Côte d’Ivoire – La CPI empêche-t-elle la Réconciliation des ivoiriens ?

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Interview de Georges Beyllignont – Écrivain et Chercheur

Le transfert de Charles Blé Goudé à la cour pénale international est un nouveau rebondissement dans la crise qui secoue la Côte d’Ivoire, au moment où la question du foncier rural, du recensement et la mention de « l’ethnie » font jaser l’opinion publique nationale et extra-nationale ivoirienne. La prévention des conflits en Afrique est le souci permanent des organisations africaines et même de l’opinion internationale. Les cas spécifiques du Mali, de la Libye, et de la Côte d’Ivoire interpellent de plus en plus. Un thème dont les africains et plus largement les internautes s’abreuvent sur les réseaux sociaux et qui mérite un décryptage plus approfondi.

Georges B. Beyllignont est titulaire d’un BA (Bachelor of Art) en science de l’investissement et d’un Master en science de la Police. Chercheur et consultant en technique de police appliquée à la prévention des conflits, il vient de sortir un livre intitulé : « Côte d’Ivoire et Afrique francophone, La police face aux défis de prévention des conflits africains. »

Nous sommes allé le rencontrer à Londres pour ouvrir quelques axes de compréhension d’une situation qui n’est pas prête de s’améliorer si les points essentielles de réflexion ne sont pas identifiés.

Comment vivez-vous les derniers évènements en côte D’Ivoire ; notamment le transfert de Charles Blé Goudé, ex-ministre et leader de la jeunesse patriotique proche de l’ancien président Laurent Gbagbo à la CPI ?

Quand on regarde la situation sociopolitique que connait le pays depuis avant et après la crise post-électorale, il faut avouer qu’au fond de moi j’ai toujours espérer qu’il arriverait un jour ou toute décision qui est de nature à élargir le fossé de la division et à amplifier la haine sociale en Côte d’Ivoire, s’éclipseront à l’avantage d’actions et de décisions concrètes pour pacifier la Cote d’Ivoire – converger les énergies vers une réconciliation soutenue. Je m’en tiens sur ce point, à l’assurance qu’a donné le Chef de l’Etat et le Gouvernement de Côte d’Ivoire que les différents systèmes d’administration de l’Etat étaient maintenant réhabilités et qu’on était à nouveau capable d’opérer notre propre juridiction, assumer notre propre souveraineté et mettre à contribution le principe de la complémentarité du statut de Rôme pour planifier l’accalmie sociale dont la Cote d’Ivoire a tant besoin. Donc point besoin de déporter les ivoiriens à la CPI si nous pouvons remplir cette fonction au niveau local. Cette décision de déportation m’a laissé pantois et à surpris plus d’un. C’est donc un sentiment de regret qui m’étreint vu que Charles Blé Goudé est un caractère extrêmement talentueux qui compte beaucoup d’amis et de sympathisants en Côte d’Ivoire, en Afrique et dans la Diaspora africaine en Occident. Il est imprégné d’une conviction politique qui s’aligne sur celle de notre génération qui lutte pour une plus grande marge de responsabilisation des Etats africains. Et cela par rapports aux problèmes fondamentaux qui abreuvent les conflits en Afrique. Le Blé Goudé que je connais compte à son actif des actions déterminantes pour la paix en Côte d’Ivoire. Toujours souriant et rassembleur, il est le concepteur de la “Caravane de la Paix” en Côte d’Ivoire – Il est le premier politicien à avoir tendu la “main d’amitié” aux Forces Nouvelles pour faciliter leur intégration et leur accueil dans le sud loyaliste. Il a réussi à briser le voile de la méfiance en séjournant à Bouaké au cœur de la rébellion, lorsque toute la Cote d’Ivoire était encore enveloppée d’un nuage de suspicion réciproque. Il est le précurseur du slogan la “Résistance Aux Mains Nues” qui avait au moins le mérite d’être un engagement non violent dans la crise ivoirienne. C’est donc un coup dur pour ces amis et pour ses parents. Je réalise donc avec beaucoup de regret que les mentalités demeurent encore confligènes et laissent moins de chance à la réconciliation.

Pensez-vous que la CPI peut dans sa démarche prévenir de nouveaux conflits armés dans la sous-région ?

La CPI comme tout autre instrument de justice international ou local joue un rôle de dissuasion et de recadrage des comportements à travers les lois que nous nous sommes donné ou celles que nous avons ratifié dans le cas échéant. Dans ce système, la prison ou la menace du retrait de la liberté est présentée comme un motif qui contribue à nous préserver contre les conflits ravageurs. Mais en même temps, toute condamnation perçue comme injuste et maladroite peut aussi produire l’effet contraire qui fera le lit d’un autre conflit. Donc il faut convenir que la mission est noble et elle nous emmène à revoir nos méthodes d’approche et requalifier nos ressources d’engagement dans les conflits sociaux. Autant nous devons veiller à ce que le processus soit juste, équitable pour tous et sans favoritisme dans n’importe quelle forme que ce soit.

