RWANDA + Habyarimana + génocide: La vérité sera-t-elle un jour connue ?

Par Douglas Mountain

Le 06 Avril 2024, il ya de cela deux jours, le monde entier commémorait le génocide rwandais. Le Rwanda est un pays félicité par tous. De maquisard, le Président Kagamé Paul est aujourd’hui vu comme une icône en matière de gouvernance. L’homme a pris de l’ascendance sur les autres présidents africains, surtout ceux d’Afrique francophone qu’il intimide indéniablement. La presse continentale lui est entièrement acquise.

Pourtant une épine demeure bel et bien dans le pied de Kagamé Paul. Le 06 Avril 1994 à 20H30 heure locale, le Président Juvénal Habyarimana du Rwanda revient d’un sommet régional organisé en Tanzanie, sur la crise qui secouait son pays et le Burundi voisin. Son avion est abattu alors qu’il amorçait sa descente sur l’aéroport de Kigali. Qui a abattu cet avion ? La question fait débat jusqu’aujourd’hui.

Alors que tous les faisceaux d’indice pointent vers Paul Kagamé, alors commandant en chef du FPR (le Front Patriotique Rwandais) dont un régiment stationnait dans la capitale sur une colline surplombant l’aéroport (en vertu des accords entre ce mouvement et le pouvoir rwandais), lui accuse plutôt l’armée rwandaise d’avoir elle-même éliminé son chef, afin de « faire échouer » les négociations de paix qui avaient cours en ce moment. Dès le lendemain du drame, les partisans du Président Juvénal Habyarimana ont commencé les exactions sur les populations réputées proches du FPR. Ce fut le début de l’une des périodes les plus sombres de l’histoire contemporaine africaine. Qui a abattu cet avion ?

Le déroulé des événements contredit la version du Président Kagamé

Si la thèse défendue par Kagamé reste envisageable, elle ne cadre cependant pas avec le déroulé des événements. Suite à la disparition du président Habyarimana, le pouvoir rwandais ne s’est jamais véritablement reconstitué. Certes un gouvernement fut mis en place pour pallier le vide, mais il a « flotté » jusqu’à sa chute. Visiblement l’état-major rwandais était pris de court par la disparition soudaine de son chef, il n’y était pas préparé, il n’avait aucun plan pour la suite. Cela montre qu’il n’avait pas anticipé cette disparition.

Or le Front Patriotique Rwandais (FPR) du Commandant Kagamé est passé à l’offensive en direction de la capitale, la nuit même du drame. Ce timing éveille des soupçons, il semble indiquer clairement que Kagamé Paul ne fut pas surpris par les événements. Mieux, qu’il attendait ce signal. En face, l’armée rwandaise était certes nombreuse et bien équipée, mais était désormais sans « tête de commandement ». Désemparée, ballottée, elle va se disloquer. Des officiers clés de l’état-major avaient péri avec le Président, ce qui permettra aux forces de Kagamé, bien peu nombreuses, « d’accélérer » jusqu’à la prise de la capitale Kigali. Quelque chose était « cassée » au sein de l’armée du régime.

Le Front Patriotique Rwandais ( FPR )

Le Front Patriotique Rwandais fut fondé non par Kagamé Paul, mais un certain Fred Rwigema en Ouganda à la fin des années 80. Les incursions au Rwanda ont commencé au début des années 90. Fred Rwigema perdit la vie au cours des combats. Sa disparition fut cachée aux troupes, à qui on fit croire qu’il « recevait des soins en Ouganda ». Pendant ce temps, le Président Yoweri Museveni d’Ouganda, « parrain » du FPR, plaça à sa tête le commandant Kagamé, qui a eu ainsi le temps d’asseoir son autorité.

Ce fut un moment délicat pour ce mouvement rebelle. Si la mort de son fondateur avait été immédiatement révélée, une guerre des chefs aurait éclaté entre les différents commandants. Le mouvement risquait alors de se disloquer en plusieurs branches de facto rivales les unes des autres. Cette leçon, Paul Kagamé va la retenir. Il va comprendre que la disparition du Président Juvénal Habyarimana aura le même effet sur l’armée rwandaise, elle va briser la cohésion de cette armée.

Notons que dans le cadre des accords conclus entre le FPR et le gouvernement rwandais à l’époque sous l’égide de la communauté internationale, un régiment du FPR était positionné dans la capitale Kigali, sur une colline surplombant l’aéroport. Il devait protéger les membres du FPR présents dans le gouvernement « d’union nationale ». C’est à ce régiment que sera confié la mission d’abattre l’avion du président Juvénal Habyarimana.

La question des « Numéro 2 » dans les dictatures

Dans une dictature, il n’y a jamais de « Numéro 2 ». Les dictateurs règnent généralement sans partage. Ils ne sont secondés par personne. La raison est toute simple, le « numéro 2 » finit toujours par être vu comme une alternative au dictateur lorsque les choses tournent mal. Ce qui s’est passé au Zimbabwe, avec le remplacement de Robert Mugabe par son vice-président Emerson Mnangagwa est la hantise de tout dictateur. Ainsi un dictateur va toujours concentrer tous les pouvoirs opérationnels.

Le problème, c’est la paralysie du régime lorsque le dictateur vient à disparaître brusquement, sans avoir eu le temps d’organiser sa succession. Le Président Juvénal Habyarimana était un dictateur comme la majorité des présidents africains de sa génération. Ainsi en abattant son avion, c’est en même temps l’Etat rwandais qu’on abattait. D’où le vide qui ne s’est jamais véritablement comblé jusqu’à la chute de la capitale. Ainsi les régimes dictatoriaux sont bien plus faibles qu’ils n’y paraissent.

