Prao Yao Séraphin
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a publié son rapport annuel sur l’indice de développement humain (IDH) pour l’année 2025. Dans le rapport intitulé « Une question de choix : les individus et les possibilités à l’ère de l’IA », datant du 6 mai 2025, cinq pays africains se sont distingués par leur niveau élevé de développement humain. Il s’agit des Seychelles, de l’île Maurice, de l’Algérie, de l’Égypte et de la Tunisie.
Avec un Indice de Développement Humain (IDH) s’élevant à 0,582, la Côte d’Ivoire gagne dix précieuses places et occupe le 157e rang parmi 193 nations évaluées. Les autorités ivoiriennes ont vite manifesté un enthousiasme démesuré comme si le pays avait fait une révolution copernicienne. Dans les lignes qui suivent, nous montrons que le pays a certes progressé dans le classement mais il doit s’interdire tout excès d’enthousiasme.
LA GENESE D’UN CONCEPT PROMU PAR LE PNUD
L’indice de développement humain (IDH) est un indice composite proposé par l’économiste indien Amartya Sen et l’économiste pakistanais Mahbubul Haq pour mesurer les conditions de vie dans les différents pays du monde, et adopté par le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) à partir de 1990.
Créé donc par le PNUD au début des années 1990, l’IDH, indicateur composite le plus connu, repose sur 3 critères de base du développement humain, ayant une même pondération: le PIB/habitant en parité de pouvoir d’achat en dollars courants, l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’instruction, composé pour les deux tiers par le taux d’alphabétisation des adultes et, pour le tiers restant par le taux brut de scolarisation pour le primaire, le secondaire et le supérieur.
L’indice a pour but de dépasser une simple mesure du développement par les richesses, qui est insuffisante si les richesses ne s’accompagnent pas d’une amélioration du système de santé ou de l’éducation.
L’Organisation des Nations Unies précise que l’IDH « est une mesure sommaire du niveau moyen atteint dans des dimensions clés du développement humain : vivre une vie longue et en bonne santé, acquérir des connaissances et jouir d’un niveau de vie décent ».
https://www.undp.org/fr/cote-d-ivoire/blog/une-performance-de-lindice-de-developpement-humain-idh-ternie-par-la-persistance-des-inegalites-de-genre-en-cote-divoire
DES PERFORMANCES RÉGIONALES ET QUELQUES COMPARAISONS INTERNATIONALES D’UN PAYS EN QUÊTE D’ÉMERGENCE
Selon le rapport, la Côte d’Ivoire occupe la 157ème place en matière d’indice de développement humain (IDH), au niveau mondial, avec une moyenne de 0,582.
Les Seychelles, l’île Maurice, l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie sont les cinq pays africains qui affichent les niveaux de développement humain les plus élevés en 2025. Placé au 54e rang mondial sur les 193 pays et avec un Indice de Développement Humain (IDH) de 0,848, les Seychelles occupent la première place du classement en Afrique. Elles sont suivies par l’île Maurice, qui atteint 0,806 et se classe 73ᵉ. Ces deux pays sont les seuls du continent à figurer dans la catégorie de développement humain très élevé. L’Algérie, troisième en Afrique, obtient un score de 0,763 et occupe le 96ᵉ rang mondial, tandis que l’Égypte se positionne juste derrière avec 0,754, à la 100ᵉ place.
La Tunisie au cinquième rang en Afrique, y occupe le 105ᵉ rang mondial avec un score de 0,746, ce qui la place dans la catégorie des pays à développement humain élevé. Le Maroc, avec un IDH de 0,710, se classe 120ᵉ et reste distancé par ses voisins maghrébins.
La Côte d’Ivoire occupe la troisième place en zone CEDEAO, après le Cap-Vert (135e ) avec un score de 0,668 et le Ghana (143e ) avec un score de 0,628. En zone UEMOA, le pays occupe la première place devant le Togo (161e) avec un score de 0,571), le Sénégal (169e) avec un score de 0,530 puis le Benin (173e) avec un score de 0,515.
LE GHANA, UN PAYS HORS ZONE FRANC, FAIT MIEUX QUE LA CÔTE D’IVOIRE
Avec un PIB de 76,63 Md USD (2 330 USD/habitant) en 2023, le Ghana représente la 2ème économie de la CEDEAO, derrière le géant nigérian mais devant la Côte d’Ivoire. L’économie ghanéenne repose essentiellement sur l’exploitation des matières premières – or, pétrole, gaz, cacao – et les activités de service qui s’y adossent. Le Ghana est à nouveau le premier producteur d’or en Afrique – ayant repris la place à l’Afrique du Sud en 2022 – et le deuxième producteur mondial de cacao après la Côte d’Ivoire.
