Pr Barthélémy Kotchy: « Je crains que Ouattara ne tombe dans le problème du tribalisme, le FPI a décu »

Invité spécial d’Onuci-Fm, hier, Pr Barthélémy Kotchy, membre-fondateur du Front populaire ivoirien (Fpi) et figure de proue de l’Académie des sciences, des arts, des cultures et de la diaspora (Ascad), attire l’attention du président Alassane Ouattara sur les fautes qui ont, selon lui, perdu son prédécesseur.

Vous avez flirté avec l’arène politique et depuis quelques années, vous êtes en retraite ; êtes-vous fâché avec la politique?

Non, je ne suis pas fâché avec la politique, mais elle me fait peur. Quand notre jeune frère Gbagbo a pris le pouvoir, nous avons dit : « voilà une chose de très importante, donc si nous Memel (Mémel Foté) et moi restions en retrait, ce n’est pas bon ». Nous avons décidé d’aller aider ces jeunes gens, qui pouvaient nous remplacer. Nous sommes allés, mais nous avons été vraiment déçus. Parce qu’étant donné que nous avons milité en France, dans la Féanf et que l’association des étudiants ivoiriens aussi avait suivi la voie de la Féanf.

Malheureusement pour nous, ceux que nous prenions pour de vrais révolutionnaires n’en sont pas. Donc nous sommes effectivement déçus. Comme mes amis ont été pris par la mort, on faisait ce qu’on pouvait pour les aider. Mais, de plus en plus, ils se sont dit libres et qu’ils étaient capables de diriger ce pays. Alors, nous les avons regardés faire. En définitive, nous nous sommes rendus compte que la Côte d’Ivoire était en train de sombrer. Or, la Côte d’Ivoire ne doit pas sombrer. Si elle sombre, c’est la sous-région qui sombre car c’est la Côte d’Ivoire qui tient son économie. Et voilà, le pire est arrivé : le président Gbagbo a été arrêté et les jeunes gens ont compté sur Mamadou Koulibaly. Il est bien gentil, mais ce qui lui manquait, c’est sa formation politique. Le diplôme, c’est vrai. Mais à beau avoir le diplôme, sans une formation politique solide, on ne peut aller loin. Aujourd’hui, il se retire de la direction du Fpi.

Le départ de Mamadou Koulibaly était-il prévisible ?

Quand on regarde un peu les choses venir, son départ était prévisible. Il a eu des démêlés avec Tagro (feu Désiré Tagro, ex-ministre de l’Intérieur) et les gens n’ont pas voulu réfléchir raisonnablement. C’était l’affaire de tribu. J’ai suivi cette affaire de près, Mamadou Koulibaly, bien qu’il n’ait une formation politique très solide, a un bon sens très important. Il dit ce que les gens ne peuvent pas dire. Un jeune homme comme lui, on fait tout pour le garder. Et, j’apprends qu’il a démissionné du Fpi.

Faut-il condamner Mamadou Koulibaly ?

Je ne peux pas le condamner. Mais il fallait le comprendre depuis l’histoire qu’il a eue avec Tagro, dans laquelle ils ont agi de manière tribale. Et ce qui doit arriver est arrivé. Moi, je ne le condamne pas.

Vous dites que vous avez soutenu des gens que vous supposiez être des révolutionnaires et chemin faisant, vous vous êtes rendu compte qu’ils ne sont pas ; c’est-à-dire les Gbagbo.

Pour vous Gbagbo a-t-il trahi un idéal ?

Nous avons beaucoup compté sur eux. Surtout sur Gbagbo Pourquoi ? Il est un battant, il n’a pas peur du danger. L’exemple qui m’a frappé, c’est lorsqu’il était en Italie et quand il a appris qu’il y avait le feu en Côte d’Ivoire, il est venu. Et, il a fait ce qu’il pouvait faire.

Maintenant, le reste auquel l’on ne fait pas attention, c’est que quand tu gardes le pouvoir, tu fais attention à ce que tu as dit. Tu fais attention de sorte à régler les problèmes du pays.

Qu’est-ce que Gbagbo devait faire qu’il n’a pas fait de façon précise ?

