Intervention de Wodié “Des personnes décédées ont voté, des personnes absentes ont voté”

Contentieux électoral / Francis Wodié, président du Conseil constitutionnel avoue :

‘’Nous avons pu constater que des personnes décédées ont voté, des personnes absentes ont voté’’

Source: L’Intelligent d’Abidjan

Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le mardi 31 janvier 2012, après avoir été saisi, au terme des élections législatives du 11 décembre 2011, par des candidats qui contestent la régularité et la sincérité du scrutin dans certaines circonscriptions électorales. Sur 110 requêtes enregistrées, le Conseil a statué sur 107 provenant de 66 circonscriptions. La victoire de 55 députés a été confirmée, tandis que le Conseil constitutionnel a annulé le résultat de 11 circonscriptions, où des élections partielles doivent être organisées. Ci-dessous, l’intervention du président Francis Wodié, qui explique la méthode utilisée par son institution pour rendre sa décision.

«Nous nous sommes interrogés sur le point de savoir s’il fallait tenir un point de presse ou une conférence de presse et s’il entre dans la vocation du Conseil constitutionnel de rencontrer la presse. Nous avons finalement décidé d’organiser ce point de presse, pour faire le point de la situation relativement aux élections législatives qui se sont tenues le 11 décembre 2011. Le Conseil constitutionnel a eu à statuer d’abord sur l’éligibilité des candidats, indiquant ceux des candidats qui remplissent les conditions pour pouvoir participer effectivement aux élections législatives. Et le Conseil a statué rapidement. A la suite des élections législatives, le Conseil a été saisi d’un certain nombre de requêtes, 110 requêtes, qui sollicitaient l’intervention du Conseil constitutionnel pour examiner tel ou tel cas, pour dire si le Droit a été respecté, si le scrutin a été sincère et si les résultats proclamés sont effectivement l’expression de la volonté des électeurs. Le Conseil a dû prendre le temps d’examiner les requêtes dont il a été saisi. Nous avons constaté une certaine impatience de la part de certaines personnes, se posant la question de savoir ce que fait le Conseil constitutionnel. Est-ce que cette attitude ne cache pas quelque chose ? Et c’est la presse qui est la première à s’interroger. Il y en a qui n’ont pas hésité, avec une certaine légèreté, d’affirmer dès le départ : « De gros soupçons pèsent sur Wodié Francis », personnalisant ainsi l’examen des affaires qui appartiennent non pas au président mais au Conseil constitutionnel en tant que corps. L’examen des dossiers nous a emmenés à détacher les griefs, ensuite la méthode du Conseil constitutionnel et les résultats auxquels nous sommes parvenus. Les griefs concernent d’abord la campagne électorale. Nous avons décidé de retenir la campagne électorale comme un élément d’appréciation de la régularité et de la sincérité du scrutin.

La campagne électorale
Il y a un certain nombre de griefs : une campagne prématurée dans laquelle on relève l’intervention des forces armées, FRCI et Dozos, les forces armées au service de certains candidats, l’utilisation des moyens de l’Etat, véhicules et autres, l’utilisation des signes et symboles de l’Etat et l’image du chef d’Etat et la prolongation de la campagne au-delà de la période réglementaire.

Le déroulement du scrutin
Les griefs concernent la formation des bureaux de vote, les représentants des candidats, la signature des procès-verbaux, la question des isoloirs.

Le dépouillement et la proclamation des résultats
Certains griefs sont portés à la connaissance du Conseil constitutionnel. La signature des procès-verbaux par les représentants de certains candidats, des procès-verbaux non signés ou signés sous la contrainte, les résultats qui ne sont pas proclamés dans certains bureaux de vote, non correspondance entre le nombre de votants et le nombre de bulletins de vote, entre les suffrages exprimés et le total des voix revenant à chaque candidat. Ce sont là, résumés, les griefs dont le Conseil a été saisi, 110 requêtes pour 66 circonscriptions. Lorsque les documents fournis ne permettent pas au Conseil de se faire une idée, le Conseil va au-delà en s’adressant aux structures auprès desquelles il pourrait recueillir des informations complémentaires, en particulier la Commission électorale indépendante, l’ONUCI, l’administration de l’Etat au sens des préfets et sous-préfets. Nous avons pris ce temps pour établir les faits, parce que les requérants invoquent une série de faits, l’intervention des forces armées, la destruction des urnes, le recours à la violence d’une manière générale (…) Si le fait est établi, nous devons en apprécier la portée pour savoir si et dans quelle mesure ces faits ont influencé le déroulement du scrutin et le résultat du scrutin, la sincérité et la régularité du scrutin (…) Nous avons invité, comme la Loi nous y oblige, les personnes dont l’élection est contestée à prendre connaissance du dossier et à présenter leurs observations. Nous avons mené des enquêtes, nous avions même décidé d’avoir des représentants dans les bureaux de vote dans certaines circonscriptions. Nous n’avons pas pu le faire, mais pour l’avenir, nous n’excluons pas de le faire (…) Nous nous sommes fixés un temps, parce que lorsque nous nous adressons aux structures concernées, nous n’avons pas immédiatement les réponses. Nous avons décidé d’arrêter ces recherches à un moment donné et des informations ont continué à nous parvenir que nous ne pouvions plus prendre en considération, dès lors qu’une telle décision a été prise par le Conseil constitutionnel lui-même.

