Deux mois après avoir vu à la télévision ivoirienne, la disponibilité effective de tonnes de médicaments et de matériels médicaux à la PSP, j’ai décidé avec des amis de la presse de mener encore une enquête sur la vie dans nos hôpitaux publics en vue de faire mon cinquième article sur la gratuité des soins. C’est au cours de cette démarche que nous avons été témoins de quatre faits, qui nous ont personnellement choqués.
Le samedi 24/09/11.
Suite à une sortie de route d’un “gbaka“ à Abobo, deux jeunes enfants tragiquement blessés ont été transportés au CHU de Cocody par les sapeurs pompiers. A l’examen, ces deux enfants étaient dans un tableau de choc hémorragique. En attendant d’avoir du sang, une ordonnance de « geloplasma » et des nécessaires de perfusion a été remise aux parents. Ces derniers font un tour à la pharmacie du CHU où ils ne trouvent que du sparadrap et une paire de gants. Ils sont alors orientés vers les officines privées de garde. Malheureusement après plus d’une heure à la recherche d’argent et d’officine privée de garde disposant de ces produits, ils retournent au CHU et constatent le décès de leurs deux enfants.
Imaginez toute la colère et les railleries de ces parents ce jour là.
Le mercredi 28/09/11
Une patiente qui a fait le tour de plusieurs structures sanitaires périphériques a été évacuée finalement vers le CHU de Yopougon. A son arrivée dans cette structure aux environs de 17H, elle a été surprise de constater que tout le service de gynécologie était fermé. Des agents en place, lui conseillent d’aller voir dans une clinique privée très proche comme d’habitude. Pendant que les parents de cette dernière s’attèlent à réunir les fonds nécessaires pour la clinique, elle se couche sur le gazon de la cour du CHU. Et comme DIEU est miséricorde, elle accouche sur place en plein air avec l’aide de quelque bonnes volontés. Une pareille scène nous a été également signalée par des agents au CHU de Cocody à l’entrée des urgences ainsi que dans d’autres structures publiques au cours de cette enquête. Il ya par contre d’autres qui perdent leur vie après avoir faire des tours dans la ville à la quête d’une structure d’accueil.
Ce même jour aux environs de 19 heures aux urgences chirurgicales du CHU de Cocody, nous voyons des dames très affolées entrain de passer des coups de fils à des parents pour solliciter leur aide en vue de faire opérer leur fille de 17 ans souffrant d’une crise d’appendicite. Les médecins de garde les ont conseillé quelques minutes plutôt d’aller voir dans une autre structure car le bloc opératoire du CHU de Cocody est fermé. Ces personnes qui ont quitté le CHU de Yopougon pour ces mêmes raisons décident finalement d’aller en clinique privée. Elles remercient le personnel de garde pour l’accueil et accusent l’état de ne pas jouer son rôle de garant de la santé des populations.
Le jeudi 29/09/11
Une personne de la soixantaine, était assise seule entrain de monologuer devant les urgences du CHU de Treichville.
Avec du tact, nous arrivons à comprendre que ce monsieur venait de dépenser tous son argent du mois pour sauver son enfant souffrant d’un traumatisme abdominal. A la question de savoir, ce qu’il pense de la gratuité des soins, ce parent nous dit que s’il comptait sur la gratuité des soins, son enfant allait mourir. Qu’il préfère dépenser son argent pour soigner son fils que d’organiser ses funérailles.
La plus part des parents de malades rencontrés ce jour, reconnaissent la gratuité des frais d’hospitalisations, des frais de consultations malgré souvent de très longues files d’attente de rendez -de vous. Mais en ce qui concerne les médicaments, c’est du “blaguer tuer“.
Devant ces faits réels et après avoir entendu aussi toutes sortes de récriminations des parents de malades contre le nouveau pouvoir, nous décidons d’aller dans les pharmacies publiques des centres hospitaliers en tant que parents de malade.
Tous ceux que nous avons eu la chance de croiser devant les pharmacies des CHU de Yopougon, Cocody et Treichville étaient tous déçus et révoltés contre la gratuité des médicaments. Leur seul espoir reste les pharmacies privées. Notre ordonnance comprenant des médicaments de prise en charge d’accès palustre, n’a pas pu être servie dans ces pharmacies des CHU de Yopougon et de Treichville car les étages étaient vides comme si l’on se trouvait dans une boutique en faillite.
Le personnel reconnait passer tout son temps à servir soit des gants, du coton et des seringues aux malades .Tous ces produits, qui à notre avis ne représentent que moins de 3% des dépenses effectuées par les parents pour acquérir tous les médicaments.
