Côte d’Ivoire: Laurent Gbagbo…loin des yeux, loin du coeur

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Par Christophe Boisbouvier Jeune-Afrique

Y a-t-il une vie après Gbagbo ? En public, rares sont ses anciens amis qui osent envisager l’avenir sans lui. Mais dans les coulisses du Front populaire ivoirien, les ambitions s’aiguisent… En jeu : la présidentielle de 2015.

Le Front populaire ivoirien (FPI) ira-t-il à l’élection présidentielle d’octobre 2015 ? À première vue, non. Depuis qu’il a perdu le pouvoir, en avril 2011, le parti de Laurent Gbagbo a boycotté tous les rendez-vous électoraux – les législatives de décembre 2011, les municipales et les régionales d’avril 2013. Tant que l’ancien président ivoirien restera en prison à La Haye, ou du moins tant qu’il ne pourra pas rentrer librement dans son pays, ses partisans semblent décidés à faire la politique de la chaise vide. « Laurent Gbagbo constitue le corps, le coeur et la chair du débat sur l’avenir politique de la Côte d’Ivoire », n’hésite pas à dire Aboudramane Sangaré, le premier vice-président du FPI. « Tout pour Gbagbo, rien sans lui », clament ses supporteurs. « Cela me rappelle l’époque où nous étions nous-mêmes dans l’opposition, s’amuse un ministre du gouvernement actuel. En décembre 2000, notre parti, le RDR [Rassemblement des républicains], avait boycotté les législatives pour protester contre l’inéligibilité de son leader, Alassane Ouattara. Comme le RDR en son temps, le FPI joue la victimisation de son chef. Mais je ne suis pas sûr que le mythe de « Gbagbo le martyr » va prendre, car le Gbagbo d’aujourd’hui a un passif autrement plus lourd que le Ouattara de l’époque ! »

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Un congrès envisagé fin 2014 ou début 2015

Ira, ira pas ? En réalité, rien n’est joué. À quelles conditions le FPI présentera-t-il un candidat en 2015 ? À cette question, les deux principaux animateurs du FPI en Côte d’Ivoire n’apportent pas tout à fait la même réponse. Pascal Affi N’Guessan, le président du parti, affirme : « Nous irons si la sécurité est rétablie et les Dozos désarmés, si la Commission électorale indépendante est réformée, et si un processus de réconciliation nationale est enclenché, d’où notre proposition de réunir des états généraux de la République. » Laurent Akoun, le secrétaire général, insiste plus sur le cas des prisonniers. « Nous irons à l’élection si tous nos camarades détenus, qu’ils soient civils ou militaires, sont libérés, et au premier chef Laurent Gbagbo, qui est notre leader et notre symbole, affirme-t-il. Et si la sécurité et la régularité du vote sont garanties. »

Pascal Affi N’Guessan et Laurent Akoun sont-ils en désaccord ? Pas vraiment. « Si d’aventure Laurent Gbagbo n’est pas libéré, nous aviserons », précise le second. Bref, les deux gardiens de la maison FPI ne posent pas de préalables non négociables et se donnent le temps de tenir, en février 2014, une convention qui pourrait réunir quelque 4 000 à 5 000 membres. Un congrès est même envisagé fin 2014 ou début 2015. « Chez nous, les faucons sont ceux qui veulent sacrifier les autres questions à celle de la libération de Laurent Gbagbo », concède Pascal Affi N’Guessan. Bref, « Affi » le modéré n’est pas loin de penser qu’il y a une vie après Gbagbo…

« Laurent Gbagbo reviendra »

