Déclaration des organisations professionnelles du secteur de la presse en Côte d’Ivoire à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, édition 2014.
La Journée mondiale de la liberté de presse a été instaurée par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1993 après la tenue du séminaire pour le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste.
Ce séminaire s’est déroulé à Windhoek en Namibie en 1991, et a conduit à l’adoption de la Déclaration de Windhoek sur la promotion de médias indépendants et pluralistes.
La Déclaration de Windhoek exigeait l’établissement, le maintien et la promotion d’une presse pluraliste, libre et indépendante et mettait l’accent sur l’importance d’une presse libre pour le développement et la préservation de la démocratie au sein d’un État, ainsi que pour le développement économique. La Journée mondiale de la liberté de presse est célébrée le 3 mai de chaque année, date à laquelle la Déclaration de Windhoek a été adoptée. Même si l’on célèbre depuis 1993 la Journée mondiale de la liberté de presse, celle-ci s’enracine encore plus loin dans l’histoire des Nations Unies. En effet, il est stipulé, dans l’Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 que : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Le 3 mai l’occasion d’informer le public à propos des violations du droit à la liberté d’expression et le moment de se rappeler que plusieurs journalistes risquent la mort ou la prison en collectant, produisant et transmettant l’information aux gens
Aujourd’hui, dans le monde entier, le 3 mai est devenu l’occasion d’informer le public à propos des violations du droit à la liberté d’expression et le moment de se rappeler que plusieurs journalistes risquent la mort ou la prison en collectant, produisant et transmettant l’information aux gens.
Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), qui coordonne chaque année les activités du 3 mai, la Journée mondiale de la liberté de presse, c’est :
• une journée d’action, qui favorise et permet de mettre sur pied des initiatives qui visent la défense de la liberté de la presse.
• une journée d’évaluation, afin de dresser le portrait de la liberté de la presse à travers le monde.
• une journée de rappel, qui permet de rappeler aux États le respect des engagements qu’ils ont pris envers la liberté de la presse.
• une journée d’alerte, pour alerter le public et accroître la sensibilisation à la cause de la liberté de la presse.
• une journée de réflexion, pour stimuler le débat parmi les professionnels des médias sur les problèmes qui touchent la liberté de la presse et l’éthique professionnelle.
• une journée commémorative en mémoire des journalistes qui ont perdu la vie pendant qu’ils exerçaient leur profession.
• une journée d’appui envers les médias qui sont victimes de mesures qui entravent la liberté de la presse ou qui visent à l’abolir.
Parce qu’africains, donc fiers d’appartenir à ce continent qui a vu naître la déclaration de Windock, les journalistes et les professionnels des médias de Côte d’Ivoire mettent depuis 1995, un point d’honneur à célébrer cette journée. Cette année encore, ils n’ont pas voulu déroger à la règle. Mieux, ils se sont donné trois jours de célébration. C’est ainsi que mercredi dernier, une conférence débat s’est tenue au centre régional épiscopal de l’Afrique de l’ouest (CERAO) sur le thème : liberté de presse et développement : quels enjeux pour la Côte d’Ivoire en période pré-électorale ?
Hier, vendredi, nous étions ici même à la maison de la presse pour faire le bilan de l’application de la Convention collective et dégager ensemble les perspectives de sa mise en œuvre pleine et entière.
La cérémonie d’aujourd’hui marque le clou de cette célébration intense. Où l’occasion nous est donnée, cette fois, de faire le bilan de la réalité de la presse dans notre pays au cours des douze dernier mois.
Si l’on s’en tient au classement de Reporters Sans Frontières de 2014, en 2013, la liberté de la presse a été plus malmenée en Côte d’Ivoire qu’en 2012. Puisque de la 96e place notre pays pointe à la 101e place sur 180 pays évalués.Nous avons reculé de cinq pas. La faute, pourrions nous dire, à des faits comme l’assassinat crapuleux de notre jeune confrère, Désiré Oué, abattu de plusieurs balles à son domicile, dans la nuit du 14 au 15 novembre 2013, alors qu’il rentrait du travail. Mais un tel raisonnement est-il suffisant ? La réponse est non !
Parce qu’à la vérité, dix ans après l’adoption des lois jumelles qui avaient fait naître beaucoup d’espoir dans le secteur des médias, le sentiment général est à la désillusion. La Côte d’Ivoire a mal à sa presse. Et notre presse est plus que mal en point. Elle a mal partout.
Cette année, la journée mondiale de la liberté de la presse a pour thème : la liberté des médias pour un avenir meilleur : contribuer à l’agenda de développement post-2015. Et, selon l’UNESCO, l’accent doit-être mis sur trois sous-thèmes interdépendants qui sont :
– l’importance des médias dans le développement
– la sécurité des journalistes et la primauté du droit
– et la viabilité et l’intégrité du journalisme.