‘’Il est dans le pouvoir du Conseil de confirmer une élection, ou d’en modifier, de rectifier le résultat ou de prononcer l’annulation d’une élection, sur la base des faits démontrés par le Conseil comme existants’’.
Au bout du compte, en ayant recouru à une telle méthode, nous sommes parvenus à établir certains faits et pas d’autres. Là où les faits n’ont pas été établis, nous sommes amenés à confirmer l’élection. De sorte que nous avons confirmé 55 élections. Il est dans le pouvoir du Conseil ou de confirmer une élection ou d’en modifier, de rectifier le résultat ou de prononcer l’annulation d’une élection sur la base des faits démontrés par le Conseil comme existants. Nous avons été amenés à annuler les élections dans 11 circonscriptions (…) Notre devoir, c’est de protéger la Constitution et les citoyens, de garantir les droits des citoyens en matière électorale (…) Nous avons communiqué les décisions à la Commission électorale indépendante qui va en tenir compte pour prendre les dernières décisions, à l’issue de quoi les élections partielles vont avoir lieu. Il y a des décisions que nous n’avons pas prises, parce que les faits n’étaient pas établis, parce que ces faits ne sont pas formellement reconnus par la Loi comme constituant des irrégularités. Mais, nous avons reconnu l’anomalie de certaines situations du point de vue du respect des principes fondamentaux de la démocratie et de l’éthique républicaine. N’avoir pas prononcé des décisions aujourd’hui ne signifie pas que demain le Conseil ne se prononcera pas. Nous voudrions saisir l’occasion pour faire des recommandations précises aux candidats, aux partis politiques et aux citoyens d’une manière générale. Dans un Etat de droit prévaut le principe de la séparation. Il y a l’Etat et le chef d’Etat. Le chef d’Etat représente tout l’Etat, tous les Ivoiriens. Les partis politiques sont une partie de ce tout qu’est la nation ou l’Etat. On ne doit donc pas confondre les deux entités. Il est anormal que pendant la campagne, il y ait des comportements qui tendraient à confondre l’Etat et les partis, l’Etat et les individus. Il faut préserver la qualité et l’image du chef d’Etat qui est donné par la Constitution comme étant l’incarnation de l’unité nationale (…) L’intrusion des forces armées dans le processus électoral n’est pas normale. Ici aussi doit prévaloir le principe de séparation. L’armée est là où elle doit être. Le champ politique est ouvert aux acteurs qui sont reconnus comme tels par la Constitution. Le recours à la force doit être banni (…) Quand des candidats font campagne avec des hommes armés, quand d’autres n’ont pas cette possibilité, le principe de l’égalité se trouve rompu. Or il est un principe essentiel de l’égalité de traitement entre les candidats, l’égalité de tous devant la Loi. Il faut faire en sorte que le scrutin soit libre, que les citoyens puissent voter en toute liberté et sécurité (…) Il y a des mesures à prendre dans ce sens pour les prochains scrutins et pour les tout prochains qui concernent les législatives partielles. En tenant compte de l’expérience vécue, en tirant les leçons et enseignements, nous devrions parvenir à améliorer le déroulement de l’élection.

La sincérité du scrutin : ‘’Nous avons pu constater que des personnes décédées ont voté, des personnes absentes ont voté’’

Il y a une série d’anomalies que nous avons observées et on m’en signale une, c’est la sincérité du scrutin, parce que nous avons pu constater que des personnes décédées ont voté, des personnes absentes ont voté. Quand on fait voter des morts, on doit craindre de s’exposer à la mort soi-même. Nous avons un devoir de sincérité. Nous sommes des femmes et des hommes de Droit (…) Un homme de Droit doit être un homme droit (…) On ne doit pas se laisser à ce jeu de ruse où tous les moyens sont considérés comme autorisés, où même la tricherie entre dans la stratégie de victoire de certains candidats ou de certaines formations politiques. Il doit exister en chacun de nous la volonté d’assainir le champ politique et tout le jeu électoral. C’est là aussi une exigence de la démocratie (…) Le Conseil constitutionnel a accompli son œuvre en toute indépendance, en toute impartialité, en toute conscience. Nous sommes le dernier rempart concernant les élections. Nous avons un devoir, nous pensons l’avoir accompli dans le respect des règles qui gouvernent l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel (…)

