Une contribution de Guillaume T. Gbato
Alors que les Ivoiriens s’interrogeaient sur les raisons qui ont poussé le régime Ouattara ramener manu militari Mme Simone Ehivet Gbagbo dans son goulag d’Odienné, alors qu’elle était supposée bénéficier de soins que nécessite son état de santé, l’un des répondeurs automatiques de la Dramanie, la nouvelle république qui nous gouverne, a voulu faire de l’esprit en revenant sur un sujet qui fait désormais l’unanimité en Côte d’Ivoire. La paupérisation croissante des populations et les difficultés que tout le monde éprouve de plus en plus à faire face à ses problèmes. En effet, dans son éditorial du vendredi dernier, le patron du quotidien gouvernemental plus que jamais pro-Ouattara, Venance Konan, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a cru répondre à tous ceux qui se plaignent de ce que l’argent se fait rare dans notre chère Dramanie. Tout y est passé. Tout et son contraire. Et la sortie du patron de Fraternité Matin n’aurait suscité aucune réaction, s’il n’avait pas fait beaucoup d’amalgames en risquant parfois même de se mettre à dos ceux qu’ils croient servir aujourd’hui avec la même dévotion que d’autres hier.
En effet, l’éditorialiste, pour développer son argumentation, s’est appuyé sur une conversation qu’il est supposé avoir eue avec l’épouse d’un de ses amis «qui gère un bar quelque part à Vridi». Le problème, c’est que le patron de Frat-Mat ne nous dit pas à quel moment la conversation a eu lieu. A son arrivée au bar. Où au moment il s’apprêtait à rentrer après avoir fini de faire ce qu’il avait à faire. La précision est importante, pour qui veut juger la qualité de l’entretien entre M. Konan et son interlocutrice. Mais, notre éditorialiste, ayant oublié ce détail, l’on est bien obligé de s’en tenir aux propos de la dame qu’il rapporte et qui lui servent de postulat. Selon donc Venance Konan, cette dame, qui gère un bar quelque part à Vridi, lui aurait confié que l’argent circulait sous Gbagbo, parce que «lorsque les brouteurs coupaient un Blanc, ils venaient claquer leur argent ici (chez elle). Certains pouvaient dépenser plus de cinq cent mille francs par soirée. Aujourd’hui, ils ont créé une brigade pour traquer les brouteurs et ces derniers rasent les murs. Ils ont vendu leurs véhicules et se cherchent. Il y avait aussi les gens de la Fesci qui dépensaient beaucoup dans les bars. Eux aussi, ils ont disparu. Il y avait également les gens du café-cacao. Même certains fonctionnaires, à l’époque, grâce à leurs rackets, avaient toujours de l’argent qu’ils venaient dépenser ici. Maintenant, tout le monde compte son argent, et c’est devenu dur. L’argent ne circule vraiment plus».
Et M. Konan de reprendre les arguments supposés de l’épouse de son ami qui gère un bar quelque part à Vridi, pour reconnaître que, « sous Gbagbo, effectivement, un certain type d’argent circulait, faisant le bonheur d’un groupe très restreint». Sans aborder le fond de la question, la première réaction qu’inspire une telle prise de position aussi péremptoire que hasardeuse, c’est que M. Konan ne craint pas le ridicule. Parce que sa propre démonstration détruit le fond même de son argumentation. En effet, comment peut-on dire que, sous Gbagbo, l’argent circulait entre les mains des brouteurs, des gens de la Fesci, des gens de café-cacao, de certains fonctionnaires et des gérants de bar comme l’épouse de son ami et arriver à la conclusion que cet argent faisait le bonheur d’un groupe très restreint ? Non, la pirouette est très difficile. Parce que si on suppose que l’épouse de l’ami de M. Konan qui gère un bar quelque part à Vridi a fait ce constat, on est bien obligé, ne serait-ce que par honnêteté, de ramener la situation à tous les bars de Côte d’Ivoire. Ou au moins d’Abidjan. Vridi n’étant pas la commune où on trouve les plus grands bars et le plus de bars. Si on prend donc l’argument de M. Konan, pour que quelqu’un qui gère un bar lugubre «quelque part à Vridi» voit l’argent circuler, c’est que ceux qui sont à Marcory, Treichville, Yopougon, Cocody, Plateau et partout ailleurs l’ont vu circuler avant lui. Donc de la démonstration de M. Konan, on ne peut que tirer une seule conclusion objective. Sous Gbagbo, l’argent circulait partout en Côte d’Ivoire. Entre les mains des jeunes cadres et autres jeunes entrepreneurs. Ceux que M. Konan appelle avec dédain les brouteurs. En effet, comment une gérante de bar peut faire la différence entre un brouteur supposé et un tout autre jeune cadre qui vient avec des amis se faire plaisir.
