Ironie cruelle du destin, anomalie ivoiro-ivoirienne : alors que la majestueuse station d’eau potable de La Mé pompe chaque jour des centaines de milliers de mètres cubes pour nourrir Abidjan, les habitants d’Alépé, pourtant voisins immédiats du site, continuent de manquer d’eau potable.
Cette situation, que d’aucuns qualifient déjà de scandale d’État, soulève l’indignation. Comment comprendre que la commune qui abrite sur ses terres ce projet titanesque — salué à grands coups de communication comme « un tournant historique pour l’accès à l’eau en Côte d’Ivoire » — reste en marge des retombées de cette infrastructure stratégique ?
La promesse non tenue
À l’annonce de la construction de la station, les populations d’Alépé avaient placé de grands espoirs dans le projet : accès facilité à l’eau, développement économique, création d’emplois. Trois ans plus tard, le constat est amer. Les robinets sont souvent à sec, les coupures d’eau sont fréquentes, et l’extension du réseau local reste un chantier hypothétique.
Pire encore, certains villages alentour doivent continuer à s’approvisionner avec des puits traditionnels, exposant leurs habitants aux risques sanitaires liés à l’eau non traitée. « Nous voyons les grandes canalisations passer sur notre sol, mais l’eau ne nous arrive pas », se désole un chef de village d’Alépé, exaspéré.
L’eau pour Abidjan, le mépris pour Alépé
Le paradoxe est saisissant : la station de La Mé a été conçue pour soulager le Grand Abidjan, une mégapole de plus de 6 millions d’habitants, sans qu’une réflexion sérieuse ne soit menée pour intégrer durablement les besoins des populations riveraines.
Selon plusieurs sources locales, des promesses d’extension du réseau avaient été formulées par les autorités lors des cérémonies officielles. Mais aucun calendrier précis n’a été communiqué et aucun budget spécifique n’a été affecté à cet effet.
« Nous sommes bons pour accueillir les tuyaux et les camions de chantier, mais pas pour bénéficier de l’eau », fulmine une habitante d’Alépé interrogée sur place.
Où sont passées les autorités ?
Les élus locaux peinent à obtenir des réponses claires. Plusieurs courriers adressés au ministère de l’Hydraulique sont restés sans suite. Et du côté de la SODECI, l’opérateur historique de l’eau, l’argument budgétaire est brandi : « les travaux de raccordement des zones rurales nécessitent des financements additionnels ».
Pendant ce temps, les populations s’interrogent sur la logique d’un développement à deux vitesses, où les infrastructures servent les grandes villes, laissant les campagnes dans l’oubli et la précarité.
Un appel pressant à l’équité
Face à cette injustice flagrante, les voix s’élèvent. Des ONG locales appellent à un plan d’urgence pour raccorder rapidement Alépé et ses villages au réseau de La Mé.
« Il ne saurait y avoir de développement durable sans justice territoriale. L’eau est un droit fondamental, pas un luxe réservé aux grandes agglomérations », rappelle un rapport de l’association Action Eau pour Tous.
La patience des populations semble atteindre ses limites. Si rien n’est fait rapidement, un climat de frustration et de méfiance envers les autorités pourrait s’installer durablement dans cette région pourtant stratégique.
Alépé assoiffée : La crise de l’eau persiste dans l’indifférence générale (1ère partie)
Encadré:
Chiffres Clés – Station d’eau de La Mé et situation à Alépé
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Capacité de production de la station de La Mé : 240 000 m³/jour
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Population desservie par La Mé (principalement Abidjan) : environ 2 millions de personnes
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Investissement total : 247 milliards de francs CFA
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Date d’inauguration officielle : 2 août 2021
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Distance entre Alépé et la station de La Mé : 10 kilomètres
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Taux de couverture en eau potable à Alépé : moins de 40 % (source locale)
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Nombre de villages d’Alépé sans accès permanent à l’eau potable : plus de 30
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Projets de raccordement pour Alépé : en attente de financement ou d’exécution (aucun chantier majeur lancé à ce jour)
#AGD avec cG et Sylvie Kouamé
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