Le Floch-Prigent le paria contre-attaque (Thomas Hofnung)

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grand angle Devenu consultant en énergie en Afrique et au Moyen-Orient, l’ancien PDG d’Elf a passé cinq mois en prison au Togo pour complicité d’escroquerie. Rentré en France, il contre-attaque et vient de déposer une plainte contre X. Confidences.

Par THOMAS HOFNUNG liberation.fr

En cinq mois «et dix jours» de détention au Togo, insiste-t-il, puis à la faveur de plusieurs semaines de convalescence, Loïk Le Floch-Prigent a eu le temps de méditer sur son infortune et sur sa solitude. Mais aussi de fourbir sa contre-attaque judiciaire. Car l’ex-patron d’Elf Aquitaine, personnage emblématique des dérives de la Françafrique sous François Mitterrand, entend bien prendre sa revanche. Pas tant sur le destin – «A 69 ans, ma vie est derrière moi» – que sur ce qu’il perçoit comme une profonde injustice à son encontre.

Arrêté à Abidjan (Côte-d’Ivoire), le 14 septembre, et aussitôt transféré sans autre forme de procès au Togo, où un mandat d’arrêt avait été émis contre lui pour une sombre affaire d’escroquerie, le presque septuagénaire à la barbe blanche vient de porter plainte contre X à Paris. «Je veux savoir la vérité sur ce que j’appelle un kidnapping, et j’irai jusqu’au bout», martèle-t-il. Souffrant depuis plusieurs années d’un cancer de la prostate, il affirme être un miraculé de la médecine qui n’a plus rien à perdre : «Je devais être opéré quelques jours plus tard quand j’ai été arrêté à Abidjan et laissé sans soins durant de longues semaines au Togo. Quand j’ai retrouvé mon médecin traitant en France, il m’a dit qu’il craignait bien ne jamais me revoir.»

Accessoirement, l’ex-grand patron demandera sans doute quelques dommages et intérêts, via son avocat, Me Patrick Klugman. Car pour regagner Paris, le 26 février, Loïk Le Floch-Prigent a dû payer une caution de 50 000 euros. «Une rançon» , rectifie-t-il.

A Paris, celui qui signe ses messages de ses initiales «LLFP» donne désormais ses rendez-vous dans de grands hôtels. Durant sa détention au Togo, par prudence, il a demandé à son épouse de rendre les clés de son bureau sur l’avenue des Champs-Elysées. «Sans elle, et sans une poignée d’amis, je serai sans doute mort à l’heure qu’il est» , songe-t-il à haute voix. Et sans le personnel de l’ambassade de France à Lomé, qui a insisté pour qu’il reste incarcéré au siège de la gendarmerie nationale, plutôt que d’être transféré à la prison centrale, de sinistre réputation. C’est un fait, les malheurs de «Le Floch» en Afrique ont été accueillis dans une indifférence quasi générale en France. Comme si politiques et médias s’étaient lassés des tribulations sans fin d’un ancien grand patron (SNCF, Rhône-Poulenc, GDF), considéré comme un soldat perdu de la République.
Ironie du sort

Le Floch-Prigent avait déjà connu la prison à plusieurs reprises, mais en France. En 2003, à l’issue du procès-fleuve de l’affaire Elf Aquitaine, il a écopé de cinq années de détention pour abus de biens sociaux, avant d’être libéré au bout de quelques mois pour raisons de santé. En 2010, retour à la Santé, la justice lui reproche d’avoir cessé ses remboursements au titre de l’indemnisation de son ancien employeur, Elf.

Au début de cette nouvelle mésaventure sur le continent africain, donc, pas un mot ou presque. Hormis ceux d’un vieil ami, lui-même affublé d’une réputation sulfureuse, Henri Proglio, l’actuel PDG d’EDF, qui le rémunère comme consultant. Puis, fin janvier, un édito enlevé de l’écrivain Patrick Besson dans le Point, qui appelle à sa libération en pointant la différence de traitement dont a bénéficié, selon lui, Florence Cassez. Les autorités françaises, elles, restent muettes. Et si Loïk Le Floch-Prigent explique, aujourd’hui, diplomatiquement que Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères, est monté au créneau «en 2013» , c’est pour mieux souligner, en creux, qu’il n’aurait pas fait grand-chose en 2012. Autrement dit, durant l’essentiel de sa détention. «Il aurait suffi que les autorités françaises se mobilisent pour que Le Floch soit libéré très vite», assure un proche du dossier. «Il a du toupet de se plaindre, nous l’avons sorti d’un très mauvais pas où il s’était fourré tout seul !» réplique une source diplomatique. Ironie du sort, sa libération, en février, a bien failli être retardée par un communiqué du Parti socialiste déplorant des arrestations d’opposants au Togo…
Mauvaise réputation

LLFP a beau clamer son innocence, il ne parvient pas à dissiper les soupçons tenaces à son encontre. «Comme si j’avais été condamné à une peine à vie !» s’indigne-t-il. Le Floch-Prigent, victime d’un délit de mauvaise réputation ? Peut-être parce qu’on ne prête qu’aux riches. Malgré ses démêlés judiciaires à répétition, l’ancien patron d’Elf roule toujours sa bosse – sinon carrosse, diraient les mauvaises langues – en Afrique. Mais désormais en solo. Un peu comme un Claude Guéant, ancien secrétaire général de l’Elysée, qui, sitôt reconverti dans les affaires, s’est précipité en Afrique auprès des dirigeants qu’il introduisait encore récemment dans le bureau du président Sarkozy. Un Claude Guéant en grande difficulté aujourd’hui qui – étrange coïncidence – serait intervenu en faveur de l’ancien patron d’Elf auprès des autorités togolaises.

