Après son retrait de la Cedeao l’Alliance des Etats du Sahel a-t-il la capacité d’abandonner le fcfa ?

Après l’annonce fracassante du retrait des pays sahéliens (Mali, Burkina, Niger) de la CEDEAO le 28 Janvier dernier, il est de plus en plus question de leur retrait de la zone CFA. Beaucoup de spéculations sont faites à ce sujet. Avant d’aller plus loin, il faut signaler un évènement qui est relativement passé sous silence, la visite discrète du ministre malien des affaires étrangères Abdoulaye Diop au Togo le 29 Janvier dernier, soit le lendemain de la décision de retrait de la CEDEAO. Il y est allé réaffirmer le maintien de ces trois États dans l’UEMOA.

La visite n’a pas été suffisamment traitée par les médias. Pourtant c’est bien la preuve que ces États n’envisagent nullement un retrait de la zone CFA. Le 13 Décembre 2023, le gouverneur de la BCEAO, l’Ivoirien Jean Claude Brou s’était rendu au Mali pour obtenir des “précisions” sur les intentions de Bamako concernant le CFA, car des bruits couraient déjà dans la presse. La BCEAO compte ouvrir une agence au Mali en cette année 2024. Il est reparti du pays “rassuré sur l’ancrage fort du Mali dans la zone” selon les termes de sa déclaration à sa sortie d’audience avec le Colonel Assimi Goita.

Aujourd’hui il y a un emballement médiatique sur une éventuelle sortie de la zone CFA des pays de “l’AES”. On peut remarquer un silence relatif de Bamako, qui contraste avec les déclarations fracassantes du jeune dirigeant burkinabè Ibrahim Traoré, et de leur nouveau compère, le général Ibrahim Tiani du Niger, tous deux affirmant qu’au “moment opportun ils prendront leurs responsabilités sur le CFA”. Les autorités maliennes observent plus de retenue sur la question, preuve d’une dissension entre ces pays sur le sujet.

On le sait, l’initiative de retrait des pays du Sahel de la CEDEAO est fondamentalement une démarche du Mali. Conscientes qu’elles ne respecteraient pas le chronogramme négocié avec la CEDEAO qui fixait le retour d’un pouvoir civil dans un délai de deux années, soit au plus tard le 26 Mars 2024, et anticipant de nouvelles sanctions, les autorités de Bamako ont trouvé cette parade pour masquer le fait qu’encore une fois, elles ne respecteraient pas un accord conclu avec la CEDEAO sur la durée de la transition.

Le retrait de la CEDEAO est une décision malienne “imposée” au Burkina et au Niger. En novembre dernier, le Niger s’était dit prêt à reprendre le dialogue avec la CEDEAO, et les conditions de ce dialogue avaient été finalisées par l’entremise du Togo. Il était demandé à Niamey la publication d’un chronogramme de transition sur un délai de deux années maximum, et la libération du Président Bazoum. Son exil dans un pays “hors CEDEAO” était aussi en discussion. Le Burkina ne faisait pas l’objet de sanctions particulières hormis sa suspension des instances de la CEDEAO. A priori ces deux pays n’avaient aucune raison objective de quitter l’organisation.

C’est bien le Mali qui a convaincu ces deux autres États de se retirer de l’organisation, en même temps qu’il a pris l’initiative d’affirmer que les trois restaient bien membres de l’UEMOA.
C’est pourtant l’UEMOA qui leur a aussi imposé la sanction la plus sévère, à savoir la cessation des concours de la BCEAO. La logique aurait voulu qu’ils se retirent de cette organisation, ainsi que de l’Union Africaine puisqu’ils sont aussi sous sanctions de l’institution continentale. La junte du Mali veut être libre de mener la ’’transition’’ comme elle l’entend, ne plus être soumise à des délais pour le retour des civils au pouvoir, ne plus être soumise à des rencontres périodiques de suivi de la part de la CEDEAO. Le nœud de la question est là. Sur cet aspect, les trois juntes s’accordent.

En fait, “l’AES” est un moyen d’exercer un chantage sur la CEDEAO, en ce sens qu’en négociant leur retour, ces États vont imposer leurs conditions, notamment des délais encore plus longs, assortis d’aucune sanction s’ils ne sont pas respectés. La transition au Mali a officiellement pris fin le 26 Mars dernier. Au lendemain de cette date, les militaires ont interdit l’activité des partis politiques, et parlent d’un “nouveau dialogue national inclusif”, alors qu’ils sont dans la place depuis quasiment quatre ans. C’est bien la preuve qu’ils n’ont jamais eu l’intention de rétrocéder le pouvoir aux civils.

Aujourd’hui le camp de ceux qui plaident pour l’abandon du CFA semble avoir un nouveau souffle, depuis que le Sénégal est devenu leur tête de file. Pourtant une chose semble acquise, ces pays n’en feront rien. En dépit de leurs déclarations, ils savent que rien ne pourra remplacer cette stabilité monétaire que leur offre le CFA, avec des conditions d’emprunt sur un marché sous régional qu’on ne retrouve nulle part ailleurs en Afrique, hormis celui de la CEMAC. Ces pays vont rester dans la rhétorique, dans la communication. Ils n’oseront pas franchir le pas.

En ce qui concerne cette fameuse ’’AES’’ dont on parle tant depuis Septembre 2023, elle reste une coquille vide à ce jour. Aucune ébauche d’organes, aucun texte fondateur, aucun projet concret de coopération militaire entre ces trois pays n’ont été esquissés à ce jour. On a entendu parler de “fédération” de ces trois pays, mais encore une fois tout est au stade de la communication, pas plus. Pour le Mali, l’objectif était clair : exclure la CEDEAO dans le déroulé de la transition. Une fois cet objectif atteint, pas question d’aller plus en avant.

Dans ce brouhaha, dans cette cohue généralisée, dans cette confusion, il appartient à la Côte d’Ivoire de parler d’une voix forte et audible et réaffirmer son ancrage dans le CFA. Le CFA a subi des réformes en 2022, la Côte d’Ivoire doit réaffirmer haut et fort que le débat est désormais clos. Il n’y aura plus d’autres réformes comme semble l’entendre le nouveau pouvoir sénégalais. La Côte d’Ivoire en tant qu’économie leader de la sous-région doit mettre fin à ce chantage. Elle doit trancher. Que ceux qui veulent abandonner le CFA s’en aillent, car il ne sera plus réformé. Une telle position claire et sans ambiguïté amènera de la sérénité dans les esprits.

Douglas Mountain

oceanpremier4@gmail.com

Le Cercle des Réflexions Libérales

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