Au-delà de cette observation générale, les démarches de la CPI, au regard des cas antécédents comme actuels, ont nourri une opinion pessimiste qui accorde aujourd’hui peu de crédibilité à cette institution. Ceux-ci perçoivent la CPI comme un instrument de l’ONU, donc potentiellement ouverte et exposée aux injonctions camouflées de cette dernière dont la CPI elle-même en est une création. Il est donc théoriquement admissible que si l’autorité et la suprématie de la CPI sur les juridictions étatiques respectives sont assurées et garanties par l’ONU, il est possible que tous les désidératas générés à travers les difficultés dans les relations entre les Etats membres de cette dernière, les déséquilibres dans les rapports de pouvoir et l’inclinaison des Etats devant les réalités des enjeux géostratégiques et géopolitiques relatifs aux intérêts parfois théoriquement contradictoires, donnent énormément de crédit à une telle orientation de pensée et à un tel état d’esprit. Le cas de la Syrie et de l’Ukraine sont des exemples émouvants qui exposent parfaitement les jeux des rapports de pouvoir, les ralliements dans un sens ou dans l’autre selon les enjeux qui commandent les prises de position et la double mesure dans les traitements des dossiers qui ont pourtant les mêmes profiles.
On peut donc aisément projeter la probabilité d’une suspicion légitime qui interroge la capacité de la CPI à opérer la justice dans un tel environnement de contraintes et d’influences multiformes sans faire entorse aux principes directeurs de la justice et du droit. Tout processus juridique est un processus délicat qui associe unilatéralement la recherche de la vérité. La CPI au vu des faits cités, intègre-t-elle la balance nécessaire dans sa gouvernance pour briser le voile diplomatique qui cache la réalité matérielle des conflits et les responsables de leur construction? Au-delà de ces interrogations qui décrivent une situation suffisamment insolite à travers lesquels navigue la CPI, la problématique de la lecture du droit absolu dans un contexte de conflit où le coupable et la victime sont des attributs raisonnés selon le bord où l’on se situe. Si un tel climat pousse vers une croisée de perceptions mitigées où une opinion croit que la vérité de la CPI est celle dite par le plus fort, j’ai bien peur que les actions de la CPI participent à la prévention des conflits en Afrique. Car toute perte de crédibilité amplifiera le sentiment d’injustice, et subséquemment la relance du conflit pour le rétablissement des valeurs bafouées dont la CPI se serait faite complice.

Comment imaginez-vous une possible sortie de crise en Côte d’Ivoire ?

Si j’intègre qu’une crise est une situation de blocage, de tension, de refus d’échange et de coopération, subséquente à une situation de conflit dont elle se nourrie. Sortir de cette crise supposera que le conflit lui-même doit d’abord prendre fin. Maintenant la question qui mérite d’être posée est de savoir si le conflit en Côte d’Ivoire a pris fin ?

Ceci dit, Il est évident que toute sortie de crise soit d’abord une question de volonté manifeste de part et d’autre. Cette volonté doit précéder le mode de résolution qu’on doit absolument approprier selon les réalités contextuelles. En Côte d’Ivoire, la division est encore palpable et donne lieu à l’existence de deux camps « ennemis » qui se guettent et se regardent en chien de faïence. Ce n’est pas une situation honorable pour un pays. Donc je souhaite qu’on sorte vite de cette crise le plus rapidement possible. Mais comment sortons-nous de là demeure la question ultime que nous ne cessons de tourner et retourner dans nos têtes ? Devrions-nous aussi constater que la CDVR n’a pas donné des résultats probants donc nous devons envisager renouveler notre volonté de réconcilier les ivoiriens en déterminant un nouveau mode de concertation pour faire bouger les choses. Et si je fais un décryptage honnête de la situation en Côte d’Ivoire, cette volonté doit inclure celle de la France avec qui nous avons une relation multiséculaire et qui est un acteur réel de la crise ivoirienne, mais qui fait comme si elle était neutre dans cette affaire. Pourtant nous savons tous qu’elle continue de tirer les ficelles qui cristallisent les positions et qui empêche la réconciliation en Côte d’Ivoire. Peut-être que la résistance ivoirienne et panafricaine devrait maintenant tourner sa voix vers le Gouvernement français et François Hollande qui a été très habile à utiliser leur support électoral sans contre-parti réel.

