Dallo, Bono Claverie et Alcide Djédjé, ont écopé de deux ans de prison avec sursis.

« Tant que le sentiment de justice unilatérale existe, il y aura toujours un affront vis-à-vis du pouvoir en place », a dit M. Touré.

Une punition méritée pour certains

Tout le monde n’est pas mécontent de l’issue du procès.

Nombreux sont ceux qui ont exprimé leur soulagement en apprenant le verdict de Mme Gbagbo, qui est connue par plusieurs comme la « Dame de fer » en raison de ses discours « enflammés ».

« Je suis soulagé que Simone Gbagbo ait été condamnée », a dit Moussa Camara, un habitant d’Abidjan. « Cette guerre postélectorale, elle en a l’entière responsabilité, tout comme son mari. C’est par leur faute que des Ivoiriens ont perdu des êtres chers. »

M. Camara a dit qu’il avait perdu trois enfants – âgés de 23, 20 et 17 ans – pendant cette vague de violences. Ils auraient été abattus par des milices pro-Gbagbo en février 2011 dans une commune située au nord d’Abidjan.

« Nous sommes prêts maintenant à pardonner à nos bourreaux, mais il faut penser aussi à nous dédommager », a-t-il ajouté.

Fatou Sylla, une veuve de 36 ans de Yopougon, à l’ouest d’Abidjan, a dit que la condamnation de Mme Gbagbo avait contribué à panser certaines blessures affectives causées par la mort de son mari pendant les violences post-électorales.

« Simone mérite cette punition », a-t-elle dit. « Ses propos ont divisé les Ivoiriens pendant longtemps. Aujourd’hui, la justice a rendu public son jugement. J’en suis satisfaite et je suis disposée à faire la paix avec mes ennemis d’hier. »

« Le plus important, c’est que la justice vient de donner raison aux victimes. Allons donc de l’avant en n’oubliant pas ce qui s’est passé. Cette décision apporte du baume aux cœurs des victimes et de leur famille. La décision participe de la lutte contre l’impunité qui est le ciment de tout développement », a dit Joël N’Guessan, porte-parole du Rassemblement des républicains (RDR), le parti au pouvoir.

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