La France livre le patrouilleur “Emergence” à la Marine de Côte d’Ivoire

VINCENT GROIZELEAU
VINCENT GROIZELEAU

L’Emergence, premier des trois patrouilleurs de 33 mètres commandés par la Côte d’Ivoire à Raidco Marine, a quitté le 04 juin la rade de Lorient. Cap sur Abidjan, où il doit arriver le 23 juin après un long transit ponctué de deux escales au Maroc (Agadir) et au Sénégal (Dakar).
Côte d’Ivoire : la France livre le patrouilleur “Emergence” à la Marine ivoirienneCrédit photo: Tous droits réservés Google Image

Avant l’appareillage, une cérémonie a été organisée à bord, où le représentant de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France s’est dit ravi du travail accompli et a souhaité bonne mer à l’équipage, qui réalise là sa première grande navigation sur ce bateau. Mais qu’on ne s’y trompe pas, les 14 marins ivoiriens de L’Emergence ne sont pas des novices. Constitués en grande partie d’officiers mariniers supérieurs, ces hommes ont été choisis parmi les personnels les plus expérimentés de la marine, afin de faciliter la prise en main de ce nouvel outil et préparer les cadres des deux patrouilleurs suivants. Ceux-ci seront livrés en octobre 2014 et mars 2015.

Alors que L’Emergence a été mise à flot début avril à Quimper, les militaires ivoiriens sont arrivés en Bretagne mi-mai. Durant deux semaines, ils ont bénéficié d’une formation dispensée par les équipes de Raidco Marine, dont trois membres accompagnent l’équipage pour le transit vers Abidjan. A l’occasion de divers manœuvres et d’exercices en tout genre (incendie, panne moteur, mise à l’eau de l’embarcation d’interception…) menés au large de Lorient, les marins ont pu se familiariser avec le patrouilleur et apprécier ses qualités. « C’est un superbe navire et nous sommes vraiment satisfaits. C’est un bateau qui présente une excellente manœuvrabilité. Grâce à sa coque en matériaux composites, il est léger et rapide, ce qui est un avantage pour les opérations », explique le capitaine de corvette Dadie Valles, commandant de L’Emergence.

A bord de L’Emergence

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VINCENT GROIZELEAU

L’officier, comme l’ensemble de l’équipage, se montre très fier de son nouveau bateau. Et on le comprend puisque ce patrouilleur est clairement une très belle réalisation. En dehors de ses lignes particulièrement réussies, l’intérieur est impeccable et bien agencé, avec des locaux de travail et des postes confortables. La machine, avec ses deux moteurs diesels MAN et ses deux générateurs CAT, se montre spacieuse et intelligemment organisée, afin de faciliter la maintenance par un accès rapide aux différents équipements. On notera à ce propos que le nouveau patrouilleur ivoirien, comme toutes les unités du type RPB 33, un design développé par Raidco Marine et Ufast, est conçu comme une plateforme simple, robuste et économique. Cela signifie des coûts d’exploitation et un entretien réduits, avec une disponibilité technique de 350 jours par an, pour un taux d’activité annuel de 1800 heures.

Au fond du compartiment machine, on distingue les formes de la rampe de mise à l’eau de l’embarcation rapide. Un semi-rigide de 6 mètres pouvant transporter 5 personnes, qui servira aux contrôles et éventuellement aux missions d’assaut. « Cette embarcation est dotée de deux moteurs de 70 cv et peut dépasser la vitesse de 30 nœuds. Elle sera utilisée par les équipes de visite ou les commandos pour accoster des navires contrevenants », précise le commandant Dadie Valles, qui se montre très enthousiaste vis-à-vis du dispositif de lancement situé à l’arrière. Celui-ci est dit « gravitaire », c’est-à-dire que le bateau glisse sur la rampe sous l’effet de son propre poids : « L’embarcation est mise en œuvre avec un nouveau système de rampe inclinée qui facilite la manœuvre et réduit le temps de déploiement. Ainsi, le personnel est rapidement en action. C’est un moyen plus rapide et plus sûr que le traditionnel système de bossoir ».

Et puis il y a bien entendu la passerelle, centre névralgique du bateau. C’est une belle illustration de ce que sont devenus les patrouilleurs modernes. Surplombant les superstructures, elle offre une vision panoramique, ce qui permet à aux marins d’appréhender rapidement l’environnement : la conduite nautique, le bon déroulement des manœuvres de l’embarcation d’intervention, la tenue de situation et le contrôle des moyens d’action.

La passerelle dispose de différents équipements, dont trois écrans. L’un d’eux est dédié au radar de navigation Furuno, alors que les deux autres, qui disposent d’un système de partage, permettent de superposer différentes informations (logiciels de navigation et de cartographie, AIS, sondeur…) afin par exemple de faciliter l’identification de bateaux. L’architecture, ouverte, permet d’intégrer ultérieurement d’autres équipements, comme des caméras infrarouges. Pour ce qui est de la navigation, L’Emergence ne nécessite que deux hommes en passerelle, et même un seul dans l’absolu. La conduite se fait au moyen d’un joystick mais on conserve également d’une belle roue en bois traditionnelle, comme barre de secours.