Afrique, quand tu nous tiens ! En juin 2009, on avait déjà vu Le Floch déposer une gerbe de fleurs sur le cercueil d’Omar Bongo. Trois ans plus tard, juste avant d’être arrêté à Abidjan – où il s’était rendu pour présenter son nouveau livre (un polar qui se déroule sur ses terres natales, en Bretagne) et faire avancer divers projets liés à l’énergie -, l’ex-PDG jouait encore les messieurs bons offices pour une délégation de parlementaires du parti au pouvoir au Gabon en visite à Paris. Par ailleurs, LLFP n’a jamais cherché à cacher ses excellentes relations avec l’inamovible président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, épinglé dans l’affaire des biens mal acquis en cours d’instruction à Paris.

C’est encore et toujours l’Afrique qui est à l’origine du nouveau chapitre de son interminable saga judiciaire. L’un de ses anciens «partenaires», comme il le désigne, l’émirati Abbas Youssef, l’accuse d’avoir été complice d’une tentative d’escroquerie dite «à la nigériane». Une femme, se présentant comme la veuve de l’ancien dirigeant ivoirien le général Robert Gueï (assassiné en septembre 2002), aurait sollicité son aide financière pour essayer de récupérer des millions bloqués sur un compte en banque au Togo. Abbas Youssef se serait alors tourné vers son conseiller pour ses affaires en Afrique, Loïk Le Floch-Prigent, afin de lui demander son avis éclairé.

En juillet 2008, les deux hommes se sont rendus ensemble au Togo par avion spécial, où ils ont été reçus en grande pompe dans la capitale. D’abord par un dénommé Bertin Agba, un homme d’affaires qui se fait alors passer pour le ministre de l’Intérieur. Puis par le directeur de cabinet du président, Pascal Bodjona, qui deviendra par la suite ministre de l’Intérieur. Abbas Youssef n’y voit que du feu. Mais Le Floch, le spécialiste de l’Afrique ?

A l’issue de ce déplacement, le Français assure avoir tenté de dissuader son «partenaire», l’homme qui lui avait tendu la main à sa sortie de prison en France, de se lancer dans cette aventure rocambolesque. Le financier arabe, qui dit avoir perdu plusieurs millions dans l’escroquerie, affirme le contraire. «Ce n’est pas à 69 ans que je vais commencer une carrière d’escroc ! Je n’ai pas touché un centime dans cette affaire», clame LLFP, qui ajoute qu’Abbas Youssef n’en faisait qu’à sa tête.

Une chose est sûre : les deux hommes sont à couteaux tirés depuis des années. L’ex-patron d’Elf reproche en effet au milliardaire du Golfe de ne pas vouloir le payer et d’avoir torpillé des contrats juteux au Canada et au Congo-Brazzaville qu’il avait arrachés de haute lutte pour lui. A court de moyens, explique l’ancien patron d’Elf, Abbas Youssef aurait cédé aux sirènes de l’argent facile que lui faisait miroiter la prétendue veuve, puis voulu se débarrasser de son ami français, devenu soudainement encombrant. Mais après sa rupture avec Abbas Youssef, au tournant des années 2008 et 2009, Le Floch a créé sa propre structure de conseil, au nom étrangement proche de celle de son ancien partenaire, raconte la Lettre du continent, publication spécialisée dans les intrigues franco-africaines. Comme s’il cherchait à se venger.
«La presse dans une quête de pureté dangereuse»

Aujourd’hui requinqué, LLFP contre-attaque en s’en prenant prioritairement… au Togo et à la Côte-d’Ivoire, accusés de s’être entendus sur son dos. Revanchard, il en veut à la presse, qu’il accuse de vouloir jouer les redresseurs de torts en doutant de sa probité : «Elle sombre dans la quête d’une pureté dangereuse pour tout le monde, dit-il. Car les règles sont ainsi faites qu’aucun homme politique aujourd’hui ne peut prétendre faire carrière sans prendre des libertés avec le système.»

Le Floch dit aussi en avoir marre de payer pour les autres. «La vraie Françafrique, ce n’est pas moi ! Je suis un homme du passé.» Et de pointer les grands groupes français qui réalisent l’essentiel de leurs profits à bon compte sur le continent, et les politiques qui, à Paris, ferment les yeux sur les pouvoirs corrompus. Le Floch-Prigent commencerait-il, à 69 ans, une carrière de chevalier blanc ? Voilà qui fera sourire ses (nombreux) détracteurs, mais pourrait bien donner matière à d’autres livres.

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