Dossier – GHANA Des patriotes continuent de se dresser contre Ouattara mais souhaitent rentrer – Comment Watchard, Zéguen, Pikass et les autres vivent leur exil

Conférence de presse à Accra / Des patriotes continuent de se dresser contre Ouattara Mais ils souhaitent rentrer au pays et posent leurs exigences

Appel à un boycott citoyen des législatives de demain, manifestations éclatées devant les ambassades françaises dans certaines capitales à déterminer, des séances de prière en soutien à Laurent Gbagbo détenu à La Haye et déplacement massif à la Haye pour ce samedi 10 décembre en vue de protester contre la détention de Laurent Gbagbo. Ce sont les décisions qui découlent de la deuxième conférence de presse de la Coalition des patriotes ivoiriens en exil (Copie) organisée le mercredi 7 décembre 2011 au Freedom center d’Accra. Cette conférence a été animée par Damana Adia Pickass, président de cette nouvelle structure des ivoiriens en exil depuis la crise postélectorale. Pour Damana Pickas et ses camarades, les élections législatives de demain ne sont en réalité qu’une parodie d’élection et les Ivoiriens dans leur ensemble, a-t-il dit, doivent considérer ce dimanche 11 décembre comme une journée de deuil national pour la démocratie.  »Ces élections sont une honte pour la démocratie, une honte pour la Côte d’Ivoire et une honte pour la France. Ce n’est pas notre Assemblée nationale qui est en train d’être élue », a protesté le président de la Copie. Selon Damana Pickass, ces législatives n’ont pour objectif inavoué que de donner un parfum démocratique au régime d’Alassane Ouattara et donner l’impression qu’il est majoritaire sur le terrain en Côte d’Ivoire. D’où, estime-t-il, les manigances pour exclure le FPI du processus et le découpage électoral taillé sur mesure pour favoriser le Rdr. Un parti, dit-il, qui part en compétition en ayant déjà 74 sièges dans son escarcelle au regard du découpage.

Requiem pour la réconciliation nationale
Au cours de cette conférence de presse, le principal animateur a donné son point de vue sur la réconciliation nationale.  »Dans cette atmosphère (des législatives), ils ont déporté Laurent Gbagbo à La Haye. C’est très grave ! Dans notre tête en envoyant Laurent Gbagbo à La Haye, c’est une façon de le tuer par balle car on ne revient pas de La Haye vivant », a affirmé le conférencier. Qui pense qu’en agissant ainsi, Alassane Ouattara démontre non seulement que la Côte d’Ivoire n’est pas un Etat souverain mais qu’en plus le Chef de l’Etat  »casse un ressort entre une bonne partie du peuple et lui ».  »Je me demande s’il peut ressouder ce ressort », se désole Damana Pickass, arguant que la Côte d’Ivoire avait les moyens de régler ses propres contradictions. Dans ses conditions, la coalition, aux dires de son président est engagée aujourd’hui dans une bataille pour le retour de Gbagbo en Côte d’Ivoire. Un retour dont il se dit convaincu. Pour l’instant, Damana Pickass dit ne pas croire en la Cour pénale internationale, mais réclame un semblant d’équilibre au niveau des poursuites. Il a révélé aussi qu’une fois l’Assemblée nationale installée, Alassane Ouattara va  »livrer sans état d’âme » les chefs de l’ex-rébellion dont le premier ministre Soro, Chérif Ousmane, Wattao et autres. Et ce, dit-il, en s’appuyant sur les accords de défense que la nouvelle Assemblée nationale va ratifier sans difficultés.

Les relations avec les autorités ghanéennes
Avant de rentrer dans le vif du sujet, Damana Pickass a fait l’état des relations entre les exilés et les autorités ghanéennes.  »Nous les panafricanistes, nous sommes chez nous au Ghana. Le Ghana ne nous a jamais intimidés, il ne nous a jamais menacés d’extradition. Les autorités ghanéennes ont été claires et c’est ce qui est juste. Le Ghana ne peut servir de base de déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Et nous ne menons aucune activité subversive. Mais nous allons retrouver notre pays plus que prévu et cela ne va pas se faire dans le sang », a précisé Pickass. Plusieurs exilés ont pris part à cette conférence de presse. Fofana Youssouf (Voix du Nord), Touré Moussa alias Zeguen, Coulibaly Abdallah qui a servi d’interprète, l’artiste Paul Madys, tout comme le secrétaire d’Etat du gouvernement Aké M’Gbo, Dosso Charles Rodel et Watchard Kédjébo. C’est Idriss Ouattara qui a introduit les débats et décrit l’état d’esprit de ses camarades.  »Huit mois d’exil, huit mois de dignité, huit mois de non renonciation au combat politique », a-t-il relaté.
S.Débailly, envoyé spécial à Accra

