Séka Atsé Emmanuel « Je me demande si mon fils Séka Séka est encore en vie »

Interview réalisée par Benjamin Koré in Notre Voie

Séka Atsé Emmanuel, père du Commandant Séka Séka : « Je me demande si mon fils est encore en vie »

Séka Atsé Emmanuel, père du Commandant Séka Séka

(Notre Voie, 3 mai 2013) – Depuis l’arrestation du Commandant Séka Yapo Anselme dit Séka Séka, nul ne sait où il se trouve. Dans cette interview, le père de l’ancien aide de camp de l’ex-Première dame, Simone Gbagbo, dit son ras-le-bol et ses inquiétudes.

Notre Voie: Votre fils, le Commandant Séka Yapo Anselme, a été arrêté le samedi 15 octobre 2011. Depuis cette date, on n’entend plus parler de lui. Que devient-il ?

Séka Atsé Emmanuel: Je n’ai pas de nouvelles de lui. Quand on l’a arrêté, on a présenté ses images de l’aéroport à la télévision nationale et on l’a vu dans la presse écrite. Depuis ce jour, je n’ai pas les nouvelles de mon fils.

N.V.: N’avez-vous pas cherché à le voir depuis son arrestation?

S.A.E.: Au départ, j’ai tenté de le voir. Mais on ne nous a pas permis de le voir. On ne nous donne pas une seule occasion pour l’approcher. Jusqu’à ce jour, je ne sais pas où il se trouve. Je me demande où on l’a amené. Au niveau de sa famille, personne ne sait dans quel camp ou dans quelle prison il est gardé. Depuis son arrestation, je lutte pour voir mon fils, mais je n’ai aucune trace.

N.V.: Est-ce que vous avez pris le soin de vous confier à un avocat pour se charger de sa défense?

S.A.E.: Quand j’ai effectué toutes les démarches sans le voir, j’ai effectivement contacté un avocat. Ce dernier fait tout ce qu’il peut, mais il n’arrive pas à voir le commandant Séka Yapo Anselme. Moi, je n’ai pas de pouvoir pour demander à l’Etat de Côte d’Ivoire de m’autoriser à voir mon fils. S’il est en prison, qu’on me dise où il est détenu et qu’on me permette de lui rendre visite. Face à cette difficulté, j’ai contacté l’Onuci pour m’aider dans mes démarches.

N.V.: Et qu’est-ce que l’Onuci vous répondu?

S.A.E.: L’Onuci a promis de nous aider en nous faisant espérer. Mais ça n’a pas marché. Je n’ai toujours pas les traces de mon fils. Et cela fait que je suis très inquiet pour mon fils. Je ne dors plus et chaque jour, je prie pour lui. Il était tout pour moi parce qu’il s’occupait de moi, surtout de ma santé. J’ai subi deux opérations. L’une au cou et l’autre à la hanche. C’est Séka Séka qui faisait qu’on me soignait à la Pisam. Ce n’est plus possible depuis qu’il est arrêté. Ses biens sont saisis, ses comptes bloqués et sa famille, disloquée. Ses enfants ne vont plus à l’école. Vous voyez que son arrestation est un coup dur pour moi et même pour notre village. Parce qu’il a introduit l’hévéaculture dans le village de Biasso. C’est lui qui a offert des plans d’hévéa aux villageois pour créer leurs plantations. Aujourd’hui si l’hévéa est cultivé ici, c’est grâce à Anselme Séka Yapo. Comme il ne peut pas donner l’argent à tout les villageois, il a fait en sorte que chacun crée sa plantation d’hévéa. Il s’impliquait dans le développement du village et vous pouvez le vérifier auprès du chef du village. Il a aussi contribué à l’extension du réseau électrique du village en apportant des poteaux et il s’attelait activement à l’ouverture des voies pour relier Biasso aux autres villages voisins. Tous ces chantiers et projets sont aujourd’hui abandonnés depuis le changement du pouvoir.

N.V.: Revenons sur l’arrestation du commandant Séka Séka. Personnellement comment avez-vous vécu l’événement ?