En Côte d’ivoire, quelle est la réalité ?
La société ivoirienne accorde-t-elle de l’importance aux médias comme acteur et moteur de son développement, démocratique, économique et social ? La sécurité physique, juridique et sociale des journalistes et professionnels des médias est-elle garantie et protégée dans leurs entreprises et dans l’exercice de leur fonction ? Leurs droits sont-ils garantis et protéger par la loi ? Les entreprises de presse de Côte d’Ivoire sont-elles viables pour favoriser l’intégrité et le bien-être des travailleurs ? Voici les questions auxquelles la communauté nationale et internationale nous invite à répondre en ce jour du 3 mai 2014.
Regard sans complaisance, la réalité de la presse en Côte d’Ivoire et la situation générale des professionnels des médias.
Quand nous regardons, sans complaisance, la réalité de la presse dans notre pays et la situation générale des professionnels des médias dans notre pays, la seule réponse sérieuse, c’est non !
Non, l’Etat de Côte d’Ivoire, et de façon générale, la société ivoirienne n’accorde pas aux médias l’importance qu’ils devaient avoir comme acteur et moteur de l’émancipation démocratique, économique et sociale à laquelle aspirent nos populations. Même, si l’on peut reconnaître que depuis 1990, c’est-à-dire l’année du printemps de la presse, des efforts importants ont été réalisés dans l’amélioration du cadre légal institutionnel à travers l’adoption de textes moins liberticides en supprimant notamment la peine privative de liberté pour les délits commis par voie de presse. La création du Fonds de soutien et de développement de la Presse (FSDP) en Décembre 2007, participe elle aussi des efforts de l’Etat en vue de créer un environnement favorable aux médias. Ses concours en direction des entreprises de presse et des organisations professionnelles du secteur ont impacter positivement la structuration du secteur que les professionnels des médias appellent de tous leurs vœux. A ce jour le fonds de garantie du FSDP, doté d’un montant de plus d’un milliard de nos francs demeure une opportunité réelle pour le développement des entreprises qui sont invitées à y recourir. La prise de mesure d’aides aux entreprises de presse qu’elles soient publiques ou privées, comme l’annulation des arriérés d’impôts et l’exonération d’impôts pour les entreprises de presse depuis 2008, sont autant d’action de l’Etat qui auraient pu inciter à plus d’optimisme. Malheureusement, force est de reconnaître que de trop nombreuses entraves continuent de contrarier le plein épanouissement de la presse dans notre pays.
Il en va ainsi, au niveau légal et réglementaire, des nombreuses contradictions, incohérences et autres anachronismes contenus dans les lois jumelles sur la presse écrite et la communication audiovisuelle, dont les états généraux de la presse, tenus à Yamoussokro fin Aout 2012 ont opportunément demandé l’actualisation.
Au niveau du service public de l’information, la main mise de l’Etat sur les médias publics excluent de leur usage une bonne partie de l’opinion nationale. Et, leur modèle de gouvernance semble aujourd’hui dépassé. D’où les nombreuses crises cycliques qui les secouent, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui à Fraternité Matin. Dans ce chapitre comment ne pas se rappeler que plusieurs centaines de travailleurs de la Radio télévision ivoirienne (RTI) licenciés dans des conditions particulièrement dramatiques, restent encore aujourd’hui abandonnés à leur sort. Alors que d’autres agents, pas plus compétents que leurs prédécesseurs, sont recrutés chaque jour à leur place, en violation flagrante du droit du travail. A l’Agence Ivoirienne de Presse (AIP), les travailleurs et leurs dirigeants attendent toujours les décrets d’application du décret 2013-28 du 28 janvier 2013, devant permettre une réforme devenue urgente pour la survie de cet important outil de communication au service des populations. Il s’agit notamment et essentiellement, du décret portant organisation et fonctionnement de son Conseil de gestion.
Dans le secteur privé, la situation est tout aussi alarmante. En effet, dans le sous secteur de la presse écrite, si l’on peut saluer les efforts du Conseil National de la Presse sur la voie de l’assainissement du secteur, à travers la régulation économique devenue incontournable, on ne peut que regretter les suspensions intempestives de journaux devenues aujourd’hui une réelle menace pour la survie même des entreprises de presse.