L’argent circulait entre les mains des étudiants. Que M. Konan, par nécessité de service, appelle les gens de la Fesci. Tout le monde sait que Port-Bouët et Vridi abritaient pas moins d’une demi-dizaine de résidences universitaires. La gérante du bar n’a aucun moyen de savoir parmi ceux qui entrent dans son bar qui est de la Fesci ou d’un autre mouvement étudiant. Parce que, sous Gbagbo, il y avait des mouvements étudiants proches de l’opposition de l’époque arrivée aujourd’hui au pouvoir. Et c’est dommage que M. Konan ne le sache pas.
L’argent circulait entre les mains des paysans. Même si, pour les besoins de la cause, M. Konan les appelle les gens de café-cacao. Et fait des insinuations malveillantes au sujet de l’ancien président de la Bourse café-cacao (Bcc), Lucien Tapé Doh. Pour les raisons de sa mission, M. Konan fait semblant d’ignorer que, dans les structures qui ont géré la filière café-cacao, siégeaient des paysans de toutes origines et de toutes obédiences politiques. Et qu’au surplus, l’un de ceux qu’il sert aujourd’hui avec autant d’énergie, Amadou Gon Coulibaly, est resté ministre de l’Agriculture de 2003 à 2010. Et qu’à ce titre, les enquêteurs sur les malversations dans la filière ont constitué un dossier volumineux sur lui.
L’argent circulait, enfin, entre les mains des fonctionnaires. Parce que Gbagbo a amélioré le salaire de la quasi-totalité des corps de métiers. Il a mis fin aux salaires à double vitesse dans l’enseignement. Le corps préfectoral, la police, la douane, les impôts, le Trésor, le corps médical, tous ont vu leur vie changer. C’est une insulte de parler de racket. Parce que, si tel était le cas, les Frci seraient les plus riches du pays. D’autant plus qu’eux n’ont pas d’activité en dehors du racket.
Dans son éditorial, M. Konan, comme s’il s’était oublié, a parlé du train de vie «des barons de la Refondation, de la rébellion et de la filière café-cacao». Mais a-t-il perdu de vue que c’est la rébellion qui est aujourd’hui au pouvoir en Côte d’Ivoire ? Non, il faut être sérieux. Les lecteurs de Fraternité Matin méritent mieux. Surtout venant de quelqu’un dont nombre d’Ivoiriens pensent qu’il est un bon journaliste. Ouattara a promis des milliards aux Ivoiriens et une vie de pacha. Plus de deux ans après son bombardement à la tête de notre pays, c’est la déception. Dans tous les foyers, on crie famine. Pour autant les routes dont parle M. Konan sont toujours aussi dégradées. Il n’y a qu’à faire un tour sur l’axe Singrobo-Yamoussoukro. La télévision nationale vient de faire un reportage sur l’état de l’axe Akoupé-Abengourou-Agnibilékrou-Bondoukou. Abidjan, à la Riviera Palmeraie, les riverains de la Rue ministre attendent toujours le bitume que l’opposant Ouattara leur avait promis. M. Konan devrait faire un tour aussi à Yopougon pour voir ce qu’est devenue la voie Sicogi-Niangon par Texaco, qu’on avait refait avec grand bruit. Son opinion ne serait pas aussi catégorique. Donc forcément discutable sur les bilans de Gbagbo et de Ouattara.
Guillaume T. Gbato
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