“Pauvres”, “pauvreté”, quand certains emploient ces mots, c’est uniquement pour évoquer des choses matérielles qui manqueraient à telle personne ou à tel pays.
La petite histoire qui va suivre veut montrer que jadis en Afrique l’on avait une autre conception de la pauvreté.
Gbagbôgnon avait déjà atteint la cinquantaine. Tous les matins, il allait travailler dans son champ situé à quelque 8 km du village. Tard dans la soirée, c’est lui-même qui préparait sa nourriture. La vérité est qu’il ne voulait dépendre de personne. Même, au moment de la récolte du cacao, il se gardait de demander à quelques femmes du village de lui donner un coup de main. Il faisait partie des villageois qui “avaient un peu”. Tous les soirs, on pouvait le voir assis devant sa maison en dur en train d’écouter une imposante radio qui lui donnait les nouvelles du pays et du monde. Deux fois par mois, Gbagbôgnon se rendait en ville pour acheter les petites choses dont il avait besoin.
Un jour, il tomba malade. Sa maladie était si grave qu’il ne pouvait plus sortir de chez lui. Ses voisins ne le surent que grâce à leurs enfants qui n’entendaient plus sa radio distiller la musique rumba qu’il affectionnait tant. Quand ils frappèrent à sa porte et que seul le silence leur répondit, ils décidèrent de casser la porte. L’homme qu’ils trouvèrent ne respirait plus. Gbagbôgnon était parti. Il fut enterré le même jour. Il n’eut donc pas droit aux funérailles de plusieurs jours au cours desquelles on danse et mange pour l’homme qui a laissé des enfants et qui a essayé d’être utile aux autres.
Quand je demandai à mon oncle pourquoi Gbagbôgnon fut traité de la sorte, il me donna la réponse suivante: ”Chez nous, le pauvre, ce n’est pas l’homme qui est matériellement démuni mais l’homme qui n’a ni progéniture ni amis. Gbagbôgnon ne dormait dans la rue ni ne mendiait pour se nourrir mais il était et vivait seul. C’est cela la pauvreté pour nous. Un homme peut avoir villas, voitures et argent mais, s’il n’est pas relié aux autres d’une façon ou d’une autre, il est pauvre. Quand un tel homme meurt, on ne dure pas à ses funérailles. Nous croyons que l’homme n’est rien sans l’homme, que je suis parce que nous sommes. Il paraît que vous autres avez adopté sans discernement l’individualisme des Occidentaux, tout comme vous ne jurez que par leur démocratie. Or un des leurs a dit que la démocratie a été remplacée en Europe par l’oligarchie qui signifie que le gouvernement et tout l’État sont contrôlés ou dirigés par un petit groupe de personnes. Cette oligarchie refuse l’application des décisions des électeurs comme ce fut le cas en 2005 pour le référendum sur l’Union européenne. Emmanuel Todd estime que le pire, avec cette oligarchie arrogante et prédatrice, c’est que le peuple (demos) n’est pas capable de se débarrasser des personnes qui ont trahi sa confiance (cf. E. Todd, “Où en sommes-nous ?”, Paris, Seuil, 2017).”
Jean-Claude Djéréké
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