S.A.E.: Quand mon fils a été arrêté, je sortais d’une longue maladie qui a duré près de 9 mois. Au moment où on l’a arrêté, j’étais convalescent et j’ai pris une canne pour marcher pour aller dans ma boutique à près de deux cents mètres de mon domicile dans le village. Dès que je suis arrivé à la boutique, j’ai entendu des tirs de kalachnikovs et de mitraillettes. J’ai compris que les Frci étaient arrivés à mon domicile. Heureusement que je n’étais pas en place et que ma femme et mes enfants venaient de partir au champ. Les Frci ont cassé les portes et les vitres de ma maison. Ils ont tiré 7 coups de feu et ont emporté mes deux motos, un ordinateur et mes téléphones portables. Quand le calme est revenu, j’ai regagné ma maison et j’ai trouvé les villageois qui étaient venus voir ce qui s’est passé dans ma cour. Tout ce que vous voyez là (il montre les parties de la maison) a été cassé et j’ai refait ça.

N.V.: Vous ne voyez pas votre fils et vous n’avez pas ses nouvelles. Est-ce qu’il vous arrive de vous interroger si Séka Séka est encore en vie ?

S.A.E.: C’est mon inquiétude et j’ai le droit de m’inquiéter du sort de mon fils. Je m’interroge si Séka Séka est en vie. Pourquoi on voit les autres prisonniers et lui, on ne peut pas le voir. Je m’inquiète pour mon fils Séka Séka. Si mon fils est en vie, alors je demande qu’on me laisse le voir. Je demande aux autorités judiciaires de me permettre au moins de lui parler au téléphone. Dans le cas contraire, je demande qu’on me fasse accompagner par les policiers pour aller le voir. Mais il n’y a rien de tout ça et c’est ce qui me rend inquiet du sort de mon enfant.

N.V.: Le pouvoir qui l’a arrêté l’accuse de crimes. Vous qui connaissez votre fils, que répondez-vous à ces accusations ?

S.A.E.: Je ne crois pas aux crimes qu’on veut coller à mon fils. Mon fils a fait l’Ecole militaire préparatoire technique (Empt) où il s’est toujours bien comporté. Quand il est sorti de l’Empt, il est allé à Paris pour achever sa formation. Il a bien travaillé là-bas où il a eu un diplôme d’honneur. Mon fils ne devait pas être garde du corps. Il est un ingénieur qui devait travailler dans le navire ou dans l’avion. Mais comme il a été brillant à Paris, arrivé au pays, on l’a désigné pour faire partie de la sécurité du président Laurent Gbagbo. Finalement, il a été affecté pour être aide de camp de l’ex-Première dame Simone Gbagbo. Avec Mme Gbagbo, il s’est montré correct. Je suis donc surpris qu’on l’accuse de crimes.

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N.V.: Pour vous, il ne peut pas commettre les crimes dont on l’accuse ? S.A.E.:Moi, j’ai fait l’armée. Dans l’armée, on ne se comporte pas comme un chasseur. C’est le chasseur qui prend seul son fusil pour entrer dans la brousse pour tuer du gibier. Mais un militaire seul ne peut pas prendre son fusil pour aller tuer des gens. Quand il y a une opération, c’est au moins un groupe de militaires ou une unité voire une section de centaines d’éléments qu’on envoie. Je ne peux donc pas comprendre qu’on l’accuse seul de crimes. Je me demande comment il a pu faire pour commettre seul ces crimes dont l’accuse.

N.V.: Le nom de votre fils est mêlé à la mort du général Robert Guéi et à l’affaire Guy André Kieffer. Est-ce qu’il vous a dit sa part de vérité ?

S.A.E.: Quand Gbagbo était au pouvoir et l’opposition faisait circuler ces accusations concernant la mort de Guéi et Kieffer, j’ai appelé mon fils pour lui demander. Mais il m’a dit clairement que ces accusations étaient fausses et sans fondement. Séka Séka m’a dit qu’il ne se reconnaissait pas responsable de la mort de Guéi et Kieffer. C’est vrai que je ne suis pas avec lui dans son service, mais je connais mon fils. Il n’est pas un criminel comme on veut le faire croire. Je pense que c’est un sentiment de haine qui fait que les gens l’accusent ainsi.