Par contre à la pharmacie du CHU de Cocody, nous avons pu avoir l’association
(Artésunate- Amodiaquine) mais périmé à la date du 30/09/2011. Aussi nous avons vu des flacons d’antibiotique (Ceftriaxone 250mg) qui entreront en péremption en fin
Octobre 2011.
A la question de savoir pourquoi des médicaments achetés récemment par la PSP peuvent ils entrer en péremption dans un si bref délai La réponse d’un personnel de garde ne s’est pas faite attendre , c’est çà la “solution ho“.
Dans cette pharmacie, nous avons au moins vu des perfuseurs, des gants et des sparadraps.
Pour les autres (seringues, alcool, Bétadine, antalgiques et etc.), la route des pharmacies privées vous est indiquée.
Que devient alors la politique de la chaine des médicaments ? Les approvisionnements des hôpitaux se font au compte-goutte et par hasard, c’est vraiment triste comme décor.
C’est le jour et la nuit entre ce que nous voyons à la télévision et la réalité dans nos hôpitaux.
A la vérité, nos pharmacies publiques sont vides et nos hôpitaux publics se meurent dans cette
période de gratuité des soins au profit des pharmacies et cliniques médicales privées.
Mais pourquoi cache t- on cette réalité aux ivoiriens, en cette période où le chef d’état ne cesse de faire assez d’efforts financiers dans le domaine de la santé ?
Nous savons que le président OUATTARA et la fondation « Children of Africa » de son épouse sont très sollicités pour des demandes d’aide de prise en charge médicale.
Faut-il apporter de l’aide à certains ivoiriens malades et laisser d’autres ivoiriens mourir en cette période de paupérisation massive? Au risque qu’on les traite de favoriser l’injustice et l’inégalité dans le pays depuis le sommet de l’état?
C’est dans le souci de prôner la justice, l’égalité et l’équité en santé pour tous, que le président de la république opte pour la gratuité des soins dans les hôpitaux publics afin de permettre à chaque ivoirien de se soigner sans gêner autrui comme cela se fait en France où chaque citoyen se soigne en toute liberté grâce à sa carte de sécurité sociale ou à son aide médicale d’état sans avoir besoin d’ adresser une demande d’aide au président de la république Française. L’état Français n’intervient seulement que pour aider la sécurité sociale à éponger ses dettes en cas de difficultés financières.
Malheureusement, dans ces temps, au vu du nombre de demande d’aide de prise en charge adressé au couple présidentiel, il est juste de dire que la gratuité des soins telle qu’appliquée rencontre effectivement des problèmes sur le terrain.
L’état dépense non seulement trop pour parfaire le système de soins mais aussi, il dépense trop pour satisfaire les demandes d’aide reçues. Où est alors le changement tant souhaité en santé?
A notre avis, la gratuité des soins qui devait mettre fin à cette pratique de prise en charge médicale, est en réalité confrontée au diktat des affairistes dont certains parmi eux ont leurs mains souillées par le sang de nos braves lmartyrs de la crise post électorale.
Dans cette situation, quel résultat souhaiterons-nous avoir ? A part ces constats suivants :
1. Les populations dépensent trop d’argent et trop d’énergie pour leur santé.
2. Il ya trop de décès inutiles que l’on pouvait éventuellement éviter.
3. Les hôpitaux se meurent car ils sont devenus des gros dispensaires sales soudainement.
4. Les cliniques privées font de très bonnes affaires financièrement.
Pourtant, tous ces problèmes avaient été déjà prédis dans nos articles antérieurs sur la gratuité des soins et c’est dommage qu’on n’anticipe pas sur les faits.
Pour la côte d’Ivoire, si nous tenons à la gratuité des soins qui est d’ailleurs une politique salutaire, destinée à évoluer vers l’assurance maladie dans l’espoir d’avoir de bons résultats en termes d’indicateurs de santé, il faudrait alors penser à :
1. Créer une commission autonome de la gratuité des soins puis de l’assurance maladie.
2. Faire une gratuité tenant compte du modèle “Pyramide des soins et niveau de la demande des soins“.
3. Que la gratuité des médicaments ne doit concerner que certains médicaments dont la disponibilité est certaine.
En dehors de ce schéma, il sera difficile, voir surréaliste que les moyens colossaux dégagés pour la gratuité des soins actuellement puissent donner des résultats escomptés et nous en voulons pour preuves ces gâchis de trop constatés. A quand alors, la fin de ce cliché honteux ?
Dr DIOMANDE Mamadou
Médecin- Economiste de la santé et du développement.
dr_diomande@yahoo.fr
bek_3@hotmail.com
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