Depuis le début des années 2000, la Chine est devenue un partenaire économique de premier plan pour de nombreux pays africains. La Côte d’Ivoire, en pleine reconstruction et en quête d’émergence, a naturellement accueilli cet acteur majeur.
Mais alors que les projets chinois se multiplient dans les secteurs clés de l’économie nationale, certains observateurs s’interrogent : cette coopération est-elle équilibrée ou masquée sous une forme subtile de dépendance stratégique ?
Une montée en puissance planifiée depuis les années 2000
Historiquement présente en Afrique depuis les années 1950-60 avec un discours maoïste de solidarité Sud-Sud, la Chine a pris un tournant décisif en 2000 avec le lancement du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC).
Sous l’impulsion du président Xi Jinping (arrivé au pouvoir en 2012), la stratégie est devenue résolument économique. L’approche repose sur des investissements massifs, souvent liés à des prêts concessionnels mis en œuvre par des entreprises publiques chinoises.
Entre 2006 et 2017, Pékin a injecté 128 milliards de dollars dans les infrastructures africaines, représentant 28,3 % des financements publics extérieurs. L’Afrique de l’Ouest en a reçu 33 %, plus que l’Afrique de l’Est (31 %).
Des réalisations visibles sur le territoire ivoirien
Les fruits de cette coopération sino-ivoirienne sont concrets :
- Le barrage de Soubré, achevé en 2017 par Sinohydro, est l’un des plus grands du pays ;
- Les barrages de Gribo-Popoli, Boutoubré et Louga sont également en chantier ;
- À Abidjan, le 4e pont reliant Yopougon au Plateau, estimé à 142 milliards FCFA, est réalisé par China State Construction Engineering Corporation.
Par ailleurs, au port d’Abidjan, le Terminal à Conteneurs 2 (TC2) a été financé par l’Exim Bank of China. Son exploitation est aujourd’hui partagée entre APMT, MSC et CMG, mais cette dernière, entreprise chinoise, détient une participation indirecte via Terminal Link.
Ports africains : vers une influence structurelle de Pékin ?
Selon plusieurs analyses, les ports où la Chine intervient pourraient représenter bien plus que de simples plateformes logistiques.
Sur 78 ports africains liés à des entreprises chinoises, 35 se trouvent en Afrique de l’Ouest. Dans les cas d’Abidjan, Lekki (Nigeria), Lomé (Togo) ou Kribi (Cameroun), la Chine détient plus de 50 % des capitaux et des droits d’exploitation sur des périodes très longues.
La marine chinoise a d’ailleurs effectué des escales à Abidjan, Lekki, Pointe-Noire, sans qu’aucune base militaire ne soit officiellement reconnue en Afrique de l’Ouest (contrairement à Djibouti dans la corne de l’Afrique). Toutefois, la régularité de ces mouvements navals pose la question d’une stratégie à double usage, civil et militaire.
Pêche artisanale : la ressource ivoirienne sous pression
Un rapport du Salata Institute de Harvard (mai 2025) souligne un recul préoccupant de la pêche artisanale ivoirienne : -40 % de captures entre 2003 et 2020.
Si le changement climatique est un facteur, la pression exercée par les chalutiers industriels chinois en est un autre. Ces derniers utilisent des méthodes destructrices comme les chaluts de fond, particulièrement néfastes pour les écosystèmes marins.
Officiellement, la Chine déclare 2 600 navires de pêche. En réalité, ils seraient jusqu’à 17 000, dont plus de 400 opèrent dans le Golfe de Guinée selon Greenpeace. Ce secteur génère environ 400 millions d’euros par an pour les opérateurs chinois, souvent via la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN).
En Côte d’Ivoire, les fermetures saisonnières instaurées depuis 2016 peinent à enrayer le phénomène. De nombreuses familles de pêcheurs subissent aujourd’hui une pression économique croissante.
Or, cuivre, cobalt : la Chine consolide son contrôle sur les ressources stratégiques
Le secteur minier est un autre pilier de la stratégie chinoise. En Côte d’Ivoire, la production d’or est passée de 24,5 tonnes en 2018 à 51 tonnes en 2023.
- Zhaojin Mining, géant chinois, a acquis Tietto Minerals (mine d’Abujar) pour 400 millions de dollars ;
- Zijin Mining est désormais partenaire du projet Koné, développé par Montage Gold.
Cette offensive s’inscrit dans une politique globale. En 2018, la Chine détenait déjà 41 % du cobalt africain et 28 % du cuivre. Elle progresse également dans les filières du lithium, du manganèse et du graphite, des ressources essentielles à la transition énergétique mondiale.
Cacao : le géant chinois avance ses pions
Premier producteur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire est aussi au cœur de l’ambition chinoise dans ce domaine.
- Une usine de transformation a été construite près d’Abidjan par China Light Industry Nanning Design Engineering ;
- Une autre unité, en cours à San Pedro, visera une capacité annuelle de 50 000 tonnes ;
- Depuis 2021, la Chine teste même la culture du cacao sur l’île de Hainan.
À terme, cette production pourrait concurrencer l’exportation ivoirienne, déjà fragilisée : les producteurs ivoiriens ne captent que 6 % des 130 milliards de dollars que représente le marché mondial du chocolat.
Un soft power discret mais bien présent
L’influence chinoise s’exerce aussi sur le terrain culturel et numérique. À Abidjan, Jiaan Wu, influenceuse sino-canadienne, cumule 450 000 abonnés sur TikTok et 31 000 sur Instagram.
Sa stratégie : des contenus ancrés localement (attiéké, nouchi, artistes ivoiriens) qui rendent la présence chinoise plus familière, voire attractive. Une forme de soft power efficace, notamment auprès des jeunes.
Les Nouvelles Routes de la Soie : la toile d’araignée chinoise
Tous ces projets ne sont pas isolés. Ils s’inscrivent dans le cadre des « Nouvelles Routes de la Soie » (BRI), stratégie mondiale de Pékin lancée en 2013.
La Côte d’Ivoire a déjà bénéficié de 5,6 milliards de dollars de prêts chinois, surtout dans les secteurs du transport et de l’énergie.
Dans le 14e plan quinquennal chinois (2021-2025), des corridors africains sont explicitement mentionnés. La littérature militaire chinoise évoque aussi les « points forts à l’étranger » (haiwai zhanlue zhidian) : des infrastructures jugées vitales pour la projection stratégique de la Chine.
Entre coopération et vigilance souveraine
Si les investissements chinois ont incontestablement contribué au développement des infrastructures ivoiriennes, le débat sur la souveraineté économique reste ouvert.
Les autorités ivoiriennes, tout en poursuivant la coopération avec Pékin, devront préserver les intérêts nationaux, notamment dans les secteurs stratégiques : ressources naturelles, infrastructures, agriculture, pêche et numérique.
Car dans un partenariat, l’équilibre des forces reste la clé d’une relation saine et durable.
F. Kouadio
Cap’Ivoire Info / @CapIvoire_Info
Commentaires Facebook