Encadré
Comment Watchard, Zéguen et les autres vivent leur exil

Ils vont visiblement bien. Kouassi Ferdinand ou général Watchard Kédjébo, anciennement président du Mouvement de libération du grand centre, était directeur de campagne de Laurent Gbagbo à Bouaké-Koko. Touré Moussa alias Zéguen lui, est le fondateur du groupe d’autodéfense appelé ‘’groupement des patriotes pour la paix’’ (Gpp). Avant de devenir plus tard président de la Coalition nationale des résistants de Côte d’Ivoire (Conareci). A ce titre, il a été l’un des derniers irréductibles pro-Gbagbo à lancer un appel à la télévision au moment même où les Frci contrôlaient plus de la moitié d’Abidjan. Tous sont partagés aujourd’hui entre le Ghana, le Togo, le Bénin, le Liberia, la Guinée… Tous partagent l’amour de leur pays et la même nostalgie. Mais quand vous leur demandez la date du retour, la réponse amène à croire que ce n’est pas pour maintenant. Nous avons échangé avec certains au cours d’un dîner à Teshie, un quartier d’Accra. Watchard a toujours son punch et reste bouillant. ‘’Nous n’avons aucune des intentions qu’on nous prête du côté d’Abidjan. Nous, nous avons été démilitarisés longtemps avant les élections. Ce n’est pas sérieux de parler de coup d’Etat. Nous n’avons pas cette éducation’’, martèle le ‘’général’’. Pour lui, tout dépend d’Alassane Ouattara. ‘’Moi j’étais prêt à dire à mes gars que cinq ans, c’est rien. Faisons la politique pour revenir. Mais on nous pourchasse’’, se désole-t-il. L’artiste Gédéon qui nous a retrouvés cette nuit du 6 décembre au cours du dîner est l’inventeur du slogan «C’est dur mais ça va pas durer». Un slogan d’usage courant dans le milieu des exilés ivoiriens. Zeguen, lui ne lâche point son ordinateur portable. C’est le super branché du groupe. Très présent sur les réseaux sociaux (Facebook) pour capter tous les derniers sons et répondre aux mails et aux ‘’attaques’’. Quand il raconte son dernier message télévisé avant la chute de son mentor, c’est avec un air de mélancolie teinté d’un goût d’inachevé. Zeguen dit avoir enjambé ce jour-là des cadavres de corps habillés. D. Marie quant à elle se souvient du calvaire qu’elle a vécu avant de sortir d’Abidjan. Elle s’est présentée comme membre de la direction de campagne de Laurent Gbagbo à Akoupé. A Abidjan elle occupait un poste important au ministère de Benjamin Yapo et habitait la Riviera Palmeraie. Ils ont encore peur. Même quand on leur dit que la police et la gendarmerie ont repris du service, ils redoutent la prééminence des Frci qui sont en armes au détriment des forces de sécurité.
SD

Réactions de quelques exilés

Ils ont donné leurs points de vue sur la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire et relevé les griefs à l’encontre du nouveau pouvoir. Des griefs, disent-ils, qui empêchent leur retour au pays. Même s’ils se disent nostalgiques de la Côte d’Ivoire, ces ivoiriens interrogés disent ne pas se plaindre de leur nouvelle situation. Leur souhait d’une Côte d’Ivoire plus démocratique et réconciliée reste le point d’ancrage de leurs doléances.

Fofana Youssouf, président de la Voix du Nord et secrétaire à la communication de la Copie : «L’appel du Chef de l’Etat n’est pas sincère»

‘’Nous sommes en bonne santé ici, nous réfléchissons pour la Côte d’Ivoire et nous souhaitons qu’il y ait les conditions démocratiques dans notre pays afin que nous retournions pour faire la politique. Nous voulons rentrer mais nous estimons que l’appel du Chef de l’Etat n’est pas sincère. On n’appelle pas la souris pour ensuite casser sa tête. On a appris l’arrestation de Mao Glofiéi qui a pourtant fait des interviewes allant dans le sens de la réconciliation. Le Président Gbagbo était à Korhogo et il était plus facile d’aller le chercher pour un dialogue républicain. Mais c’est au moment où nous parlons de cette réconciliation dans laquelle Gbagbo est un élément clé, qu’on le déporte à La Haye pour y être jugé. Ce qui l’écarte définitivement de la réconciliation. Quand on veut faire la réconciliation et qu’on rejette 46 % des ivoiriens, selon eux-mêmes leurs résultats de la présidentielle, je pense que ce n’est pas sincère de la part du Chef de l’Etat. Il faut qu’il soit sincère pour que la réconciliation soit possible. Sinon s’il faut dix ans ou quinze ans, nous restons ici à Accra. Pour non seulement sauver nos vies mais aussi pour mettre la pression. Quand nous saurons que les conditions politiques et sécuritaires sont réunies, Alassane Ouattara n’aura pas besoin de nous démarcher. Nous rentrerons dans notre pays pour participer à la vie politique’’.