En fait, c’est le 5 août dernier que les lignes ont commencé à bouger. Ce jour-là, la justice ivoirienne a accordé la liberté provisoire à quatorze pro-Gbagbo, et non des moindres. Parmi eux, l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan ; l’ex-ministre de la Défense Moïse Lida Kouassi ; le responsable de la jeunesse du FPI, Justin Koua ; et le fils aîné de l’ex-président, le Franco-Ivoirien Michel Gbagbo. Certes, depuis qu’ils sont libres, ces cadres tiennent un langage de combat. « Depuis deux ans, le pays est méconnaissable. Notre victoire est inévitable. Laurent Gbagbo reviendra », lance un Affi N’Guessan amaigri mais souriant lors de ses meetings dans la capitale et dans l’ouest du pays. Dans le quartier Cocody d’Abidjan, le siège du parti voit revenir de nombreux militants revigorés par ces libérations. Dans cette posture de résistance, les plus anciens croient même revivre les temps héroïques où le FPI combattait le régime de parti unique de Félix Houphouët-Boigny. Et pour l’heure, aucun orateur du parti ne se risque à une autocritique sur les années de gouvernance Gbagbo. Les cadres du FPI continuent de camper sur le dogme de la « victoire » de leur champion à la présidentielle de novembre 2010.

Mais dans le même temps, Pascal Affi N’Guessan prend soin de se démarquer des extrémistes de son camp. « Les sentiments de haine et de vengeance doivent disparaître. Il faut sortir de la logique de match retour », explique-t-il, alors que le responsable des jeunes de son parti, Justin Koua, harangue ses troupes à coups de « Apprêtez-vous pour le match retour ! ». Au détour d’une phrase, Affi N’Guessan se prend même à dire « le président Ouattara », comme s’il était prêt à reconnaître la légitimité de celui-ci. Depuis le 5 août, Affi N’Guessan a sollicité deux fois un rendez-vous avec le chef de l’État ivoirien. Pour l’instant, pas de réponse. Un proche du président glisse qu’il faut que le patron du FPI « donne des gages ». L’expression « le président Ouattara », dans la bouche d’Affi N’Guessan, ce n’est sans doute pas un hasard…

Alassane Ouattara est-il prêt à dialoguer avec ceux qui ont juré sa perte pendant plus de dix ans ? La réponse ne va pas de soi. Le 29 novembre, à Bouaké, lors d’un grand meeting qui ressemblait furieusement au lancement de la campagne du candidat Ouattara pour le premier tour de la présidentielle d’octobre 2015, le chef de l’État a rejeté l’idée d’états généraux de la République que propose le FPI. « Mettons-nous tous au travail, plutôt que d’avoir des partis politiques qui vont se réunir pour bavarder et distraire tout le monde, a-t-il lancé. Les questions du foncier, de la nationalité, de l’éligibilité… Tout cela a été traité par Marcoussis [du nom de la conférence interivoirienne de janvier 2003, près de Paris]. Ces états généraux, je ne sais pas à quoi ça servirait. » Le président ivoirien a même ajouté, avec un brin de perfidie : « Ce n’est pas pour 10 % à 15 % de la population qu’on va se mettre à se réunir tout le temps. » À ces mots, Pascal Affi N’Guessan a aussitôt réagi : « Regardez le premier tour de la présidentielle de 2010. Le candidat Gbagbo a eu 38 % des voix. Le FPI est donc la première formation politique de Côte d’Ivoire. Et regardez les taux de participation : en 2010, ils tournaient autour de 80 %. Mais depuis que nous sommes absents des élections, ils ne dépassent pas les 20 %. »

Beaucoup d’observateurs estiment qu’Alassane Ouattara a intérêt à ce que le FPI aille à la présidentielle de 2015.