L’économie ghanéenne, entre 2010 et 2023, a connu une période de croissance soutenue, mais aussi de défis macroéconomiques. Le Ghana bénéficiait d’un niveau de croissance d’environ 7% avant la pandémie de COVID-19 et est parvenu à garder une croissance faible mais positive en 2020 (à 0,5%). La croissance du PIB a fluctué, atteignant des sommets en 2021, avec une augmentation du PIB de 5,4%, puis ralentissant en 2023 en raison d’effets extérieurs et de défis internes. L’inflation a été un problème majeur, atteignant 31,5% en 2022 et 40,3% en 2023, principalement due à la hausse des prix des denrées alimentaires et à la dépréciation de la monnaie. La perte de la confiance des investisseurs s’est traduite par une perte d’accès aux marchés financiers internationaux en novembre 2021, coupant le Ghana d’une de ses principales sources de financement, conduisant à une dépréciation du Cedi ghanéen par rapport au dollar.
Malgré ces difficultés, le Ghana a enregistré un bon indice de développement humain (IDH). Le Ghana devance largement la Côte d’Ivoire avec un IDH de 0,628 là où notre pays doit se contenter d’un IDH de 0,582. Les trois composantes de l’indice de développement expliquent le rang du Ghana et celui de la Côte d’Ivoire.
En premier lieu, le niveau de vie, déterminé par le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant des deux pays. Le Ghana bénéficiait d’un niveau de croissance d’environ 7% avant la pandémie de COVID-19. En 2023, le PIB par habitant s’élevait à 2 260,3 USD, après avoir obtenu 2445,5 USD en 2021, faisant du Ghana la deuxième économie de la CEDEAO. Pour la Côte d’Ivoire, selon les chiffres de la banque mondiale, le PIB par habitant de la Côte d’Ivoire était de 2 530,8 USD. Avec ces chiffres, la Côte d’Ivoire est plus riche que le Ghana.
En second lieu, concernant la santé, on note une espérance de vie à la naissance au Ghana de 65,5 ans là où la Côte d’Ivoire se contente de 61,9 ans. L’espérance de vie à la naissance est l’indicateur le plus global de l’état de santé d’une population. Il intègre synthétiquement tous les facteurs qui contribuent à la longévité. Avec ces chiffres, on voit bien que le Ghana offre une vie beaucoup plus longue de la Côte d’Ivoire. Mais le Ghana ne surpasse pas la Côte d’Ivoire par hasard car c’est le fruit de bonnes politiques de santé menées par le gouvernement ghanéen. Lorsqu’on prend les dépenses de santé, de 2010 à 2022, les dépenses de santé publique en pourcentage des dépenses totales, se situent en moyenne à 26, 40%, en Côte d’Ivoire. Au Ghana, le pourcentage de ces dépenses de santé est de 47,04%, sur la même période. Concernant les dépenses de santé en pourcentage du budget, elles se situent à 8,54% sur la période 2010-2022 pendant que la Côte d’Ivoire se contente de consacrer seulement 5,43% de son budget aux dépenses de santé. Pour les dépenses de santé en pourcentage du PIB, de 2010-2022, elles se situent à 1,88% pour le Ghana et 0,95% pour la côte d’ivoire.
En troisième lieu, concernant l’éducation, évaluée par le taux d’alphabétisation et le taux brut de scolarisation, en Côte d’Ivoire, le taux brut de scolarisation au primaire a connu une progression significative, atteignant 105,4% en 2022/23. Ce taux brut, qui indique le nombre total d’élèves inscrits au primaire par rapport à la population en âge scolaire, dépasse 100% en raison de l’inscription d’élèves en dehors de l’âge scolaire. Parallèlement, le taux d’alphabétisation a connu une amélioration, passant de 51% en 2002 à 43,8% en 2015, puis à 43,70% en 2019 et 47% en 2021, selon le MENA.