Propos recueillis par Olivier Dion

Encadré 1
Voici la liste des députés dont l’élection a été invalidée

1. Kaba Niélé (ministre, RDR) à Bouna, 2. Balo Bi (FN/RDR) à Bonon,
3. Colonel major Issa Coulibaly (DG des Douanes, RDR) à Dikodougou, 4.Flanizara Touré (RDR) à Duékoué, 5.Jean Séa Honoré (RDR) à Facobly, 6.Boniface Gueye (Indépendant) à Kouibly, 7. Alain Lobognon (Indépendant) à Fresco, 8.M’bolo Martin à Agboville S/P, 9.Jean Djaha (PDCI) à Grand-Lahou, 10. Kloawa Aimé Sy (Indépendant) à Tabou et 11. Dély Mamadou (UDPCI) à Biankouma.

Encadré 2
Analyse
Après le verdict du Conseil Constitutionnel, que va-t-il se passer maintenant ?

Le Conseil constitutionnel a parlé. Il n’y a plus de recours. Le professeur Francis Wodié refuse la personnalisation des affaires qui appartiennent au Conseil constitutionnel, en tant que corps. Ainsi on ne devrait pas chercher à faire simple, en disant Wodié, pour désigner le Conseil constitutionnel. Est-ce une manière de dire que les observateurs ont eu tort de personnaliser les choses au sujet de Paul Yao N’Dré ? Reprécisant les missions du Conseil constitutionnel, le professeur Francis Wodié a dit : « Il est dans le pouvoir du Conseil de confirmer une élection, d’en modifier, de rectifier le résultat ou de prononcer l’annulation d’une élection sur la base des faits démontrés par le Conseil constitutionnel comme existants ». S’agit-il de toutes les élections (présidentielle ou législative), ou simplement des élections législatives ? Il est important de savoir puisque cet argumentaire qui contient la possibilité de modifier les résultats, a servi à alimenter la propagande des pro-Gbagbo lors de la présidentielle de 2010. Concernant les morts et personnes décédées ayant voté, le Conseil constitutionnel a-t-il tiré toutes les conséquences partout ? En disant avoir décidé d’arrêter ses investigations, alors qu’il pouvait les poursuivre encore, en refusant de prendre en compte les derniers éléments de preuve apportés, le Conseil constitutionnel est-il sûr de n’avoir pas fait le jeu des administrations et interlocuteurs soucieux de le priver de tous les éléments d’informations ? Au sujet des observations relatives à l’usage de la force, des hommes armés, des moyens de l’Etat, de l’image du chef de l’Etat, le Conseil constitutionnel a décidé de s’en tenir à de simples recommandations, au niveau de certaines circonscriptions. Enfin, le Conseil constitutionnel a convoqué la presse, sans lui donner le détail des élus dont l’élection a été invalidée, renvoyant les journalistes à la Cei et aux spéculations. Sans oublier que notre confrère ‘’Le Patriote’’ avait déjà publié le scoop. Le rôle du Conseil constitutionnel n’est-il pas de mettre fin aux spéculations pour donner l’information officielle, pour éviter les soupçons et les rumeurs ? A présent, que va-t-il se passer ? Assurément la Cei ne va pas jouer le fétichisme des dates. Elle ne va rien précipiter si l’on s’en tient à l’agenda indiqué et aux prescriptions de la loi. Selon des observateurs, la Cei ne publiera pas les résultats définitifs, pour 233 députés, avant les 12 élections partielles. Cela veut dire que pour la mise en place de la nouvelle législature, il faudra attendre jusqu’à Avril 2012 ou après les partielles. Définitivement consacrés par le Conseil constitutionnel, beaucoup d’élus parmi les 233, attendent pourtant d’entrer en possession des avantages et d’organiser le choix à faire, au cas où les suppléants devront prendre leur place. Des élus ont déjà commandé des véhicules. Pourront-ils bénéficier de l’exonération, avant l’installation de la nouvelle législature ? Quand obtiendront-ils leurs salaires et indemnités, les frais d’installation et les passeports diplomatiques ? Doivent-ils renouveler leurs assurances-maladies et actuelles arrivées à échéance, alors qu’ils auront une couverture pour les 5 années à venir ? Avec 233 élus sur 255, le quorum étant largement atteint, devra-t-on attendre encore longtemps ? Que va-t-il se passer maintenant ? La balle semble être dans le camp de la CEI et aussi du gouvernement, quoi qu’on dise !

Charles Kouassi

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