Pasteur Gammy, président du Miloci (mouvement d’autodéfense) «Je m’inquiète pour ceux qui parlent de coup d’état»

‘’Vous voyez que j’ai pris du poids ! Je voudrais m’inquiéter en ce qui me concerne, de ceux qui parlent de coup d’état. Nous sommes ici à l’aise et on attend que Dieu intervienne. Quant au transfèrement de Laurent Gbagbo, nous disons toujours que c’est le plan de Dieu. Vous avez vu qu’à la CPI, Gbagbo est devenu plus célèbre. Donc que les ivoiriens soient tranquilles. Car le même Gbagbo que nous avons vu partir à La Haye reviendra parmi nous bientôt. En ce qui concerne la situation en Côte d’Ivoire, nous pensons que le nouveau pouvoir porte en lui-même les germes de sa propre destruction. Et nous sommes convaincus que cela ne va pas durer longtemps’’.

Idriss Ouattara, président des agoras et parlements, SG de la Copie: «Il faut que Alassane Ouattara ouvre ses bras aux autres fils de la Côte d’Ivoire»

‘’Il y a un recul de la démocratie en Côte d’ Ivoire. Les lois ne sont pas respectées. On a nommé un président du conseil constitutionnel sans tenir compte des règles en la matière. On passe outre l’Assemblée nationale pour gouverner. On fait une extradition du président Laurent Gbagbo sans respecter les règles élémentaires du droit. En tant que juriste, j’ai mal pour mon pays et j’ai mal pour l’Afrique. Qu’est ce qui urgeait tant pour qu’on ne respecte pas les règles en matière d’extradition pour Laurent Gbagbo ? En tant qu’intellectuel, je voudrais dénoncer cela. Laurent Gbagbo avait accepté la rébellion, Alassane Ouattara était revenu de son exil pour participer à la vie politique en Côte d’Ivoire, Henri Konan Bédié aussi. Les journalistes, sous le mandat de Laurent Gbagbo n’étaient pas emprisonnés. Il y avait des grèves dans le pays et chacun exprimait son opinion et Laurent Gbagbo acceptait tout cela dans un contexte de crise. Aujourd’hui, Alassane Ouattara gouverne librement mais il n’accepte pas la contradiction. Dans ce contexte, on ne peut pas demander aux exilés que nous sommes de rentrer dans notre pays. Nous voulons retourner dans notre pays mais il faut la décrispation du climat sociopolitique. Il faut que Alassane Ouattara accepte d’ouvrir ses bras aux autres fils de la Côte d’Ivoire que nous sommes pour que nous bâtissions la Côte d’Ivoire ensemble. Nous comprenons finalement que Alassane Ouattara ne veut pas ouvrir le champ politique. Il veut s’assurer une longévité sans contradiction, sans opposition significative. C’est le sens des législatives à sens unique d’où on exclut systématiquement les partisans de Laurent Gbagbo. Nous ne voulons pas de cette Côte d’Ivoire. C’est pourquoi nous avons fondé la coalition des patriotes ivoiriens en exil pour donner de la voix. On ne peut pas nous nier le droit d’exister même en exil ! Nous nous organisons donc pour décrier et mobiliser tous nos camarades pour la lutte démocratique afin que la Côte d’Ivoire redevienne ce qu’elle a été’’.

Nadaud Clément, président de Sorbonne Solidarité (espace de libre expression) et représentant Copie au Togo: «Alassane Ouattara doit surmonter tous les clivages»

‘’Nous constatons simplement que la situation sociopolitique en Côte d’Ivoire est devenue délétère. Nous constatons que Alassane Ouattara n’est plus guidé par l’houphouëtisme mais par lui-même. Nous nous retrouvons en exil parce qu’il y a une culture de la haine qui fait que nous ne pouvons pas rentrer dans notre pays. Alassane Ouattara, de notre avis, doit surmonter tous les clivages et se départir de la France. Il faut qu’il réalise qu’il est le président de la Côte d’Ivoire et non pas d’une partie et qu’il assume la destinée du peuple ivoirien. C’est à lui de tendre la main aux ivoiriens. C’est à lui de favoriser la réconciliation. Si Alassane Ouattara veut de la réconciliation, il devrait savoir que ces législatives en cours sont caduques et l’Assemblée nationale qui en sera issue n’est pas représentative de la Côte d’Ivoire. Nous dénonçons le découpage électoral tel qu’il a été mené. Nous estimons que ce découpage devait être consensuel comme en 2000. La justice est aujourd’hui aux ordres et les chefs d’accusation du procureur sont à la tête du client. Et nous ne savons pas de quoi nous serons accusés demain quand nous allons rentrer au pays. Nous ne voulons pas rentrer chez nous au pays parce qu’il n’y a pas de justice’’.

L’Intelligent d’Abidjan

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