Au Ghana, le taux brut de scolarisation (TBS) au Ghana a augmenté, atteignant 76,78% dans le secondaire en 2022, selon Statista. Ce chiffre représente une augmentation de 1,5 point de pourcentage par rapport à 2021.Le taux d’alphabétisation des adultes au Ghana est estimé à environ 79%. On observe des différences entre les hommes et les femmes, avec un taux plus élevé chez les hommes (84,49%) que chez les femmes (76,19%). Le taux d’alphabétisation des jeunes est également élevé, avec environ 80% des jeunes ayant la capacité de lire et écrire.
Lorsqu’on considère également le taux d’achèvement du cycle primaire, le Ghana fait partie des 16 pays d’Afrique ayant les plus forts taux d’achèvement de l’école primaire (source : Unesco) mais pas la Côte d’Ivoire. En effet, le Ghana enregistrait un taux de 94% en 2018 là où la Côte d’Ivoire se contentait de 79% en 2019.
Ces résultats sont le fruit des politiques gouvernementales en matière d’éducation. Pendant que le Ghana consacre 19,84% de son budget aux dépenses d’éducation, sur la période 2010-2022, la Côte d’Ivoire a fait mieux avec un taux de 20,19%. Mais lorsqu’on considère la part de la richesse consacrée à l’éducation, le Ghana fait mieux que la côte d’ivoire. En effet, les dépenses d’éducation en pourcentage du PIB, en moyenne sur la période 2010-2022, sont respectivement de 4,59% et 3,44% pour le Ghana et la Côte d’Ivoire.
Le Ghana accorde une place importante à l’éducation par rapport à la Côte d’Ivoire. Et cela se démontre au niveau international concernant le classement des universités. Le Ghana fait partie du classement dirigé par Quacquarelli Symonds, un cabinet britannique fournisseur de données dans le domaine de l’éducation, comprend en tout 1 500 établissements d’enseignement supérieur, dont 40 basés en Afrique. Selon donc le classement 2023 des universités africaines selon QS World University, avec 15 universités africaines, l’Egypte est le pays le plus représenté dans le classement. Elle devance l’Afrique du Sud qui compte 11 universités au classement. Vient ensuite la Tunisie avec 4 universités, puis le Ghana, le Kenya, le Nigeria avec respectivement deux universités chacun. L’Ethiopie, le Maroc et l’Ouganda se contentent d’un seul représentant chacun. Notons qu’aucune université ivoirienne n’est présente dans le classement.
Dépenses en recherche et développement en pourcentage du PIB, en 2016 était de 0,07, pour la Côte d’Ivoire, et 0,38 pour le Ghana, pour 2010.
LES PISTES D’AMELIORATION DE L’IDH EN COTE D’IVOIRE
Une première piste est la réforme du système éducatif du pays
Le système d’éducation singapourien, avec son accent sur l’excellence académique et le développement holistique, a un impact significatif sur l’amélioration de l’Indice de Développement Humain (IDH) du pays. Le système, qui privilégie une approche rigoureuse et un suivi rigoureux des élèves, contribue à un taux d’alphabétisation élevé et à un niveau de scolarisation important, des facteurs clés de l’IDH. De plus, le système favorise le développement personnel et les compétences du XXIe siècle, ce qui permet aux individus de mieux participer à la vie économique et sociale, améliorant ainsi leur qualité de vie.
Une seconde piste est l’amélioration du système de santé du pays
Le système de santé de Singapour joue un rôle crucial dans l’amélioration de l’Indice de Développement Humain (IDH) du pays, qui est l’un des plus élevés au monde. Il est considéré comme un modèle en termes de qualité des soins, de contrôle des coûts et de financement. La Côte d’Ivoire doit beaucoup miser sur la santé connectée, en réseau, sur l’IA et sur la robotique médicale. Comme au Rwanda, le pays doit former des chirurgiens à la chirurgie mini-invasive et aux opérations complexes robotisées. En ouvrant ce type de formations très spécialisées, le pays pourrait ainsi créer un écosystème médical technologique international de haut niveau. L’essentiel de telles innovations ont pour vocation à faire en sorte que l’innovation ruissèle ensuite au bénéfice de l’ensemble de la population. A l’ère des nouvelles technologies, le pays doit compter sur la robotique aérienne pour la livraison automatisée de médicaments, de sang et de plasma, entre hôpitaux éloignés ou difficiles d’accès. Aujourd’hui les drones médicaux rapprochent les campagnes des villes, et les zones mal desservies des centres hospitaliers urbains, en créant des connexions durables et résilientes. En outre, avec l’IA générative (GPT4), il est possible de fournir un service de télémédecine effectif.