La première des choses, Gbagbo devait être un homme vraiment de gauche. Parce qu’ici, les jeunes gens se disent de gauche, mais ce sont des histoires. Gbagbo est courageux certes, mais ce qu’il devrait faire, c’est d’abord avoir un programme de gouvernement. On ne dirige pas un pays comme la Côte d’Ivoire en s’amusant. Et, malheureusement, je n’ai pas vu le programme de gouvernement de Gbagbo lorsqu’il a accédé au pouvoir. Il a laissé faire les choses, c’était le désordre. Or, pour arriver à diriger un pays comme la Côte d’Ivoire, il faut l’ordre. C’est ce qui a tué Gbagbo.(…)

A vous entendre, on a l’impression que pour vous, la crise qu’a connue la Côte d’Ivoire pouvait être évitée.

Oui, ce que nous savons pouvait être évité. D’abord, pour gouverner un pays, il faut être rigoureux. C’est pour cela que je regarde un peu Alassane Ouattara. Il faut être rigoureux et avoir un objectif. Et, suivre cet objectif. On ne dirige pas un pays en rigolant et sans programme. Si on a un programme, il faut le suivre. Ce qui a manqué à mon jeune frère Gbagbo, que nous avons admiré et que j’admire encore, c’est la rigueur. Et prendre en main sérieusement la Côte d’Ivoire ; c’est-à-dire qu’il ne faut pas que ceux qu’il a nommés ministres et ceux qui l’entourent aient peur de lui dire la vérité (…)

Aujourd’hui, Alassane Ouattara est au perchoir en tant que président de la République de Côte d’Ivoire, quel jugement portez-vous sur ses trois 1er mois ?

Je ne peux pas dire grand-chose, parce qu’il vient de commencer. J’étais parti en mission et quand j’en suis revenu, j’ai vu que la ville était un peu propre. Cela est important. Ensuite, j’ai vu qu’il est en train d’amener les Ivoiriens à être à l’heure au travail. Maintenant, je crains qu’il ne tombe dans le gros problème du tribalisme. Parce que mes frères du Nord croient que c’est leur tour. J’ai entendu cette expression. Nous ne sommes pas là pour un tour. Nous sommes-là pour la Côte d’Ivoire. Il faut éviter la tribalisation ; n’importe quel chef d’Etat qui tombe dans la tribalisation, c’est foutu pour lui. Il faut être rigoureux là-dessus et mettre chacun à sa place suivant ses possibilités intellectuelles et morales. Alors, je pense qu’Alassane peut réussir parce que, lui, c’est un gros travailleur. Il faudrait qu’il fasse en sorte que les Ivoiriens ne soupçonnent pas en lui un monsieur qui a le regard tourné vers le Nord, seul.

Pour vous, il a des atouts pour sortir la Côte d’Ivoire de l’état de délabrement dans lequel elle se trouve ?

Dès qu’il avait été nommé pour être Premier ministre, des gens qui étaient proches de moi ont travaillé avec lui. La première des qualités qu’ils ont relevées chez lui, c’est sa rigueur.

Parce que, m’ont-ils dit, avec lui on ne s’amuse pas : l’heure, c’est l’heure. Le travail qu’il vous a donné, il faut en rendre compte presque semaine par semaine. Donc, ce monsieur, s’il tient à faire comme il a commencé, il pourra relever la Côte d’Ivoire.

Où réside la clé de la réconciliation nationale ?

La voie que le président de la République a choisie a un petit défaut. Il faut d’abord que les Ivoiriens se disent la vérité. On ne peut pas venir dire qu’on se réconcilie. Je crois que cette voie est fausse. Il faut que les Ivoiriens se disent la vérité sur les fautes qu’ils ont commises, eux-mêmes, et puis après on va à la réconciliation (…)

Que pensez-vous alors de la Commission dialogue, vérité, réconciliation qui a été mise en place par le président de la République ?

Cette structure doit profiter de l’occasion pour dire qu’il faut d’abord qu’on se dise la vérité. Il ne faut pas avoir peur de le faire. A partir de ce moment, on fera la réconciliation. Ce qui caractérise la Côte d’Ivoire, c’est qu’il y a la plaie, on la laisse sans la soigner et on continue.

C’est ce qui a tué la Côte d’Ivoire. Elle a peur de la vérité. Il faut que les Ivoiriens se retrouvent, pour se dire que pendant dix ans voilà ce qui s’est passé. Mais comment faire pour redresser le pays ?(…)

Concrètement qu’est-ce que vous suggérez au président Alassane Ouattara dans ce dossier ?

Houphouet l’a fait, il faut reprendre le cadre que Houphouet a utilisé et l’améliorer. Et puis, il y a eu ce forum auquel les Ivoiriens se sont dit la vérité. (…)

Retranscrits par Bidi Ignace
Source: Nord-Sud

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