Cependant, beaucoup d’observateurs estiment qu’Alassane Ouattara a intérêt à ce que le FPI aille à la présidentielle de 2015. « Ouattara souhaite que le FPI soit présent, confie l’un de ses proches. Dans ce cas, il sera élu dans des conditions irréprochables. Et s’il y a un candidat FPI, on tournera la page Gbagbo. » C’est un secret de polichinelle : dans le camp du chef de l’État, beaucoup espèrent que, malgré les résolutions de son congrès d’octobre, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié renoncera à présenter son propre candidat et se ralliera d’emblée au président sortant. Dans cette hypothèse, Alassane Ouattara aura quand même besoin d’affronter un adversaire de poids pour être « bien élu ». Or un seul parti peut faire l’affaire, c’est le FPI…

Le régime carcéral de Simone Gbagbo « pourrait être amélioré »

À y regarder de près, c’est sans doute la vraie raison pour laquelle, en août, Pascal Affi N’Guessan et ses treize compagnons ont été remis en liberté provisoire. En septembre, le refus de transférer Simone Gbagbo, la deuxième vice-présidente du FPI, à la Cour pénale internationale (CPI) a été un autre signal en direction du parti d’opposition – même si, de bonne source, la libération de l’ex-première dame de Côte d’Ivoire n’est pas à l’ordre du jour. En revanche, « son régime carcéral pourrait être amélioré », glisse un familier du Palais. Bref, il n’y aura peut-être pas d’états généraux de la République, mais le FPI n’a pas tort de parier sur un Alassane Ouattara de plus en plus conciliant à mesure que 2015 approchera.

Mais que va dire le célèbre prisonnier de la CPI ? S’il ne peut pas rentrer librement d’ici à 2015, acceptera-t-il que le FPI présente quelqu’un d’autre que lui et « tourne la page Gbagbo » ? C’est la seconde inconnue de l’équation. Depuis sa cellule de La Haye, Laurent Gbagbo suit tout cela de très près et transmet de nombreux messages à Abidjan par l’intermédiaire de ses visiteurs. En septembre, le retour d’Affi N’Guessan à la tête du FPI n’aurait pas pu se faire sans son feu vert. Son prestige auprès des camarades laisse aussi penser qu’il pourra orienter les décisions de la convention à venir du FPI. « Pour l’instant, Gbagbo reste au centre du jeu », concède un conseiller d’Alassane Ouattara. Et si l’un de ses lieutenants donne le sentiment qu’il veut prendre sa place, celui-ci sera aussitôt accusé de trahison et expulsé du parti. Tout l’art des dirigeants actuels du FPI consiste donc à multiplier les déclarations d’allégeance au « líder máximo »… Mais sans insulter l’avenir.

Affi N’guessan se sent pousser des ailes

Si Laurent Gbagbo est empêché en 2015, Pascal Affi N’Guessan sait bien, sans l’avouer, qu’il a de bonnes chances d’être le champion de son camp. À la question de son éventuelle candidature à la présidentielle, il répond invariablement : « C’est le parti qui décidera. » Mais à l’âge de 60 ans, l’ancien ingénieur en télécommunications, qui a adhéré au Front populaire ivoirien (FPI) dès 1986 et qui a été Premier ministre de 2000 à 2003, n’a pas de vrai challengeur. « C’est un idéologue qui a tout cautionné pendant la crise postélectorale », disent ses détracteurs. Mais son sens de la synthèse lui permet de rassembler faucons et modérés au FPI. Né près de Bongouanou, dans le centre du pays, Affi est un Agni de la grande famille akan. Est-ce un handicap ? Sans doute pour une partie de l’électorat bété de l’Ouest, le fief du FPI. Mais Affi veut en faire une force. « Je ne suis pas de la famille Gbagbo, je ne suis pas de l’Ouest, je n’ai pas de fortune, et pourtant je préside ce parti depuis 2001, aime-t-il à dire. C’est la preuve que la place que j’occupe tient à des critères objectifs, fondés sur ma fidélité aux valeurs du FPI : la liberté et la souveraineté. » Avec son air triste, Affi est longtemps resté dans l’ombre du grand frère Gbagbo. Mais aujourd’hui, il s’essaie à quelques pointes d’humour. « Avez-vous franchi un cap ? – Oui, je crois. Et je suis persuadé que mes adversaires politiques ont aussi ce sentiment »…

Affi semble prêt pour le défi.

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