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Pour répondre directement à la question, le choix technique d’une commission de réconciliation implique que le conflit a pris fin. Car on ne peut que réconcilier des personnes qui ont arrêté de se battre. Par contre si les gens continuent de soutenir leur engagement dans le conflit avec des moyens sobres et non violents, l’illusion de l’absence de violence peut nous conduire à une conclusion hâtive qui précipite la réconciliation comme une voie opérable de sortie de crise. Alors si nous admettons tous aujourd’hui que la réconciliation a échoué de briser la forteresse de la division, c’est peut-être parce que nous n’avons pas encore passé la phase du conflit.

Mon livre fait une appréciation intellectuelle de la dynamique du conflit et il intègre dans sa compréhension que la présence du conflit peut être aussi justifiée par la manifestation d’une résistance ou d’une guerre psychologique. Il faut absolument que nous prenions en compte dans la définition que les intérêts ou objectifs conflictuels peuvent être poursuivis en l’absence de confrontation directe et violente. Je conclus alors qu’à l’opposé de la réconciliation qui pour moi est prématurément déduite d’une appréciation relativement limitée de la situation de conflit, la médiation ou la concertation (peu importe la dénomination du mode d’opération, ce qui compte ici étant l’approche) aura le mérite d’exposer les peurs réciproques et construire un nouveau consensus.
pensez-vous que vos travaux sur la prévention des conflits peuvent servir aux systèmes occidentaux à faire une autre lecture des crises en Afrique ?
Ils apprécieront la dynamique sociétale africaine exposée à partir d’une perspective interne ou africaine, a l’opposé des résultats de travaux fournis à partir d’une position non seulement extérieure, mais qui choisit parfois de marginaliser, de disqualifier, de décompter ou même d’ignorer des paramètres importants dans l’analyse des sources des conflits africains. Cet ouvrage a placé la colonisation et les effets persistants de cette tragédie au-delà de la période post-indépendance, au centre des sources des conflits africains. L’impact de cette dernière sur la culture locale, sa fonction de catalyseur sur plusieurs aspects des causes structurelles des conflits en Afrique est clairement exposée. L’analyse de l’ethnicité africaine et sa combinaison avec la tribalisations des ethnies dans le processus de colonisation a produit une curieuse lisibilité dans cette étude.

Sur l’opportunité de la démocratie dans le contexte africain et l’adoption du concept comme une valeur culturelle intégrée ou concurrentielle, je me suis interrogé en ces termes à la page 58 du 1er Chapitre sur la démocratie : « La réalité de son application dans divers contextes socioculturels s’est révélée plutôt chaotique. N’aurait-il pas fallu méditer d’abord son opportunité dans certains cas avant de l’accepter comme une valeur socioculturelle transférable ou importable. Dans plusieurs situations, elle s’est plutôt illustrée comme une source de conflits qu’une solution de stabilité. Dans le contexte africain, vue la densité des problèmes de diverses natures, la démocratie peut facilement être considérée comme une condition de justice sociale dans une Afrique caractérisée par une pauvreté rampante. Mais peut-elle émerger selon la lettre littérale de l’idéologie dans une Afrique où la corruption, le détournement des deniers publics, en somme où le sens de la responsabilité est encore englouti dans des considérations mesquines et cela, en toute impunité ? Ne devrions-nous pas méditer d’abord son opportunité dans la gestion des différends, de la construction ou de la recherche du consensus, au lieu de nous en servir comme un paravent qui cache mal des desseins inavoués et désobligeants ?
Donc je réponds par l’affirmative que l’ouvrage peut stimuler une autre lecture des conflits en Afrique, mais surtout, parce qu’il expose aussi plusieurs théories de prévention qui donne un caractère unique et original à mon ouvrage.

Interview réalisé par Marc GBALLOU – Journaliste en France ( N°CCIJP 121137 )
Twitter : @marclenoir – Mail : marclenoir@hotmail.com

Encadré – Georges Beyllignont à propos du livre.

Votre livre a été accueilli par la société civile et des universités en Europe, pensez-vous que les africains comprennent l’opportunité de vos réflexion ?

Mes réflexions ont fait une place de choix à la prévention des conflits et le rôle central de la police dans la réalisation de cette aspiration. On voit ici que je parle alors d’un phénomène récurent qui continu d’éprouver les efforts de stabilisation et de développement de la plupart des pays africains. L’opportunité de mes réflexions s’impose donc d’elle-même selon un nombre de paramètres remarquables qui constituent des références en la matière. La récurrence des conflits en Afrique en est un. Maintenant ce que je tente de faire partager dans ce livre, c’est un certain nombre de réflexion relative par exemple à l’influence de l’ethnisme ou de l’ethnicité dans les dispositions pratiques de développement. Je discute également les questions de la gouvernance et questionne l’opportunité contextuelle de la démocratie. Je décline une étude laborieuse sur les causes et sources des conflits africains, avant d’exposer sur différentes théories de prévention. Je suppose donc qu’il y a une sorte d’harmonie en pensée qui permettra d’apprécier les orientations et la contribution de l’ouvrage.

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