La vérité sur la Côte d’Ivoire passe par les Pays-Bas

Publié le 29 mars 2011 – | Par Hélène Michaud

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Deux portables, un ordinateur posé sur la table de cuisine et un vaste réseau d’informateurs. C’est avec ces outils que l’Ivoirien Alexis Douadé Gbansé gère connectionivoirienne.net, le deuxième site d’informations indépendantes sur la Côte d’Ivoire, depuis son modeste logement du Nord des Pays-Bas, à plus de 5. 000 km d’Abidjan.

Gbansé, 38 ans, passe le plus clair de son temps au téléphone avec sa poignée de journalistes pigistes et sur le web à ratisser la presse ivoirienne et les réseaux sociaux dont Facebook et Twitter. « On met tous les instruments à profit, » dit Gbansé.

D’une quinzaine de lecteurs par jour en 2007, le site, explique son rédacteur en chef, est aujourd’hui visité quotidiennement par 50.000 personnes en quête d’informations non censurées sur ce qui se passe en Côte d’Ivoire.

Son passé de militant estudiantin, dit-il, lui a permis de bâtir un grand réseau d’informateurs à tous les niveaux, que ce soit au sein de l’armée, de la présidence, des médias ivoiriens, du monde des affaires et de la diplomatie, même au Quai d’Orsay à Paris.

Les articles ne sont pas toujours signés, les journalistes en Côte d’Ivoire faisant souvent l’objet de menaces de mort ; même son second a dû passer dans la clandestinité et s’apprête à être « exfiltré » vers un pays voisin. Et Gbansé tient à protéger ses sources.

Aux aguets

Lui-même se trouve relativement à l’abri à 100 km d’Amsterdam, à Bolsward, petite cité historique frisonne de 10.000 âmes où il trouvait refuge il y a quinze ans. Il dit avoir reçu « énormément de menaces, certaines venant directement des services de communication de l’ancien président Gbagbo. Ce n’est pas évident que je dorme chaque jour ici. Je suis aux aguets,’’ dit –il. Il sait que son portable est sous écoute, mais il se dit un peu aguerri par son passé à l’école du militantisme. « Je ne me laisse pas intimider facilement. »

Il sort dans sa cour pour fumer une cigarette, près de la trampoline des enfants, et appelle son correspondant principal pour vérifier des informations faisant état de fausse monnaie en circulation là-bas. Dans un pays où pratiquement tous les médias sont alliés à des partis politiques, les rumeurs foisonnent, et il tient à vérifier chaque bribe d’information auprès de plusieurs sources avant de publier, car il lui est déjà arrivé de rendre publiques des informations infondées.

Mensonges

Si ses sources lui font confiance, explique Alexis Gbansé, c’est qu’il a refusé d’être corrompu et de s’allier soit à Laurent Gbagbo, soit à Alassane Ouattara. « Tout le monde recherche la vérité, car il y a beaucoup de mensonges qui circulent en Côte d’Ivoire. »

Lui qui connaît bien l’entourage de Gbagbo s’empresse de montrer une photo de lui-même avec ses dreadlocks bien estudiantins, prise ici dans son living, au côté de Charles Blé Goudé, ancien compagnon au sein de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire , et aujourd’hui chef des patriotes pro-Gbagbo. C’est lui qui a récemment appelé les jeunes Ivoiriens à prendre les armes. Si Gbansé préfère aujourd’hui la casquette, c’est grâce à Blé Goudé qui l’a persuadé de couper ses dreads. « Ça ne faisait pas sérieux ». Ils ne se parlent plus depuis 2007.

Avec Gbagbo, il dit avoir pris ses distances lorsque ce dernier a commencé à montrer des tendances dictatoriales, au début des années 1990. « Peut-être un peu plus intelligent que Kadhafi, mais un dictateur.»

Foncièrement démocrate

Connectionivoirienne.net poursuit une ligne éditoriale « foncièrement démocrate ». « Tout ce qui peut contribuer à la démocratisation de la Côte d’Ivoire fait partie de nos priorités. » Concrètement : voir à ce que le pouvoir soit remis à Alassane Ouattara, « celui qui a été élu aux premières présidentielles relativement démocratiques en Côte-d’Ivoire ».

Rien sur le site connectionivorienne.net ne révèle que son centre névralgique se trouve dans un endroit venteux des Pays-Bas où ne vivent que quelques familles africaines. Mais contrairement à d’autres dans la diaspora africaine, Alexis Gbansé n’est pas branché exclusivement sur son pays natal, il a bâti ici aussi son réseau. Il a joint les francs-maçons et a constitué un groupe de discussion interreligieux, « un groupe de frères sur qui je peux compter et qui a apporté la qualité à ma vie, sur le plan intellectuel et spirituel, et la confiance en soi. »

Bêtement

Ses enfants sont éduqués à la néerlandaise. Au début, il avait voulu s’imposer comme père africain qui ne supporte pas de réplique de la part de ses enfants, mais il a fini par accepter qu’ils vivent dans un autre contexte qui dit-il leur permet de former leurs propres opinions. « Ça permet l’esprit d’analyse, que beaucoup de nos compatriotes n’ont pas en Côte d’Ivoire, sinon ils ne suivraient pas de façon aussi bête les leaders politiques. Ils suivent Blé Goudé et la rébellion sans trop réfléchir parce que très tôt on ne leur a pas inculqué cette liberté de s’exprimer. »

Autre perspective empruntée à l’Europe: celle du long terme. Il a déjà en tête les réformes constitutionnelles et autres qui devront être prises en Côte d’Ivoire dans l’après-Gbagbo. Alexis Gbansé est optimiste quant à l’avènement de la démocratie dans son pays. « On va y arriver, car le clan Gbagbo est le dernier groupe qui refuse la démocratie. Ça avance, dans les coulisses. » Mais il n’en dit pas plus, pour protéger ses sources. Et lui un jour pliera ses bagages pour rentrer. Pour faire de la politique ? « Pourquoi pas, tout est possible»!

Publié le 29 mars 2011 – | Par Hélène Michaud Radio
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