Une troisième piste est la transformation structurelle de l’économie du pays
La Côte d’Ivoire est un pays agricole. Pendant longtemps, sa croissance a été portée par ce secteur. Le pays doit transformer cette agriculture pour qu’elle produise davantage de valeurs ajoutées afin que cela se traduise en termes d’emplois durables pour la population.
La Côte d’Ivoire a enregistré des gains de productivité intra-sectoriels, mais pas de gains de productivité intersectoriels, ce qui constitue un handicap pour la transformation structurelle ; La densification de l’économie en termes de diversification reste faible, en comparaison avec des pays tels que le Sri Lanka, Maroc, Ethiopie, Vietnam et Kenya; En dehors de la canne à sucre, du palmier à huile, et dans une moindre mesure l’hévéa, le taux de transformation des autres principales spéculations agricoles (cacao, anacarde, etc.) reste faible, ce qui constitue l’un des défis majeurs à relever.
Cette transformation devra combiner une hausse de la productivité avec une hausse des emplois dans les trois secteurs de l’économie ivoirienne. Les politiques visant à soutenir la transformation structurelle devront atteindre un double objectif: le pays aura besoin d’une croissance soutenue de la productivité pour générer des revenus plus élevés pour la population, tout en créant plus d’emplois afin de rendre la croissance inclusive.
La transformation structurelle passera par:
- i)une amélioration de la qualité des produits, notamment agricoles;
- ii)des activités industrielles avec un plus grand potentiel de création d’emplois et de valeur ajoutée, telles que la manufacture de produits plus complexes; et
iii) une meilleure exploitation du potentiel des activités de services à travers la formalisation et la professionnalisation.
Ce processus devra être soutenu par l’accélération de la modernisation et l’amélioration de la productivité du secteur agricole, tout en favorisant la productivité et la compétitivité des industries et des services.
Une quatrième piste reste l’importance accordée à l’innovation
La Côte d’Ivoire ambitionne d’aller à l’émergence mais cela ne se décrète pas mais les dirigeants doivent plutôt créer les conditions de cette émergence. Le pays doit adopter une loi sur l’innovation. Cette loi mettra en évidence l’intérêt qu’accorde le gouvernement à la science et la technologie en tant que moteur de la croissance et du développement. Les équipes de chercheurs compétents existent mais les moyens manquent. Les africains ont un attrait pour les technologies innovantes et disposent des talents multiples en matière de créativité (design, mode, musique etc.). Dans ce nouvel élan :
Les droits de propriété peuvent encourager l’innovation. Les brevets jouent un rôle protecteur et la propriété intellectuelle est protégée. Au niveau mondial, on a l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), créée en 1970.
L’Etat doit jouer un rôle important dans la promotion de l’économie des idées. Il doit améliorer l’égalité des chances. L’économie de la connaissance et de l’immatériel réclame une population active qualifiée et professionnellement mobile. Les pouvoirs publics doivent donc veiller à ce que la reproduction sociale ne tienne pas à distance des fruits de l’économie de la connaissance les jeunes issus des milieux socialement défavorisés et, d’une manière générale, l’ensemble des populations victimes de discriminations.
Il faudra adapter la fiscalité. En effet, les actifs immatériels, de par leur nature intangible, se prêtent particulièrement bien à la délocalisation. De ce fait, les entreprises concernées mettent au point des stratégies de délocalisation fondées sur l’optimisation fiscale ou sociale qui favorisent les places où la fiscalité est relativement plus avantageuse pour les investisseurs étrangers et, tout particulièrement, celles où la fiscalité sur les bénéfices est faible.
Les TIC doivent également jouer un rôle important. Une enquête du cabinet Ernst &Young révèle, par exemple, qu’en 2008 les TIC ont représenté 6 % du PIB de la Côte d’Ivoire avec un chiffre d’affaires d’environ 700 milliards de FCFA (1.06 milliards d’euros), soit 300 à 400 milliards de FCFA de participation au budget de l’Etat.
En Côte d’Ivoire, le secteur numérique, y compris les TIC, contribue environ à 7% du PIB. Le secteur des télécommunications, en particulier, a généré un chiffre d’affaires de 1139 milliards de francs CFA en 2021, représentant 3% du PIB.
Mais la plupart des pays africains affichent un taux d’accès aux services TIC extrêmement faible, comparativement au reste du monde.
Commentaires Facebook