Par Jean Guisnel Il y a les déclarations publiques du ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, le 6 mars au Caire, estimant qu’une intervention militaire en Libye pourrait avoir « des effets tout à fait négatifs ». Mais lundi matin, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Bernard Valéro, se félicitait que le ministre égyptien des Affaires étrangères, Amr Moussa, avait, lors de ses entretiens avec son homologue français « confirmé le soutien de la Ligue arabe à une zone d’exclusion aérienne ». Laquelle, selon Paris, ne pourrait être activée que sur une décision du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais les choses sont en train d’évoluer.
Tout d’abord hostile à l’idée de zone d’exclusion aérienne qui interdirait à tout avion ou hélicoptère des forces fidèles à Kadhafi de voler au-dessus du territoire libyen, Paris n’avait pas donné suite aux déclarations du secrétaire à la Défense américain Robert Gates. Il envisageait cette éventualité dès le 23 février en soulignant que « les Français et les Italiens ont potentiellement plus de moyens d’intervenir rapidement ».
La France en première ligne
Reste la question du Conseil de sécurité. On souligne de source militaire que son accord est impossible, en raison du probable veto que ne manqueraient pas d’opposer Moscou et Pékin, hostiles par principe aux interventions militaires étrangères en cas de crise intérieure dans un pays souverain. Mais on indique de très bonnes sources diplomatiques que les agressions avérées du colonel Kadhafi contre sa propre population « ont fait tout basculer ». Une résolution du Conseil de sécurité n’est plus tout à fait exclue, et les Français sont désormais en pointe pour faire discrètement avancer les choses, Alain Juppé étant soutenu par son homologue britannique William Hague.
Pour Paris, l’occasion serait excellente de conduire cette opération sur une base exclusivement européenne, sans appui de l’Otan très divisée sur la question. « Mais nous avons mille questions à traiter avant d’arriver à mettre en place cette zone d’interdiction aérienne, surtout s’il faut finalement se passer d’une résolution du Conseil de sécurité », souligne une source diplomatique. Un militaire de haut rang estime, quant à lui, que cette perspective ne serait pas sans risque : « La dernière fois qu’on l’a fait, c’était au Kosovo en 1999. On s’en mord encore les doigts, à cause de la relation avec les Américains : nous n’avions pas de règles d’engagement communes… »
Guerre électronique
En fait, les militaires ne sont pas très chauds. « Il ne suffit pas de dire que l’on veut voir Kadhafi partir, persifle cet officier général. Quel est le but final recherché ? Que voulons-nous défendre ? La Libye… Mais ce pays n’a jamais vraiment existé. Ce n’est qu’un conglomérat de tribus. » De fait, la France a bien des chats à fouetter en ce moment. L’Afghanistan n’est pas une mince affaire et mobilise des forces aériennes importantes. Le Liban exige une attention constante, et la Côte d’Ivoire a déjà un pied dans le gouffre. Dans ces conditions, est-il bien utile d’engager le fer en Libye au risque de déclencher une réaction en chaîne incontrôlée ? Comme le souligne ce militaire bon connaisseur des opérations extérieures : « Ces révolutions arabes ne se font pas contre l’Occident. On n’a vu nulle part brûler un drapeau américain, ni même un drapeau israélien. Il serait vraiment dommage d’entrer dans un engrenage, car si on sait comment ça commence, on ne sait jamais où ça s’arrête. »
Pendant ce temps, discrètement, l’opération européenne d’interdiction du ciel libyen se prépare. Les Français et les Britanniques comptent s’y lancer, seuls, si les Allemands et les Italiens ne veulent pas les aider. Les moyens à mettre en oeuvre sont en cours de définition. Ils concernent tout d’abord la guerre électronique, d’autant moins difficile à engager que tous les systèmes-radars libyens sont soit de fabrication européenne soit de fabrication russe. Autant dire qu’ils n’ont aucun secret pour les services de renseignements occidentaux qui les neutraliseraient sans même avoir à les détruire. Pour cette mission, les moyens les plus efficaces seraient fournis, dans la zone côtière libyenne, par les équipements spécialisés des navires de la Royal Navy et de la marine nationale ainsi que par les avions radar AWACS de la Royal Air Force et de l’armée de l’air française. Il serait nécessaire d’en mobiliser quatre en permanence pour assurer une mission permanente dans la profondeur du territoire libyen. Et pour l’interdiction aérienne proprement dite, une permanence en vol de ravitailleurs et de deux avions de chasse équipés de missiles air-air serait suffisante. C’est tout dire le peu de cas que font les armées européennes de leur homologue libyenne… Une source de l’armée de l’air connaissant ce type d’opérations explique qu’il ne serait pas utile d’engager de porte-avions, les côtes libyennes étant très proches des bases militaires de Corse et de Sardaigne. Quand on pose la question du délai de mise en oeuvre, négociations diplomatiques comprises, la réponse est claire : « C’est compliqué à mettre en place, mais c’est possible avant la fin du mois de mars ! »
Le Point.fr
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