N.V.: Pourquoi estimez-vous que c’est la haine qui a motivé l’arrestation de votre fils ?

S.A.E.: Je le dis parce que mon fils que je connais bien que quiconque, n’est pas capable de commettre ces bêtises. Ceux qui l’accusent de crimes doivent en apporter les preuves. On ne doit pas seulement se contenter de l’accuser sans apporter la preuve de ce qu’on avance. Quand Gbagbo était au pouvoir, on nous parlait de la mort de Guy André Kieffer et de Guéi Robert. Déjà, l’opposition trouvait les coupables de leurs morts. Moi, je me demande simplement à partir de quoi on accuse Séka Séka. Quelle enquête qui a été menée pour le déclarer coupable au point de l’arrêter ? On ne peut pas arrêter un citoyen avant de chercher à faire une enquête. On dit qu’il a tué Guéi Robert et Kieffer. On ne dit pas comment et qui était témoin quand il tuait Guéi et Kieffer. Je ne peux jamais croire aux accusations portées contre mon fils ni aujourd’hui ni demain. Mais comme c’est la force de l’autorité qui l’a arrêté, j’observe en attendant qu’on apporte les preuves.

N.V.: Le pouvoir prône la réconciliation. Est-ce que vous êtes disposé à adhérer au processus?

S.A.E.: J’entends des gens parler de la réconciliation. Mais je me demande comment on peut parvenir à cette réconciliation. Les gens sont en prison. Moi qui vous reçois, mon fils est en prison et on parle de réconciliation. Je veux bien savoir comment on pourra se réconcilier. Dans nos villages, on n’est pas contre la réconciliation. Mais je veux qu’on sorte les gens des prisons. Je veux qu’on libère les prisonniers si on veut réconcilier les Ivoiriens. Actuellement, on compte des centaines de prisonniers. On ne peut pas se réconcilier pendant qu’on a nos enfants en prison. Des gens sont en exil au Ghana, au Togo, au Liberia et dans plusieurs pays dans le monde. Et ceux qui ne sont pas partis en exil sont en prison et on ne peut même pas les voir ni les appeler. Dans ce cas, on se réconcilie comment et qui acceptera la réconciliation ?

N.V.: A vous entendre parler, on est tenté de dire qu’on n’est pas dans un Etat de droit.

S.A.E.: Pour moi, on n’est pas dans un Etat de droit. Il n’y a pas un minimum de droit. Quand on met quelqu’un en prison dans le jargon militaire, on dit qu’il a droit à une ration. Mais quand on ne peut pas voir un prisonnier et lui apporter de la nourriture, on ne peut pas parler de d’Etat de droit.

N.V.: Face à cette situation que vous décrivez, qu’est-ce que vous souhaitez ?

S.A.E.: Moi, un pauvre, qu’est-ce que je peux faire ? Je demande au gouvernement de laisser mon enfant et les autres prisonniers. Même si on peut le libérer et lui demander de rester avec moi au village sans aller quelque part, je préfère cela que de le voir en prison sans avoir ses nouvelles. Je demande au gouvernement de se pencher sur le sort de tous les prisonniers pour les remettre en liberté.

J’interpelle aussi les organisations de défense des droits de l’homme. Dans un Etat de droit, un prisonnier a des droits et il a aussi droit à un procès. On a des prisonniers qui ne sont pas jugés et on ne sait pas où ils sont détenus. Je demande aux organisations de défense des droits de l’homme de se préoccuper du cas de mon fils dont je n’ai aucune nouvelle. Qu’on ouvre au moins son procès pour que nous soyons situés. C’est le devoir de ces organisations de défendre la situation que vivent mon fils et les autres prisonniers.

Interview réalisée par Benjamin Koré

Envoyé spécial à Biasso (Adzopé)

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