La question des milices

On a beaucoup parlé des milices au Rwanda, comme une « création » du clan du Président Habyarimana, notamment son épouse. C’est une lecture biaisée. Dans un pays en conflit, des milices vont toujours se constituer au sein de la population. C’est inévitable. A la faveur du désordre, du recul de l’autorité de l’Etat, et de la ferveur patriotique, des groupes dits « d’auto-défense » voient spontanément le jour, constitués de jeunes que l’armée régulière ne peut absorber. On a connu ce phénomène en Côte d’Ivoire. Il existe aujourd’hui des milices au Mali, au Burkina Faso, dans le Nord du Nigéria, au Soudan du Sud, dans l’Est du Kenya, dans l’est et le Centre de la RDC, au Burundi, en Centrafrique, en Libye, en Somalie, etc…..etc……..partout où il y a conflit.

Les autorités sont mises très souvent devant le fait accompli, et essaient tant bien que mal de garder la situation sous contrôle. Car on ne peut pas dissoudre ces milices par décret. Au fil du temps, elles se structurent et deviennent une force dont il faut tenir compte. Ce qui fait d’elles un couteau à double tranchant, exécutant des basses besognes, et commettant des exactions sur les civils supposés « proches » de l’ennemi. C’est quelque chose qui est difficile à contenir par un gouvernement lorsqu’il est pris dans le tourbillon d’un conflit.

Ainsi au début des années 90, des milices vont se constituées au Rwanda, lorsque les combats ont commencé avec le FPR. Elles étaient « contenues » tant bien que mal par le pouvoir en place. Mais on l’a souligné, en abattant l’avion du président rwandais, on abattait en même temps l’Etat rwandais. Dès lors il n’y avait plus rien ni personne pour les retenir, il n’y avait plus d’ordre, les milices vont alors se déchainer dans un désir de vengeance du Président Habyarimana.

Le « nouveau pouvoir », sous-pression de l’offensive déclenchée par Kagamé et perdant du terrain, n’avait aucun moyen d’arrêter les massacres. Les « tutsis » et tous ceux qui tentaient de les protéger, étaient vus comme une cinquième colonne. Aujourd’hui dans les pays du sahel les peuls sont associés aux djihadistes, ainsi ils sont massacrés par les milices d’auto-défense aux yeux de tous. Leurs villages sont rasés. Dans certains cas, la complicité des armées de ces pays est clairement établie. Mais tout cela reste « relativement contenu » parce que les pouvoirs sont en place. Au Rwanda le pouvoir n’existait plus.

En dernière analyse, on peut le dire, ceux qui ont abattu l’avion du président rwandais portent une part indéniable de responsabilité dans la tragédie qui s’est produite, au même titre que les milices qui ont perpétré ce drame. Si le Président était resté en poste, les milices seraient restées sous contrôle.

La « communauté internationale » a le devoir de confronter Kagamé à son passé

Le Président Juvénal Habyarimana rappelons-le, rentrait d’un sommet régional organisé en Tanzanie, sur la crise qui secouait son pays. Le sommet s’était achevé à 16H. Mais sitôt après, le Président Yoweri Museveni d’Ouganda le convia à des « discussions approfondies », qui prirent fin à 19H. Avec le recul, on réalise que la stratégie du président Ougandais a consisté à retenir le président Habyarimana le temps nécessaire, afin que son avion se présente à la nuit tombée au-dessus de Kigali. On sait que le missile qui abattit l’avion était en dotation dans l’armée ougandaise. Tous les dissidents du FPR en exil ont accusé avec force détails le Président Kagamé sur ce qui s’est passé le 06 Avril 1994. Quelles preuves veut-on de plus ?

Une fois dans la place à Kigali, le commandant Kagamé devait faire face à des groupes armés issus de la dislocation de l’armée régulière. Il parvenait toujours à repérer le commandant de chaque groupe et à l’abattre, ce qui on l’aura compris, désorganisait totalement le groupe. Finalement ces groupes refluèrent tous vers l’ex Zaïre (actuelle RDC). Une armée « sans tête » est une force paralysée, quel que soit son équipement, son entraînement, sa taille.

C’est ce principe simple que le commandant Kagamé a mis en œuvre, d’abord sur le Président Habyarimana, ensuite sur les différents « chefs de guerre » qui ont émergé après la débâcle de l’armée rwandaise. Interviewé par un journaliste canadien peu après, il a reconnu que l’avion du Président Habyarimana était « une cible juste et légitime », quand bien même des négociations de paix étaient en cours. Il a commencé à changer de discours quand l’ampleur des massacres s’est peu à peu révélée, car il a su au fond de lui qu’ils étaient la conséquence immédiate de son acte.

Le Président Kagamé jouit en ce moment d’une aura indéniable. Mais en vérité, c’est une aura malsaine. Un lourd passif reste accroché sur sa conscience. N’oublions pas les deux guerres qu’il a déclenchées au Congo (RDC) qui ont fait des millions de morts. Personne n’a condamné ce monsieur. Aujourd’hui au Rwanda, ouvrir une Eglise, organiser une grève, détenir du plastique, préparer avec du charbon de bois etc… mène droit en prison !! La « communauté internationale » choisit de fermer les yeux par couardise. Tout le monde se couche devant cet homme. Personne n’ose le confronter à son passé. Quand va-t-on ouvrir les yeux ? quand va-t-on osé dire la vérité sur ce qui s’est passé le 06 Avril 1994 ? Il le faudra bien un jour.

Douglas Mountain

oceanpremier4@gmail.com

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