En Côte-d’Ivoire, l’armée tente de resserrer les clans

Reportage Ancien pro-Gbagbo passé dans le camp Ouattara, le commandant Ousmane Coulibaly (photo) incarne les difficultés de la transition dans un pays pas complètement pacifié.

Par MARIA MALAGARDIS Envoyée spéciale à Abidjan Liberation.fr

«Ben Laden» a de la chance : il a choisi le bon camp au bon moment. Cet ancien commandant rebelle vient d’être nommé préfet de San Pedro, dans le sud-ouest de la Côte-d’Ivoire. Une consécration officielle pour celui qui s’est fait connaître sous le nom du leader d’Al-Qaeda. «Uniquement à cause de la très longue barbe que je portais pendant les années de rébellion», explique, tout sourire, le commandant Ben Laden, alias Ousmane Coulibaly.

La guerre civile est officiellement terminée en Côte-d’Ivoire, mais elle continue à faire la une : mardi s’est ouvert le premier des grands procès liés à la crise postélectorale de 2010-2011, une guerre civile qui s’est achevée par la chute de Laurent Gbagbo et la prise du pouvoir d’Alassane Ouattara. Ce premier procès ne concerne que des militaires : cinq officiers se trouvent dans le box des accusés, parmi lesquels le général Brunot Dogbo Blé qui dirigeait la Garde républicaine de Gbagbo. Au total, une quarantaine de militaires devraient être jugés dans la foulée, tous accusés d’avoir commis des crimes de sang par fidélité à l’ancien président.

Ousmane Coulibaly, 52 ans, peut se féliciter d’avoir désobéi à temps : au tournant des années 2000, cet officier a brusquement quitté l’armée qu’il avait intégrée «dès l’époque de Félix Houphouët-Boigny [président de 1960 à 1993, ndlr]». «Mais l’armée a changé, certains officiers étaient stigmatisés en raison de leurs origines», raconte-t-il, en faisant allusion au poison de «l’ivoirité» qui devait marquer la vie politique locale pendant près de quinze ans, avec le rejet des ressortissants du nord du pays.

Nostalgiques. C’est après 2002 que «Ben Laden» devient le surnom de l’ex-officier : il se retrouve alors au sein d’une armée rebelle installée dans le nord d’un pays coupé en deux. Quand Gbagbo refuse de reconnaître sa défaite électorale fin 2010, le commandant fait partie des forces qui vont livrer la bataille finale et installer Ouattara au pouvoir. Ben Laden s’installe ensuite à Yopougon, le grand quartier populaire du district d’Abidjan considéré comme un fief pro-Gbagbo. «A notre arrivée, on sentait une certaine hostilité», se rappelle-t-il, soudain plus laconique.

Depuis la fin de la crise, de nombreuses ONG, mais aussi la Cour pénale internationale qui détient Gbagbo à La Haye, ont fait pression sur le nouveau régime pour qu’il ne se contente pas de juger les proches de l’ancien président, mais enquête également sur les exactions commises dans son propre camp. A commencer par ces fameux «com zon», les commandants de zone qui se sont partagé la ville d’Abidjan en territoires, comme «Ben Laden» à Yopougon.

Mais la justice peut-elle agir librement et sereinement alors que le pays connaît un regain de tensions ? En août comme en septembre, une série d’attaques meurtrières ont visé des postes de gendarmerie, des commissariats, une caserne et un poste frontière. Les autorités ont attribué ces attaques à des nostalgiques du clan Gbagbo exilés dans deux pays voisins : le Liberia à l’ouest et le Ghana à l’est. Les «assaillants» se seraient emparés d’armes, mais aussi d’uniformes. Or, à chaque nouvelle vague d’attaques, les uniformes refont surface : les barrages se multiplient, parfois tenus par de jeunes soldats sans aucun matricule (donc non recensés), mais toujours armés. «Le moindre type en treillis peut se faire passer pour un membre des FRCI [Forces républicaines de Côte-d’Ivoire]», reconnaît le commandant Ben Laden.

Soubresauts. Les FRCI, ont été créées pour incorporer les deux armées, celle des rebelles et les forces loyalistes. Officiellement, la fusion est une réussite. «Moi-même je suis un ancien officier loyaliste, je n’ai aucun problème avec mes condisciples. Nous sommes tous des soldats de métier», souligne Ben Laden, qui considère que les attaques récentes ne sont que les derniers soubresauts de la crise : «Quand tu coupes la tête à un poulet, il continue de courir un certain temps avant de rendre l’âme», explique-t-il. Sous couvert d’anonymat, certains officiers évoquent pourtant un manque de confiance entre «vainqueurs» et «vaincus» réunis au sein de l’armée. Les attaques récentes auraient amplifié cette méfiance. Or, selon certaines sources, le plan d’attaques était connu d’avance : une stratégie de déstabilisation, baptisée «l’opération araignée», aurait ainsi été découverte tout début août. Info ? Intox ? Personne ne sait et, sans confirmation officielle, elle reste une rumeur parmi d’autres dans un pays où la justice ne suffira pas à garantir la réconciliation.

Un premier procès depuis la crise

Cinq fidèles de Laurent Gbagbo sont jugés à Abidjan depuis mardi. Ils sont inculpés d’enlèvement, séquestration, assassinat et complicité dans le meurtre du colonel-major Adama Dosso en mars 2011.

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