Côté armement, le patrouilleur a quitté la France sans affût, en raison d’un embargo sur les armes dont la Côte d’Ivoire fait l’objet depuis la crise postélectorale de 2010/2011. Du fait du retour de la paix civile dans le pays, l’ONU a néanmoins décidé d’alléger fin avril cet embargo, que le gouvernement ivoirien espère bien voir prochainement levé pour les armes lourdes. Le pays a, en effet, besoin de rééquiper son armée afin que celle-ci puisse remplir ses missions. C’est le cas de la marine, dont les nouveaux patrouilleurs de 33 mètres doivent êtres dotés d’un canon de 20mm à l’avant et deux mitrailleuses de 12.7mm à l’arrière dès que les Nations Unies auront donné leur feu vert.

Une marine qui se modernise pour répondre aux défis sécuritaires

Cette levée de l’embargo apparait aujourd’hui d’autant plus nécessaire pour la marine ivoirienne que celle-ci fait face à de nombreux défis dans le golfe de Guinée. Une région très sensible et qui est également devenue dangereuse, du fait de l’essor de la piraterie et des trafics illicites. Ainsi, le commandant Dadie Valles rappelle la nécessité, pour la Côte d’Ivoire, de moderniser sa marine pour répondre au besoin de sécurisation maritime : « Nos trois missions majeures sont la lutte contre la piraterie, la protection de nos ressources énergétiques, puisqu’il y a beaucoup de plateformes offshore, ainsi que la lutte contre le narcotrafic et la pêche illégale. L’Emergence est parfaitement adaptée aux missions de surveillance et d’action de l’Etat en mer, et permettra d’assurer la sécurité transfrontalière dans le golfe de Guinée ».

Il faut dire que les matériels de la marine ivoirienne vieillissaient sérieusement et n’étaient plus adaptés à l’évolution des missions. Forte d’un millier d’hommes, dont une centaine de fusiliers-marins, ses moyens hauturiers se limitaient jusqu’ici à trois vieux patrouilleurs construits en France : Le Valeureux (47.5 mètres) datant de 1976, ainsi que L’Ardent et l’Intrépide, deux unités de 40.7 mètres du type Epée opérationnels depuis 1978.

L’entrée en service de L’Emergence et de ses deux sisterships, qui pourront réaliser des missions de quatre à six jours, va donc changer la vie des marins ivoiriens, qui vont disposer enfin d’outils adéquats et voir se démultiplier leurs capacités d’action. D’autant que les trois RPB 33 ne sont pas les seules acquisitions faites par le pays. En complément du Bian, une vedette de gendarmerie de 14 mètres du type RPB 14 livrée en 2000 par Raidco Marine, la Côte d’Ivoire a passé commande à la société française de trois nouvelles vedettes du type RPB 12. Réalisées par Ufast, ces unités de 12 mètres, chargées sur un cargo à Quimper, vont être livrées fin juin. Le chantier breton, qui a aussi fabriqué 30 bateaux lagunaires de 6 mètres pour la Côte d’Ivoire, va également lui livrer prochainement quatre embarcations commandos du type UFR 9.30

Renouveau et coopération régionale

La marine ivoirienne, à l’image du pays, connait donc un véritable renouveau. C’est d’ailleurs pour cette raison que le premier patrouilleur du type RPB 33 a été baptisé L’Emergence, un nom hautement symbolique. « Cette acquisition marque un nouveau départ, c’est le renouveau de la marine ivoirienne après la crise postélectorale. Elle montre la vision de notre président de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergeant à l’horizon 2020. Pour cela, la marine doit avoir les moyens de mener ses missions régaliennes, mais aussi d’être un acteur de la protection des ressources, au centre de la stratégie maritime de la CEDAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, ndlr), qui prône une approche collective et la mutualisation des moyens dans le golfe de Guinée. Avec ses nouveaux bâtiments, la marine ivoirienne souhaite jouer un rôle majeur dans le dispositif qui se met en place », souligne le capitaine de corvette Dadie Valles.

D’autres patrouilleurs pour le Sénégal et le Togo

Face à la piraterie, qui s’attaque aux navires de commerce et aux installations offshore, ainsi qu’aux trafics et au pillage des ressources halieutiques, les marines d’Afrique de l’ouest ont, ainsi, décidé de renforcer leur coopération. Et de se moderniser, à l’image de la flotte ivoirienne, mais aussi de ses voisines. Le Sénégal s’est, par exemple, déjà doté d’un patrouiller de nouvelle génération du type RPB 33, qui fut d’ailleurs le premier du genre. Livré par Raidco Marine en septembre 2013, le Ferlo s’est déjà illustré au cours de plusieurs interventions. Et la marine sénégalaise fait actuellement construire une grande unité de 45 mètres du type OPV 45. Commandé à Raidco Marine et réalisé par le chantier STX de Lorient, le futur Kédougou doit être mis à l’eau en septembre prochain et livré trois mois plus tard.

Quant à la famille des RPB 33, elle s’est agrandie avec le Togo, qui se dote de deux patrouilleurs de ce type. Le premier, baptisé Agou, a été inauguré à Lomé le 27 avril dernier à l’occasion de la fête nationale togolaise. Quant à son sistership, l’Oti, il a été mis à l’eau le 16 mai et est en achèvement à flot à Lorient. Sa livraison devrait intervenir au cours de la seconde quinzaine de juillet, pour une arrivée à Lomé programmée à la mi-août. On notera que, contrairement aux RPB 33 sénégalais et ivoiriens, les bâtiments togolais n’ont pas été réalisés à Quimper mais chez STX Lorient puisque leur coque n’est pas en composite verre/résine mais en acier. Seules les superstructures, fabriquées en aluminium, sont sorties des ateliers d’Ufast.

Source: Mer et Marine

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