Pour ce qui concerne l’audiovisuel, la situation dans les radios de proximité est un scandale. La loi N° 2012-228 du 29 février 2012 en son article 13 fixant le cautionnement d’appel à candidature à 3 millions de F CFA et la Loi N° 2012-229 du 29 février 2012 en son article 10 fixant la redevance annuelle à 3 millions ne garantissent pas un lendemain meilleur aux radios si elles sont promulguées. Mais le plus grave c’est que les agents sont sans statuts et travaillent dans des conditions dignes du moyen âge. Là aussi une vraie réforme en profondeur de la gouvernance est devenue plus qu’urgente. Ce qui devrait ouvrir la voie à la régularisation des radios situées dans l’ex-zone CNO, à la possibilité accordée aux radios de proximité de faire de l’information politique, afin d’accroître leur audimat, et leur permettre de capter la publicité autant que leur force peut le permettre. L’intégration de la structure faitière du patronnât de ce secteur dans les instances de décision tels la HACA et le FSDP apparaît comme une exigence éthique. Que dire de la presse en ligne, dont le poids ne cesse de grossir. Mais qui malheureusement continue d’évoluer en dehors de toute règle.
La sécurité physique, juridique et sociale des journalistes et professionnels des médias ivoiriens
La sécurité physique, juridique et sociale des journalistes et professionnels des médias ivoiriens est-elle protégée dans leurs entreprises et dans l’exercice de leur fonction ?
Là aussi, la réponse la plus honnête est non ! En effet, selon un rapport du CNP qui a conduit d’octobre 2013 à Mars 2014, une mission d’évaluation et de contrôle de la gouvernance des entreprises de presse, un nombre considérable des entreprises de presse évolue encore dans l’informel. 25% seulement, des rédactions comptent une équipe rédactionnelle composée en majorité de journalistes professionnels. 40% à peine, des entreprises de presse payent leurs journalistes et professionnels de la communication au niveau minimum des 1400 points, alors que la valeur du point normal est de 1900. Seulement, 34% des entreprises de presse ont déclaré leurs employés à la CNPS, mais cumulent pour la plupart des arriérés. Les licenciements abusifs, comme ceux de vingt sept travailleurs du Groupe la Refondation, sans droit, les actes incroyables d’atteinte à la liberté syndicale et de violation du droit du travail, comme la rétrogradation des travailleurs comme ce fut le cas récemment au Groupe Olympe sont le lot quotidien des journalistes et professionnels de la communication, dans l’indifférence généralisée. Ces derniers, sous-payés ou parfois pas du tout payés, ayant tout le mal du monde à faire valoir leur droit devant les tribunaux.
Quant à la sécurité des journalistes dans l’exercice de leur métier, si l’on peut noter une relative amélioration, force est cependant de relever que plusieurs cas d’agression physique ont été enregistrés au cours de ces douze derniers mois. Nous avons évoqué le meurtre de Désiré Oué, dont les assassins courent toujours.
Mais ils sont légion les cas d’agressions sur des journalistes et autres agents de la presse, victimes du climat d’insécurité générale.
Citons entre autres : l’enlèvement et la séquestration de Dieusmonde Tadé (journaliste au Nouveau Réveil), l’agression aux poignards de Hervé Makré (journaliste à 5minutesinfos.net), l’accident de l’animateur Francis Boli de radio Média+ Bouaké provoqué par un cargo militaire qui n’a pas daigné s’arrêter, l’agression physique du Secrétaire Général du SYNAPP-CI, Guillaume Gbato, au sein de la primature par un militaire des FRCI – Forces Républicaines de Côte d’Ivoire – les braquages dont été victimes Stéphane Beyniouha, Raymond Loukou Alex et Charly Légende travaillant respectivement au Jour Plus, à rezoivoire.net et Top visages. L’interpellation et la détention, plusieurs heures durant, du journaliste indépendant Frédéric Goré Bi Djo, par un détachement du Centre de Coordination des Décisions Opérationnelles (CCDO), la visite des domiciles de plusieurs journalistes, par des bandits armés, l’agression physique au cours d’un reportage de Carlos Alléluia, journaliste stagiaire à Fraternité Matin. Et la liste n’est malheureusement pas exhaustive.
Comme on peut le constater, la liberté de la presse en Côte d’Ivoire reste encore à construire. C’est un travail de tous les jours. En ce jour de célébration, nous professionnels des médias de Côte d’Ivoire, lançons un appel solennel à l’Etat, aux partenaires au développement, à la société civile, aux partis politiques, aux religieux et aux consommateurs d’œuvre de presse de façon générale, pour qu’un large débat s’ouvre sur tous ces chantiers. Il ne s’agit pas d’appeler à des états généraux bis. Mais parce que la situation est critique, chacun doit être mis à contribution pour notre presse. Et notre liberté.
Fait à Abidjan, le 03 mai 2014
Pour les organisations professionnelles du secteur de la presse
Guillaume GBATO
Président de l’intersyndicale du secteur des médias de Côte d’Ivoire
Secrétaire Général du SYNAPP-CI
Porte-parole des organisations professionnelles du secteur de la presse
NB : Les surtitres sont de la rédaction
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